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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1945 : De NUREMBERG à TOKYO, les procès des criminels de guerre (2)

Publié par La Plume et le Rouleau sur 22 Décembre 2005, 16:43pm

Catégories : #Relations internationales & conflits

Archives INA

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des Chroniques de la Plume et du Rouleau, 
A Tokyo, les Américains, qui sont plus que jamais les maîtres d’œuvre des grand messes judiciaires, entendent faire PLUS encore : il s’agit de juger les principaux dignitaires du régime impérial japonais dont les atrocités n’ont rien à envier à celles de leurs collègues teutons. Mais pour cette deuxième phase judiciaire destinée, elle aussi, autant à punir qu’à faire connaître à tous les crimes abominables de quelques uns, il y a aura PLUS d’accusés (28 contre 22), il y aura PLUS de juges (11 contre 4), il y aura PLUS de témoins (419 contre 99), la période étudiée sera PLUS longue (de 1928 à 1945 et non plus seulement de 1933 à 1945) et le procès est prévu pour durer PLUS longtemps : plus de 2 ans contre 9 mois).
 
Bref, le grand show, quoi !
 
Depuis septembre 1945, Douglas MacArthur est le « représentant des Etats-Unis au Japon » et, dans les faits, chef tout-puissant d’un pays sous tutelle (ci-contre). Le 19 janvier 1946, il établit la charte du Tribunal Militaire internationale pour l’Extrême-Orient.
 
Le 3 mai 1946, 28 personnes sont mises en accusation à Tokyo pour crimes contre la paix, parmi lesquelles le général Tojo Hideki (ci-contre à droite), notre nippon du précédent BDJ et que nous allons retrouver (quelle coïncidence !...) à cette occasion. 
 
Pour quel résultat ? Un franc succès ? Un lamentable fiasco ? Rien de tout cela ou un peu des deux à la fois ?
 
Le procès des criminels de guerre japonais entend se situer dans le droit fil de celui de Nuremberg, toujours en cours à l’époque : un caractère international, un respect scrupuleux des procédures, une minutie des arguments avancés et une avalanche de pièces à conviction présentées. Il s’agit là encore d’aboutir à un jugement exemplaire.
 
Pourtant, la tâche ne va pas s’avérer si simple…
 
Il est d’abord décidé que les pays signataires de l’acte de capitulation du Japon (le 2 septembre 1945) pourront déléguer chacun un juge et un procureur au Tribunal. Cela fait du monde : l’Australie, le Canada, la Chine, les Etats-Unis, la France, l’Inde, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, les Philippines, le Royaume-Uni et l’Union Soviétique.
 
Puis on met au point la liste des inculpés dont certains sont déjà sous les verrous. Le « bureau d’accusation » est dirigé par Joseph Keenan, un proche de feu le président Roosevelt, qui s’est illustré dans la lutte contre la pègre de Chicago dans les années 30. On se concentre sur 3 types d’individus : des militaires qui ont occupé des postes en Chine ou en Corée, des membres du gouvernement qui ont pris la responsabilité de déclencher la guerre du Pacifique, des diplomates qui ont œuvré dans l’alliance avec l’Allemagne.
 
On vérifie ensuite s’ils relèvent du crime dit « de catégorie A » : celui de porter une responsabilité centrale dans le déclenchement et la menée de la guerre. Les criminels dits de « catégorie B et C » (responsables à un échelon local) seront jugés au cours de procès locaux. Les B et C sont de loin les plus nombreux : 25 000 suspects et 5 700 finalement accusés !
 
Le procès des criminels de guerre japonais voit assurément les choses en grand…
 
Evidemment, la vedette est tenue par les accusés de Tokyo : 26 des 28 accusés relèvent de la « catégorie A ». Ils risquent tous la peine de mort à ce titre. Parmi eux, évidemment : Tojo, l’ancien Premier Ministre, symbole de la caste militariste qui a entraîné le Japon dans la guerre, mais aussi Shigemitsu Mamoru (ministre des Affaires étrangères de 1943 à 1945) et Umezu Yoshijiro (commandant des forces japonaises en Mandchourie). 
Mais, fait alors remarquer le procureur australien Alan Mansfield, et Hiro Hito ? Pourquoi n’inculpe-t-on pas l’empereur Hiro Hito ? Celui-ci a, dès son plus jeune âge, fait l’objet d’une éducation martiale. Jamais il ne s’est opposé à la militarisation du régime. Mieux : le système politique japonais permettait aux chefs militaires d’avoir directement accès à l’empereur sans en référer obligatoirement au gouvernement. Dans ces conditions, et compte tenu de la mauvaise coopération internes des différentes armes (fort antagonisme entre le Marine et la Terre, notamment), seul l’empereur était à même d’avoir une vue d’ensemble des questions politiques et militaires et des décisions prises. Vu son rôle central dans la société, lui seul pouvait avoir une influence directe sur le cours des choses. Hiro Hito est, enfin, le seul personnage politique à être resté en place de 1928 à 1945. Au moins (et même si l’on reconnaissait ensuite éventuellement son innocence) qu’on le mette en accusation, non ?!
 
Premier accroc dans la belle mécanique du spectacle judiciaire : les Américains s’opposent unilatéralement et catégoriquement à la mise en cause d’Hiro Hito. Depuis le 27 septembre 1945, date de son entretien avec l’empereur du Japon (ci-contre), Douglas Mac Arthur est convaincu que l’immunité de celui-ci, incarnation de la nation, est la seule solution pour garantir que l’occupation américaine dans l’Archipel se déroulera sans résistance aux troupes US de la part de la population. L’empereur, par ailleurs, constitue à l’évidence le seul élément stable dans un pays où, du fait des purges, le personnel politique risque d’être profondément remanié. A ce titre, et compte tenu de ses opinions personnelles, il peut offrir un solide rempart contre le communisme qui menace.
 
Alors que nombre d’éléments objectifs plaident en faveur de la responsabilité d’Hiro Hito, la justice au sens large va donc s’effacer devant les considérations politiques de court terme. Les Américains choisissent de faire passer Hiro Hito pour la marionnette des militaires, un bon bougre de souverain, nippon ni mauvais et la victime d’affreux fascistes qui, eux, doivent être lourdement sanctionnés. Cette mauvaise foi évidente va marquer le procès d’un péché originel indélébile.
 
Ce ne sera pas la seule maladresse qui va nuire au procès de Tokyo dans la mémoire collective. 
Les débats relatifs aux criminels « de catégorie A » vont s’ouvrir le 3 mai 1946 à Tokyo, dans le quartier d’Ichigaya (que certains lecteurs de ces chroniques connaissent bien). La foule assiste à l’arrivée au tribunal du bus militaire qui y amène les accusés, extraits de la prison de Sugamo où ils ont été mis à l’isolement. Le président de la Cour, l’Australien William Webb proclame fièrement d’emblée : « Il n’y a pas eu de procès criminel plus important que celui-ci dans toute l’histoire ! ». Et, de fait, durant les 2 ans et demi que durera le procès, 200 000 personnes (dont 150 000 Japonais) y assisteront.
 
La déposition de l’ex-empereur du Mandchoukouo (détenu à l’époque par les Soviétiques) et ex-empereur-enfant de Chine, Pou Yi (« Le dernier empereur » de Bertolucci), fait sensation. Elle ne sera toutefois pas retenue en raison de sa grande confusion. Celle de Tojo, d’emblée, sème le doute. Il déclare d’abord que pas un Japonais n’aurait agi en désobéissant à l’empereur. Cela fait de celui-ci, dans les faits, le chef suprême responsable de l’ensemble des crimes du pays. Mais, coup de théâtre, le lendemain, il prétend le contraire : il a désobéi à son souverain, qui est en fait innocent. Se sacrifiant, Tojo endosse volontairement tous les crimes ! Il faut dire qu’entre-temps, son avocat a été convoqué par les Américains…
 
Le déroulement chaotique du procès de Tokyo, sinon truqué, du moins biaisé, ne va pas échapper aux observateurs avertis qui le compareront désavantageusement au procès de Nuremberg…
 
A Tokyo, par exemple, et à la différence de Nuremberg, il n’y a que des individus et aucune organisation ni institution (comme la SS par exemple) qui sont visées. Cela réduit terriblement le champ des responsabilité possibles, autant que celui de la compréhension complète des mécanismes au terme desquels Marine, Armée de Terre et Conseil Impérial se sont entraînés mutuellement dans la guerre et dans les atrocités commises. Cette erreur est à l’origine de l’affaiblissement certain de la portée des chefs d’accusations.
 
Car, par obstination et volonté de duplication, les Anglo-Saxons cherchent coûte que coûte à appliquer la thèse du complot planifié d’agression, qui avait fait la fortune du procès de Nuremberg. C’est méconnaître les différences fondamentales entre le militarisme japonais et le nazisme allemand, dans ses fondements comme dans son fonctionnement. Ainsi que le dit l’historien Frank Michelin, « dans le cas japonais, la rotation rapide des principaux responsables civils et militaires aux postes de commandement fragilise considérablement ce type d’accusation. Entre 1928 et 1945, le seul à rester à son poste est… l’empereur. Mais sa non-comparution fait douter de la bonne foi du Tribunal ». 
Fait nouveau, au plan juridique, on introduit par ailleurs à Tokyo un grave précédent en matière de droit international : le concept de « responsabilité négative » dans l’exécution des crimes. Qu’est-ce ? Il s’agit de rendre répréhensible l’inaction face aux crimes commis par ses subordonnés. Cela permet de mettre en accusation un suspect contre lequel il n’existe aucune preuve positive, en l’accusant de « n’avoir rien fait pour empêcher que…. » C’est une complicité passive qui permet de suppléer au manque de preuves à charge irréfutables contre certains accusés. C’est ce concept qui permet ainsi de condamner à mort Matsui Iwane, commandant de l’armée japonaise qui a attaqué Nankin en 1937, pour avoir laissé perpétrer les massacres pendant plusieurs jours quoique, formellement, il n’ait pas donné l’ordre de procéder à ceux-ci (il arguera qu’il était d’ailleurs absent à ce moment).
 
Ce concept, discutable mais éventuellement acceptable, devient en revanche franchement contestable quand, mené à son terme, il aboutit à la condamnation à mort (et à l’exécution) de Hirota Koki, ancien Premier Ministre autrefois limogé car jugé… trop modéré par les militaires : la raison pour laquelle il n’avait précisément pas pu empêcher les massacres de nankin de 1937 ! Il devient même carrément injuste quand le Tribunal, a contrario, refuse d’inculper Asaka Yasuhiko, sous le commandement direct duquel les massacres de civils de décembre 1937 à Nankin ont été perpétrés… Motif ? Asaka est… l’oncle de Hiro Hito : il ne sera donc pas poursuivi !
 
La défense des accusés tente par ailleurs de soulever la question de l’utilisation par les Etats-Unis de l’arme nucléaire contre des populations civiles d’Hiroshima et Nagasaki. Mais le président Webb rejette l’argument, opposant qu’il ne relève pas de la juridiction du Tribunal…
 
Deux poids / deux mesures pour la justice internationale sous pavillon étasunien ? On peut le croire.
 
On va désormais en être sûr lorsque l’on découvre qu’aucun des responsables de la sinistre « Unité 731 » (qui avait mené des expériences chimiques et bactériologiques horribles sur plus de 3 000 prisonniers chinois) n’est n’ont plus mis en accusation ! La raison est simple. Apparemment désireux de combler leur retard en ce domaine, les Américains ont accordé à ces responsables une complète immunité judiciaire, négociée contre le résultat de leurs travaux !
 
Le scandale est désormais complet sur le plan des principes.
 
La cacophonie qui règne durant le procès achève de décrédibiliser la cour et les débats. La défense (une centaine d’avocats de diverses nationalités) fait montre d’une grande désunion. C’est encore pire pour les juges ! Les condamnations à mort pouvant être prononcées à la majorité simple des 11 juges, les magistrats américain, britannique, soviétique, chinois, néo-zélandais et canadien se rassemblent pour rédiger les verdicts sans prendre la peine de consulter leurs homologues français, australien (le président, pourtant !), néerlandais, indien et philippin ! Or, ceux-ci ont des opinions pourtant divergentes et sont peu soucieux de s’aligner inconditionnellement sur l’impérialisme anglo-saxon…
 
Ainsi le français Henri Bernard et l’australien William Webb s’opposent-ils à leurs collègues sur des questions de principes juridiques.
Pour le philippin Delfin Jaranilla, le verdict est trop clément.
A l’inverse, le néerlandais Bert Röling estime que certains accusés doivent être acquittés.
Quant à l’indien Radhabinod Pal, il considère… que les accusés sont tous innocents ! 
 
On aboutit (enfin) au bout de deux ans et demi, fin 1948, au verdict : il sera plutôt clément (signalons par préambule que deux accusés sont décédés durant le temps du procès, comparaissant ainsi plus tôt que prévu devant le Juge suprême…)

- Des acquittements
- Deux accusés sont condamnés respectivement à 7 ans et 20 ans de prison
- 16 accusés sont condamnés à la prison à perpétuité. Sur ce nombre, 3 vont y mourir mais les 13 autres seront libérés moins de 10 ans plus tard (certains obtenant même par la suite des portefeuilles ministériels !)
- 7 condamnations à mort (par pendaison) sont prononcées, dont celle de Tojo (soit un pourcentage de 25 % des condamnations totales, ce qui est moins qu’au procès de Nuremberg où le score – jusqu’ici inégalé - était de 50 % !). Les exécutions auront d’ailleurs lieu le 23 décembre 1948, il y a 57 ans tout juste aujourd’hui (joyeux Noël monsieur Tojo…) Quand au reste des criminels de catégorie B et C, jugés localement : ils seront 984 (sur 5 700 accusés) à être condamnés à mort : de vraies exécutions en masse (il est vrai réparties sur de nombreux pays) ! 
- L’un des accusés sera déclaré mentalement irresponsable et directement interné
 
Procès mal conçu, mal conduit, incohérent voire truqué dès l’origine dans le choix des accusés (aucun industriel ou financier, par exemple) et bâclé dans ses conclusions, le procès de Tokyo n’a, du coup, pas obligé le Japon à purger définitivement son passé. Il y persiste une amnésie collective et même d’une forme de culture négationniste : on parle aujourd’hui dans les manuels scolaires de « l’incident de Nankin », au grand scandale d’une élite universitaire indignée de cet escamotage. Cette amnésie a été, il est vrai, largement favorisée par le maintien en place par les Américains, dans les années 1950 et en raison de la Guerre Froide, d’une certaine élite politique issue de l’ancien régime au motif qu’elle participait à la lutte contre la montée du communisme dans le pays.
 
Certes, le pays a, depuis lors, officiellement multiplié les excuses à l’endroit des autres pays d’Asie pour les crimes commis dans les années 30 et 40. Les hommes politiques japonais s’astreignent même à cet exercice quasiment à chaque déplacement international dans la région : ils n’arrêtent pas de battre leur coulpe. Pour mieux marquer leur contrition, les députés nippons ont même adopté en août 2005 une résolution officielle déplorant, une nouvelle fois, les « souffrances » infligées aux pays asiatiques.
 
Mais cette déclaration parlementaire n’a pas fait pas mention d'une « agression » contrairement à celle d’août 1995 où, à l'occasion d'un discours historique, le Premier ministre socialiste Tomichi Murayama avait regretté « la domination et l'agression coloniale » et les « souffrances incommensurables (…) de nombreux pays d'Asie ». Un subtil pas en arrière ? Peut-être car la résolution réclame aussi l'abolition des armes nucléaires dans le monde, rappelant de facto que le Japon a été le seul pays « atomisé », ce qui, d’une certaine façon, a été expiatoire pour lui.
 
Quoiqu’il en soit, au plan interne nippon, le débat politicien est loin d’être clos. Ainsi la résolution, émanant du Parti libéral-démocrate (conservateur, au pouvoir), de son allié shintoïste traditionaliste (le « Komeito ») ainsi que du principal parti de l'opposition, le Parti démocrate du Japon (centriste) a-t-elle été contestée par le Parti Communiste (PCJ), de tradition pacifiste. Pour celui-ci, elle « ne présentait pas clairement des remords de la guerre d'agression et du colonialisme »… Mais la résolution a aussi été critiquée par l’aile nationaliste du PLD qui, lui, a dit « regretter le fait que nous devions toujours regretter le passé » (dixit l'ancien ministre du Commerce Takeo Hiranuma).
 
Ces Japonais sont de vrais Gaulois...
 
Quoiqu’il en soit, il règne au Japon, en raison du truquage originel du procès de Tokyo, une attitude ambiguë vis-à-vis des criminels de guerre. Tojo Hideki et ses compagnons, ainsi, ont été inhumés au sanctuaire de Yasukuni (ci-contre) : aux côtés de tous les soldats tombés, sans distinction, pour la Patrie dans tous les conflits de l’histoire du pays. Malgré (ou à cause de) leur condamnation par un tribunal d’étrangers, Tojo et ses acolytes n’ont, pour le Japon, pas été marqués du sceau de l’infamie : ils sont des soldats comme les autres.
 
C’est dire que la « sincérité » des remords japonais suscite évidemment la plus grande perplexité.
 
Mais, en matière de sincérité, les Nippons ne sont évidemment pas les seuls à devoir être mis en cause. Rappelons par exemple que les Américains, organisateurs des procès de Nuremberg et de Tokyo, ont pourtant refusé de signer leur adhésion à la Cour Pénale Internationale mise en place par les Européens. Ils y ont préféré des accords bilatéraux afin d’éviter que des ressortissants américains puissent être mis en cause devant ce tribunal.
 
La justice ne serait-elle réservée qu’aux vainqueurs ? Lesquels se réserveraient l’exclusivité de l’organisation des procès tout en se dispensant des lois qu’ils prétendent appliquer aux autres ? Y a-t-il même une justice, mmmh ?
 
Oui, sûrement. Il faut y croire. Les Chroniques de la Plume et du Rouleau y croient, d’ailleurs.Mais pour ce qui est d’une justice ici-bas, ce n’est pas encore gagné…
 
Bon Noël à toutes et à tous.


La Plume et le Rouleau © 2005
 

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