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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1956 : Les insurgés de BUDAPEST

Publié par Sho dan sur 4 Novembre 2004, 17:54pm

Catégories : #Relations internationales & conflits

Images d'époque, après que

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des Chroniques de la Plume et du Rouleau,
 
« Ici l’Union des écrivains hongrois ! (…) Nous demandons à chacun de vous votre aide et votre soutien. Il n’y a pas d’instant à perdre. Vous savez ce qui se passe, il est inutile d’en dire plus long. Aidez la Hongrie ! Sauvez les écrivains, les savants, les paysans de Hongrie et notre intelligentsia ! Au secours ! Au secours ! Au secours ! ».
 
Tel est le dramatique appel qui retentit le 4 novembre 1956 sur Radio Kossuth, radio d’état hongroise à 6 h 56 le 4 novembre 1956, précisément à destination des postes de radio de l’Europe de l’Ouest. A 7 h 25, ladite radio cesse brusquement d’émettre… Devant quelle menace ? Pourquoi un appel au secours si pathétique ? Que se passe-t-il donc ce jour-là et, surtout, les jours d’après ? Pourquoi et dans quel contexte ? C’est ce que cette chronique va éclaircir en replongeant, près d’un demi-siècle en arrière, dans les brumes et les frimas d’une Europe Centrale située de l’autre côté du « rideau de fer ». Cette escapade dans le passé, comme les autres, n’est pas inutile car, dans le confort démocratique de notre Europe tranquille, on a presque oublié aujourd’hui que celle-ci fût un jour coupée en deux.
Staline-propagande.jpg
Vous êtes persuadés que le combat pour la liberté vaut d’être mené ? Vous croyez que les démocraties occidentales sont toujours aux côtés des peuples opprimés ? Vous pensez que l’oppression finit un jour par disparaître ? Ces grandes idées vous honorent… Mettons-les donc à l’épreuve des faits en nous translatant en Hongrie dès après la Seconde Guerre Mondiale.
 
L’on a peine à imaginer aujourd’hui ce que fut la terreur stalinienne et la façon dont elle fut relayée "à l’Ouest" par des partis dont certains, aujourd’hui encore, n’ont aucune honte à s’intituler « communistes ». C’est que l’obéissance au grand frère soviétique devait être absolue.
 
En Hongrie, par exemple, en 1955, le Président du Conseil, le communiste Imre Nagy, considéré comme trop « patriote » et pas assez inféodé à l’Union Soviétique, est limogé. L’URSS a peur, en effet, d’une contagion du modèle yougoslave voisin, où le communiste Tito dirige le pays d’une main de fer mais sans en référer le moins du monde au gouvernement de l’URSS. Nagy est remplacé par le bureaucrate Rakosi, un pur produit du stalinisme le plus réactionnaire, totalement aux ordres de Moscou.
 
L’année 1956, pourtant, s’ouvre sur un coup de tonnerre dans le ciel soviétique serein : dès février, au XXème congrès du PCUS, Khrouchtchev dénonce rien de moins que les « crimes de Staline » ! Il a donc fallu attendre 3 ans après la mort de ce dernier (survenue le 5 mars 1953) pour que, à l’issue d’une lutte de pouvoir impitoyable au sein du Kremlin, Nikita Khrouchtchev engage la « déstalinisation ». Restons modestes : il ne s’agit nullement d’une démocratisation du régime (le communisme étant, déjà, par essence "démocratique" même s’il est centralisé…). Il s’agit seulement d’un relâchement de la pression exercée par la police politique sur la population et de la libération de prisonniers du Goulag (400 000 environ). Il s’agit aussi de l’arrêt du culte de la personnalité du « Petit Père des Peuples », de la mise à l’écart de certains de ses plus proches collaborateurs et enfin d’un assouplissement dans les relations avec les gouvernements occidentaux. Un assouplissement, mais jusqu’à quel point pour les pays du « bloc » soviétique ?
Khrouchtchev.jpg
Pour ce qui est de la Hongrie, rappelons que ce pays revêt une importance capitale particulière pour le Pacte de Varsovie (signé en mai 1955) puisque le pays a une frontière commune avec l’Autriche (= l'"Ouest"). Or, en juin 1956, les Hongrois commencent à s’agiter : certains communistes demandent le retour au pouvoir d’Imre Nagy. Face à la grogne, les Soviétiques réagissent : le 16 juillet ils remplacent Rakosi, décidément trop impopulaire, par Gerö. Erreur ou stratégie délibérée : celui-ci est encore plus détesté ! Pour les Hongrois, cette maladresse cache en fait une provocation. Et si les Soviétiques l’avaient fait exprès ? 

La contestation se fait plus radicale.
 
Là-dessus, l’égyptien Gamal Abdel Nasser annonce, le 26 juillet, son intention de nationaliser le canal de Suez pour percevoir au profit de l’Egypte les péages versés par les navires pétroliers (alors que ce sont les compagnies françaises et britanniques qui les touchent jusque-là). Il veut financer lui-même l’essor industriel du pays et notamment la construction du barrage d’Assouan après avoir échoué dans l’obtention de prêts en raison de l’obstruction des Etats-Unis qui le soupçonnent de sympathies envers Moscou. Dans les pays non-alignés, les anciennes colonies, les pays pauvres et tous les laissés-pour-compte de l’impérialisme occidental, cette initiative soulève l’enthousiasme. Nasser devient un héros du Tiers Monde. Comment la « crise de Suez » va-t-elle se finir ?
 
Et qu’est-ce que cela à voir avec la Hongrie, direz-vous ? Patience… Suivez plutôt le dramatique enchaînement des faits qui va suivre. L’automne 1956 s’annonce en effet chahuté pour la planète. L’actualité que nous jugeons brûlante aujourd’hui ne l’est en fait guère plus que celle de cette période particulièrement troublée.
 
Tandis que Français et Britanniques envisagent une riposte au Moyen-Orient, se concertant avec le jeune état d’Israël, les Hongrois manifestent bruyamment, le 6 octobre 1956, dans les rues de la capitale à l’occasion des funérailles nationales de leur compatriote Laslo Rajk. Celui-ci est un ancien dirigeant communiste victime d’un spectaculaire procès stalinien en 1949 et exécuté pour « titisme » (déviationnisme en faveur des idées de Tito =  non obéissance à Moscou, quoi). Ils demandent maintenant des réformes. Et ils ne sont pas les seuls : les Polonais, de leur côté, se rendent aux urnes le 19 octobre et, parmi les candidats (évidemment tous communistes), élisent le plus réformateur d’entre eux à la tête du PC polonais : Wladyslaw Gomulka. Le Kremlin y consent.
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Cette évolution encourage les Hongrois : le 23 octobre 1956, une manifestation étudiante d’une ampleur sans précédent a lieu à Budapest. Les revendications sont encore modérées et les manifestants entendent donc que celles-ci soient diffusées à la radio. Mais Gerö refuse radicalement et la police, qui défend le bâtiment de la radio, tire sur les manifestants rassemblés devant. L’émotion gagne tous les acteurs du drame qui débute. Gerö, perdant la tête, fait alors appel aux troupes blindées soviétiques, qui stationnent en Hongrie, pour rétablir l’ordre.
 
La France et la Grande-Bretagne s’émeuvent naturellement de cet acte d’ingérence d’une grande puissance dans les affaires intérieures d’un pays…
 
Et la situation dégénère à Budapest : tandis que les blindés se répandent dans la ville, la manifestation se transforme en insurrection. Des groupes armés se forment, étudiants, ouvriers, qui affrontent les chars à coups de cocktail Molotov. Au cours de la nuit qui suit, ils sont même rejoints par des soldats hongrois ! Les soldats soviétiques stationnés en Pologne ne sont pas préparés à de tels affrontements et sont vite mis en difficulté. Voyant le gouvernement hongrois perdre le contrôle des évènements, le Kremlin envoie immédiatement deux émissaires à Budapest pour faire le point de la situation. Car si la manifestation échappe au contrôle du gouvernement, elle échappe aussi, et c’est plus grave, au contrôle de l’opposition elle-même. Dès lors, tandis que Khrouchtchev (ci-contre) envisage de se montrer plutôt accommodant avec d’éventuelles réformes en Hongrie (les archives de l’ex-URSS, désormais ouvertes, le montrent), les « durs » du Kremlin redoutent, eux, que le pays ne se soulève et, pourquoi pas, tente de quitter le Pacte de Varsovie pour rejoindre l’OTAN.
 
Pour calmer les esprits, on rappelle alors Imre Nagy au pouvoir puis on remplace (25 octobre) le stalinien Gerö par le « communiste-national » Janos Kadar. Mais cela ne suffit pas et les affrontements avec la police redoublent. Le 28 octobre, heureusement, la situation se calme et l’on signe un cessez-le-feu. Mais la tension reste vive : la contestation du pouvoir par les insurgés est croissante. Le 30 octobre, un opposant catholique historique, le cardinal Jozsef Mindszenty, condamné à la prison à perpétuité depuis 1949, est libéré par… un détachement de l’armée hongroise. 

Le chaos menace. Qui prendra le pouvoir en Hongrie ?
 
Sera-ce la tendance des communistes « modérés » comme Nagy (ci-dessous), désireux de préserver les acquis socialistes mais partisans d’un pays qui ne soit plus sous tutelle soviétique (il proclame la fin du système du parti unique le même jour) ?
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Ou bien la tendance « nationale-démocratique » de Istvan Bibo, particulièrement active en province et que nous pourrions qualifier de « social-démocrate » ? 

Ou encore les conservateurs, incarnés par Mindszenty, et partisans d’un retour à l’ordre social de la monarchie des Habsbourg ? 

Ou même les extrémistes de droite, nationalistes virulents et farouchement anticommunistes, très actifs mais cependant dépourvus de leaders intellectuels ?
 
Le Kremlin ne le sait pas. Et c’est inquiétant. D’autant plus inquiétant que, en réalité, il n’a envie de voir aucune de ces tendances au pouvoir !
 
Alors, les Soviétiques s’entretiennent avec Charles Bohlen, ambassadeur des Etats-Unis à Moscou : celui-ci leur confirme que l’Amérique n’a aucune velléité d’attirer la Hongrie dans l’OTAN. Les Soviétiques vont dès lors en déduire que les Etats-Unis n’ont pas l’intention de « s’investir » dans la crise hongroise, ni sur le plan offensif, ni sur le plan défensif. Autrement dit : les Américains ne bougeront pas.
 
Les Soviétiques ont donc les mains libres à Budapest…
 
D’autant que d’autres évènements internationaux vont entrer en jeu pour peser indirectement mais dramatiquement sur l’issue de la crise hongroise. Dans les jours qui suivent, en effet, les Israéliens lancent leur chars dans le Sinaï en direction de l’Egypte tandis que les troupes parachutistes françaises et anglaises sautent sur Port-Saïd pour prendre le contrôle des installations portuaires du Canal de Suez. Les Américains et les Soviétiques font alors cause commune contre leurs partenaires du Conseil de Sécurité et leur intiment l’ordre de se retirer. La tension est à son comble entre Américains, Britanniques, Français et Soviétiques.
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Le 31 octobre 1956, en plein milieu de la crise de Suez, l’URSS de Khrouchtchev décide d’une intervention militaire en Hongrie afin d’y rétablir l’ordre.
 
Tactiquement, c’est le bon moment : Américains, Anglais et Français sont divisés. Ces derniers sont pris au piège de leurs propres contradictions : comment la France pourrait-elle condamner l’interventionnisme soviétique alors qu’elle intervient en Egypte pour défendre ses privilèges financiers et frapper, dans le cadre de son conflit colonial, les bases arrières du FLN algérien ? La Grande-Bretagne, elle, empêtrée à Suez comme à Chypre, serait bien mal inspirée de protester également. L’URSS est aussi assurée de la passivité de l’Amérique qui préfèrent défendre ses intérêts pétroliers du Proche-Orient plutôt que les libertés d’un peuple d’Europe Centrale sans intérêt : Foster Dulles, secrétaire d’Etat à la Défense écrit même que « (les Français et les Anglais) condamnent l’URSS pour un acte sans doute moins condamnable que le leur » ! La notion d’ingérence et d’impérialisme sont décidément bien à géométrie variable !
 
En Hongrie, toutefois, la situation semble se stabiliser et Nagy reprend le contrôle de la situation. Mais il est trop tard : il n’a plus la confiance du Kremlin. Des chars soviétiques franchissent la frontière et entrent en force en Hongrie. La rupture est consommée : le 1er octobre, Nagy condamne l’intervention, proclame la neutralité du pays et sa sortie du Pacte de Varsovie. Janos Kadar, lui, disparaît. Le 3 novembre, Nagy forme un gouvernement de coalition avec des non-communistes.
 
Le 4 novembre 1956, à l’aube, l’intervention soviétique armée proprement dite est déclenchée. Le jour même, le délégué français à l’ONU, Bernard Cornut-Gentille, qui préside le Conseil de Sécurité, reçoit une recommandation du Quai d’Orsay : s’élever contre la répression soviétique « aurait troublé les activités de la France en Algérie et ses rapports avec le Maroc et la Tunisie ». Silence, donc : le massacre peut commencer…
 
Les insurgés s’opposent aux troupes blindées dans le cadre de violents combats. Après un dernier message de Nagy, Radio Kossuth cesse d’émettre. Les Soviétiques exécutent sans procès 2000 insurgés puis offrent des négociations au général Maléter, qui commande les troupes régulières qui sont loyales envers le gouvernement révolutionnaire. A peine celui-ci se présente-t-il qu’il est en fait arrêté. Nagy, alors, se réfugie à l’ambassade de Yougoslavie : celle-ci le livrera aux soviétiques trois semaines plus tard (il sera exécuté en 1958) ! Des milliers de rebelles sont arrêtés et rapidement déportés. En quelques jours et en dépit de combats acharnés en banlieue et en province, l’insurrection hongroise est écrasée dans le sang.
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On découvre alors que Janos Kadar qui, jusqu’au 1er novembre, avait soutenu les initiatives de Nagy, avait en réalité fui le pays dès les premières heures de l’intervention soviétique pour se réfugier à… Moscou. Revenu au pouvoir après l’insurrection, il portera dorénavant aux yeux du peuple hongrois la marque de la traîtrise et de la collaboration. De façon injuste, du reste, car l’ouverture des archives permit en fait d’établir qu’il avait en réalité été kidnappé alors qu’il se rendait à l’ambassade soviétique pour négocier. Envoyé à Moscou et soumis à d’intenses pressions, il fit alors volte-face et parvint à convaincre les Soviétiques qu’il représentait pour l’avenir un moindre mal dans la direction de la Hongrie. De fait, après 1962, à l’abri de la déstalinisation de Khrouchtchev, il mènera une politique réformiste, menant le pays au seuil de la société de consommation et faisant de la Hongrie, à l’aube des années 90, le pays le plus proche de ses voisins « de l’ouest ». En mars 1988, sommé de démissionner du Comité Central, il clamera encore : « Je ne suis pas, je n’ai jamais été un agent soviétique ».
 
Quoiqu’il en soit, l’insurrection de Budapest de 1956 aura eu un double effet. Elle aura d’abord montré aux Soviétiques que, de leur côté du Rideau de Fer, ils pouvaient agir impunément. Ils ne s’en priveront pas en 1968 à Prague (à l'époque en "Tchécoslovaquie") et en 1981 en Pologne. Mais paradoxalement, elle aura aussi montré la détermination des peuples épris de liberté à secouer le joug de la tyrannie et ouvert une première brèche dans le totalitarisme communiste. Dès 1968, l’écrivain Miklos Molnar le disait : « Les Soviétiques ont gagné une bataille, le communisme perdra la guerre » (« Victoire d’une défaite, Budapest 1956 » publié en 1968 à Paris).
Budapest-Intervention-sovietique-1.jpg
« Bénis le Hongrois, ô Seigneur,
Fais qu’il soit heureux et prospère,
Quand il affronte l’adversaire !
Donne à qui fut longtemps broyé,
Des jours paisibles et sans peines,
Ce peuple a largement payé
Pour les temps passés ou qui viennent. (...) »
 
Cette strophe est la première des huit qui composent l’hymne national hongrois actuel : des paroles dont on comprend mieux le sens à la lecture de ce qui a précédé. Aujourd’hui, la Hongrie fait partie de l'Union Européenne depuis le 1er mai 2004 : un pays si ouvert et si accueillant que certains lecteurs des chroniques de la Plume et du Rouleau n’hésitent pas à en épouser les charmantes ressortissantes…
 
Bonne journée à toutes et à tous.
 
La Plume et le Rouleau © 2004
 
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Commenter cet article
T
<br /> on raconte que la CIA poussa les hongrois à la révolte. C'est vrai qu'il ne fallait pas grand chose pour que la révolte éclate. Les insurgés hongrois, du moins les chefs, crurent jusqu'au dernier<br /> moment que les USA interviendraient. Etait-ce pour tester la réaction de l'URSS?<br /> Il s'est passé la même chose avec la Géorgie.Mais cette fois Poutine était là !<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Pour qu'un pays entre en guerre, il faut des enjeux idéologiques ou économiques majeurs. La Hongrie, pauvre en matières premières, sans armée significative et disposant de faibles relais<br /> intellectuels à l'Ouest, ne pouvait guère comptée sur sur sa position (non négligeable) géographique qui en faisait un pays jouxtant un état de l'Ouest (l'Autriche). C'était un peu faible pour<br /> décider d'appuyer militairement des insurgés pourtant courageux.<br /> <br /> <br /> <br />

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