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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1965 : La saga de l'ELECTION PRESIDENTIELLE (2)

Publié par Hervé sur 5 Décembre 2006, 02:00am

Catégories : #Civilisation - vie politique - société

Cher(e)s Ami(e)s de la plume et du rouleau,
 
Patatras ! Les élections d’octobre 1877 sont un raz-de-marée républicain : 323 contre 208 conservateurs. Mac-Mahon est dépité mais, en bon militaire, il se soumet à la vox populi.
 
Mac-Mahon appelle alors Dufaure, un républicain modéré, pour former le gouvernement et accepte le modus operandi suivant : le gouvernement n’est désormais responsable que devant la Chambre des députés, le Président de la République s’interdit d’exercer son droit de dissolution.Cette véritable capitulation (qui se fera par écrit) de Mac-Mahon va ouvrir la voix à un régime qui fonctionnera, jusqu’en 1940, de façon définitivement et entièrement parlementaire. Le Président de la République n’y jouera plus aucun rôle politique actif, laissant le gouvernement effectif du pays au chef de la majorité parlementaire, dès lors que la Chambre des Députés lui aura accordé sa confiance.
 
Cet effacement politique volontaire, cette prépondérance du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif, prendra le nom, pendant 70 ans, de « tradition républicaine » ou de « constitution Grévy » (du nom du successeur de Mac-ahopn)…
 
Pour autant, la fonction de Président de la République n’est pas supprimée. Elle ne le sera jamais. On y tient et, quoique réduit à ce que d’aucuns qualifieront de « rôle de potiche », le Président incarne, d’une manière ou d’une autre, une forme d’institution suprême et prestigieuse. La preuve ?
 
- Devenir Président de la république reste un enjeu : cela constitue le couronnement d’une carrière d’homme politique qui déchaîne une lutte acharnée. En 1887, Clemenceau mettra tout son poids pour que Jules Ferry ne soit pas élu à l’Elysée (ce sera Sadi Carnot, 1887 – 1894)
 
- Le président reste un symbole : il constitue donc une cible pour les terroristes de tout poil (il y en avait aussi autrefois !) qui ne vont pas hésiter à s’y attaquer. Sadi Carnot (toujours lui, à droite) sera ainsi poignardé en 1894 par l’anarchiste Caserio tandis que l’infortuné Paul Doumer (1931 – 1932) sera abattu à coups de revolver en 1932 par un immigré russe opposé aux Bolcheviks , Paul Gorgulov.
 
- Le président est l’objet de toutes les attentions de la presse et notamment de la « gazette mondaine » (la « rubrique people » de l’époque).
 
Le président Jules Grévy (1879 – 1887) sera contraint à la démission à la suite du scandale provoqué par la découverte des indélicatesses de son gendre Daniel Wilson, qui faisait accorder des décorations (Ordre du Mérite, légion d’Honneur) contre monnaie sonnante et trébuchante !
 
La presse se régalera des conditions mal éclaircies de la mort de Félix Faure (1895 – 1899, à gauche).
 
Le président Emile Loubet (1899 – 1906, à droite) jouera un rôle indéniable dans l’Affaire Dreyfus en graciant le capitaine (septembre 1899) avant que la condamnation de celui-ci ne soit cassée. Il s’attirera a contrario de vives critiques en graciant également (1906) un dénommé Soleillant, assassin et violeur d’une enfant (qui sera lui-même assassiné au bagne…).
 
On rira enfin (ce n’est pas charitable) des troubles psychologiques de Paul Deschanel (1920), tombé d’un train ou pataugeant en pyjama dans le bassin du jardin de l’Elysée.
 
Quoiqu’il en soit, ainsi que le dira Aramnd Fallières (1906 – 1913) : « La place n’est pas mauvaise mais il n’y a pas d’avancement !… »
 
A ce stade, deux réflexions (plus sérieuses) s’imposent :
 
Un tel mode de fonctionnement est-il valide au plan du droit constitutionnel ?
 
Aucunement : au plan du droit objectif, le fait de ne pas exercer un droit ne peut en aucun cas provoquer sa déchéance. Un droit n’est jamais « prescriptible ». Et la France est, précisément, un pays de droit objectif. La coutume, la tradition, les pratiques n’y sont pas, contrairement à certains pays anglo-saxons, une source de la Loi. Légalement, donc, n’importe quel président de la République aurait parfaitement pu, par la suite, utiliser pleinement les droits et prérogatives que lui conférait la loi pour exercer ses fonctions. Juridiquement, un tel renoncement est absolument aberrant.
 
N’est-il pas dangereux ?
 
Terriblement. Car des institutions ne peuvent fonctionner correctement que si chaque acteur exerce pleinement mais honnêtement ses prérogatives. Que l’un outrepasse ses droits ou y renonce et l’on risque d’aboutir à un déséquilibre de leur fonctionnement, conséquence logique de leur dénaturation, et à une altération de l’efficacité de l’action des pouvoirs publics.
 
La Troisième République va en être la criante illustration. Instabilité parlementaire et impuissance des gouvernements vont être la conséquence logique d’un système où le suffrage universel est confisqué par un petit groupe de politiciens empêtrés dans des alliances parlementaires compliquées et éphémères (le scrutin est totalement proportionnel).Durée moyenne d’un gouvernement sous la IIIème république ? 9 mois… Impossible, dans ces conditions, de mener des réformes de longue haleine ou même d’inscrire dans la durée des politiques qui auraient nécessité une stabilité minimum pour être mises en œuvre. La dévolution systématique de présidence de la République à des personnalités effacées, elle, conforte encore l’immobilisme institutionnel.
 
L’historien Serge Berstein (octobre 2001) nous le dit : « La pente naturelle de l’évolution des Troisième et Quatrième république est d’élire des personnages de faible envergure mais dont l’effacement ou l’insuffisance apparaissent dramatiques en périodes de crise ».
 
- Ainsi, pendant que Hitler réarme et militarise à toute vitesse la société allemande à partir de 1933, les parlementaires français préfèrent jouer le consensus politique, favoriser des dépenses publiques électoralistes (1936), limiter les crédits à l’armée et jouer l’apaisement à Munich avec le Reich (1938). Il ne faut pas effrayer l’opinion publique…
 
La débâcle militaire de 1940 sera la conséquence dramatique des hésitations de ces gouvernements de coalition menés par des forces multiples et bien souvent contradictoires, et ne survivant parfois que par défaut. Le dernier président du conseil, Paul Reynaud, sera ainsi élu grâce à l’appui des socialistes dont il est pourtant le plus farouche adversaire. Quand au Président de la république Albert Lebrun, à la fonction liquidée le 10 juillet 1940 au profit du Maréchal Pétain, le général De Gaulle dira cruellement de lui « Il lui a manqué deux choses pour être un Chef d’Etat : qu’il fût un chef et qu’il y eut un Etat. »
 
Il faut attendre 1944 pour que (après 4 ans d’occupation allemande et un gouvernement dit d’ « Etat français » dirigée par le maréchal Pétain) la France reviennent à un régime républicain à travers :
 
- D’abord un « gouvernement provisoire de la république française » (GPRF) dont le premier président sera, jusqu’à sa démission en janvier 1946, le général De Gaulle.
- Ensuite une « Quatrième république » qui durera onze ans, de 1947 à 1958.
 
Ces deux formes de gouvernement ont-elles retenu les leçons du désastreux fonctionnement de la Troisième république, emmêlée dans ses luttes politiciennes et impuissante dans les périodes de crise ?
 
Non.
   
En 1946-47, les Communistes, forts de leur rôle dans la Résistance, tentent par tous les moyens de s’imposer au pouvoir. Dans cette période où l’agitation sociale est grande et où les troubles de la décolonisation se font déjà sentir, un pouvoir stable se fait plus que jamais nécessaire. Ce sera l’inverse qui se produira. Sous les efforts conjugués des hommes politiques de tous bords qui veulent leur part du pouvoir, c’est à nouveau un régime parlementaire calqué sur celui de la IIIème république » qui est mis en place.
 
En 1946, à son départ du pouvoir, le général De Gaulle l’avait déploré : « Le régime exclusif des partis est reparu. Je le réprouve. Mais, à moins d'établir par la force une dictature dont je ne veux pas, et qui sans doute tournerait mal, je n'ai pas les moyens d'empêcher cette expérience. »  Il s’en est allé, laissant le reste de la classe politique enliser le pays.
 
Il faut dire que là, les déchaînements politiciens ont un terrain de choix. Agitation syndicale et politique du PCF, insurrection de l’Indochine (1945 – 1954) relayée par celle du FLN algérien, guerre froide (expédition conjointe avec les Anglais à Suez en 1956) : les gouvernements valsent au gré des combinaisons politiques, des remaniements de portefeuille, des échéances électorales et des pressions corporatistes… Durée moyenne d’un gouvernement sous la IVème république ? 6 mois : encore pire qu’avant !
 
La France s’enfonce. Sa guerre en Algérie, interminable, la met au ban des nations et lui coûte effroyablement cher. Les gouvernements successifs ont d’abord pris le parti du maintien de l’ordre. Ils ont en réalité progressivement abandonné le pouvoir, localement, aux militaires qui, en 1958, assument en Algérie des tâches aussi diverses que celle de police, justice, enseignement ou administration sanitaire… A cette date, malgré un réel retour au calme, consécutif à une répression militaire féroce menée par les parachutistes du général Massu, la situation politique, localement et en métropole est aussi inextricable qu’explosive.
 
Ce ne sont pas les deux Présidents de la République qui risquent d’avoir une action sur les évènements. Leur mandat est toujours de sept ans et leur poids toujours inexistant.
 
Vincent Auriol (1947 – 1954) : ancien ministre du Front Populaire de 1936, a beau afficher sa volonté d’être un véritable arbitre et en aucun cas un « président soliveau » (une solive est une pièce de charpente), il ne parvient pas à s’imposer politiquement durant son septennat : de grandes intentions, donc, mais aucun résultat.Tout au plus pourra-t-il s’enorgueillir de deux modestes initiatives au plan de la vie quotidienne élyséenne :
 
·         l’installation de cuisines à l’Elysée (jusqu’à présent, on faisait appel à des traiteurs extérieurs ! )
·         la suppression de la chapelle, transformée en bureaux (principes de laïcité et de neutralité obligent, pour cet anticlérical convaincu)
 
L’élection de René Coty va, quant à elle, illustrer jusqu’à la caricature l’impuissance d’un régime où la volonté populaire a été escamotée par une caste de politiciens incapables de prendre une décision. L’homme, en revanche, va avoir une destinée inattendue.
 
Avocat de formation, de tendance centre-gauche (« radical-socialiste »), René Coty est un personnage tellement effacé que, en 1954, pour succéder à Vincent Auriol, il n’est même pas candidat à la présidence de la République (rappelons que l’élection de celui-ci est assurée par les parlementaires). De toutes façons, il est ce jour-là sur son lit de douleur, opéré de la prostate ! Pourtant, à la suite de 13 tours ( ! ) d’un scrutin retransmis pour la première fois en direct (70 000 postes de TV dans le pays) et à l’issue de divers désistements, de multiples combinaisons et d’obscures tractations entre les députés et sénateurs, René Coty est élu malgré lui !
 
D’emblée, René Coty adopte un style d’une grande simplicité : il veut incarner la France du Français moyen et n’hésite pas à se faire photographier à la table de l’Elysée en compagnie de son épouse en train de lui servir, comme toute bonne ménagère française, une modeste soupe… Insignifiant et franchouillard, Coty ? Pas tant que cela.
 
La France est, en 1958, empêtrée dans une crise algérienne que les gouvernements ne savent plus gérer. Garder l’Algérie française ? La perspective de troubles récurrents semble constituer une impasse, tant les Pieds-Noirs s’opposent à toute modification de la loi électorale en faveur des Algériens, qui réduirait leur poids politique. Lâcher l’Algérie ? Il n’en est évidemment pas question au plan électoral (un million de Pieds-Noirs qui, issus des classes moyennes, votent largement pour la gauche modérée) !
 
Que faire, alors ?
 
Appeler le général De Gaulle comme Président du Conseil ! répondent une majorité de Français métropolitains et de Pieds-Noirs de tous bords politiques, au moral habilement sapé par le RPF (Rassemblement du Peuple Français, le parti « gaulliste ») ! Tous sont convaincus, pour des raisons différentes, que le vieux général (il a 68 ans) sera leur porte-parole et le défenseur de leurs intérêts évidemment contradictoires, voire opposés. Les ambiguïtés des différents discours De Gaulle leur laissent d’ailleurs tout espoir.
 
De Gaulle ? Sûrement pas ! s’insurgent un certain nombre d’hommes politiques, majoritairement socialistes et communistes, parmi lesquels un certain François Mitterrand. Ils craignent d’une part de voir l’aggravation des tensions et la reprise des combats que son arrivée au pouvoir serait censée provoquer en Algérie. Ils s’inquiètent en outre ouvertement des risques de dictature qu’un tel homme ferait, selon eux, peser sur la république. Pour eux, De Gaulle, c’est un peu Napoléon III : avançant masqué derrière la volonté populaire, il pourrait en profiter pour prendre le pouvoir à son seul bénéfice personnel. Pourtant, s’était défendu De Gaulle déjà en 1954 : « Est-ce à 64 ans que je vais entamer une carrière de dictateur ? » (conférence de presse).
 
Qui René Coty va-t-il appeler au poste de Président du Conseil ?
 
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Le 29 mai 1958, René Coty appelle… Charles De Gaulle (général bien connu en retraite) pour former un gouvernement.
 
Parmi les parlementaires, c’est la bronca : ils menacent de ne pas l’investir en tant que Président du Conseil. René Coty, contre toute attente, hausse alors le ton et… menace de démissionner ! Cette sortie inattendue, ce risque imprévu d’écroulement des institutions ont raison des réticences des députés. De Gaulle devient Président du Conseil. Il sera le dernier de la IVème république.
 
Car le nouveau Président du Conseil ne perd pas de temps : dès le 3 juin 1958, il fait voter une loi de pleins pouvoirs en faveur de son gouvernement pour 6 mois (cela concerne la question algérienne) et une loi de révision constitutionnelle.
 
Les jours de la IVème république sont comptés.
 
Car De Gaulle est évidemment profondément hostile à ce qu’il nomme le « régime des partis » . Il a donc une idée fixe : redonner le pouvoir au peuple par la tenue de referendums et renforcer le rôle de l’Exécutif, selon lui unique gage de la capacité des Pouvoirs Publics à prendre des décisions énergiques dans les moments de crise.
 
Pour ses opposants (majoritairement de gauche), ces options idéologiques ne peuvent conduire qu’au « césarisme » (le pouvoir personnel). Napoléon 1er et Napoléon III ne firent-ils pas, les premiers, un usage immodéré et dévoyé de ces referendums (appelés « plébiscites ») pour faire ratifier des décisions purement personnelles, et cela par des scores typiques de dictatures ?
 
Mais l’intéressé, lui, se moque bien des indignations des politiciens. Du haut de son imposante stature à la fois physique (un double mètre) et historique, il toise ces agités avec mépris et en appelle rapidement directement au peuple.
 
Le 28 septembre 1958, un referendum a lieu : 30 millions d’électeurs votent à 66 % en faveur du texte de la nouvelle constitution, laquelle est promulguée le 4 octobre 1958. Combien de votants ont réellement lu le texte ? Peu importe : l’onction du suffrage universel populaire est là, la France entre dans l’ère de la « Cinquième république », la république gaullienne.
 
De Gaulle s’est taillé là une constitution sur mesure qui va, hélas, se révéler adaptée aux évènements graves que le pays traverse.
 
Voyons-en brièvement quelques dispositions, pour ce qui concerne, bien sûr, uniquement le Président.
 degaulle1965.jpg
- Le Président nomme le Premier Ministre (art. 8) : ce dernier est responsable devant le Parlement mais, vu son mode d’élection, le président de la République, ne l’est pas
- Il a seul (à l’époque) l’initiative des referendum (tant qu’à faire !)
Il peut s’octroyer (à sa seule initiative !) des pouvoirs spéciaux et illimités en cas de crise (art. 16) : cette possibilité a notamment permis au général De Gaulle de réagir rapidement face au « putsch des généraux » en Algérie d’avril 1961 
- Il peut dissoudre l’Assemblée nationale (art. 12) : une prérogative exorbitante à peine tempérée par le fait qu’il ne peut pas le faire plus d’une fois par période de douze mois !…
- Dans la pratique, le général De Gaulle considère les affaires militaires et diplomatiques comme le « domaine réservé » du Chef de l’Etat
 
Pourtant, le Président de la Cinquième République est encore, à cette date, élu au suffrage indirect. Le 21 décembre 1958, très exactement 81 764 « grands électeurs » (députés, sénateurs, conseillers généraux et municipaux) élisent le général De Gaulle comme nouveau Président de la République par le score incontestable de 79 %.
 
Au fait, y avait-il des adversaires ? Oui : le communiste Georges Maranne (13 % des voix) et Albert Châtelet (Union des Forces Démocratiques : 8 %) qui n’ont pas laissé leur nom dans l’Histoire…
 
Le referendum populaire, c’est vraiment le truc du général De Gaulle. Il fait valider, quasiment à chaque grande étape, l’inflexion de sapolitique algérienne. Il est vrai qu’elle subit un virage à 180 degrés puisque, après avoir choisi le statu quo et la répression du FLN puis exploré, sans succès, la voie de réformes politiques locales (vote de tous les habitants d’Algérie, natifs ou Pieds-Noirs, sur un pied d’égalité), il engage le retrait progressif de la présence française. L’autodétermination en Algérie est votée avec 75 % de « OUI » le 8 janvier 1961 et l’indépendance est accordée avec que 92 % des votants aient dit également « OUI » le 8 avril 1962.
 
Mais cela, c’est la validation d’une politique, ce que De Gaulle a comme ambition, c’est de frapper un grand coup constitutionnel en donnant une inflexion jamais vue aux institutions de la république. Comment ? En faisant directement élire le Président de la République, « clef de voûte des institutions », au suffrage universel DIRECT et à deux tours : par vous, par moi, par les masses populaires, par le peuple, quoi ! Deux tours : le premier pour choisir, le second pour éliminer et, au final, un vainqueur élu avec plus de 50 % des voix et donc à la légitimité incontestable.Du jamais vu dans l’histoire de la République…
 De-Gaulle-2.jpg
Le 28 octobre 1962, un nouveau referendum est donc proposé aux Français.
 
Tous les partis, de droite comme de gauche (et à l’exception du parti gaulliste, évidemment) se déchaînent contre l’idée d’une élection au suffrage universel direct. Cela incarne, pour eux, le retour du « plébiscite napoléonien » ! Cela fait également courir à la république un risque de paralysie avec une double légitimité, forcément concurrente, pour l’Exécutif et le Législatif !
 
Pourtant, le résultat est sans appel : avec 62 % de OUI, la proposition gaullienne est validée par le peuple. 
 
Qu’importe. L’opposition au régime et aux idées gaullienne ne désarme pas. Deux ans plus tard, en 1964, le socialiste François Mitterrand, ancien ministre de l’Intérieur (1954 – 1955) au plus fort de la crise algérienne (« L’Algérie, c’est la France et le seul dialogue, c’est la guerre ») publie un livre qui dénonce à la fois les institutions et le mode de gouvernement du général De Gaulle. Il qualifie tout bonnement cette constitution de « coup d’état permanent » : une formule percutante qu’il développe au long d’un ouvrage éponyme et dans des termes d’une rare violence dont vous pouvez juger ci-après.
 
- Critique des Institutions
« Le “secteur réservé” viole la Constitution. En interprétant abusivement l'article 15, qui fait de lui le “chef des armées” et l'article 52, qui l'autorise à négocier et à ratifier les traités, De Gaulle a fait passer sous sa seule autorité la Défense nationale et les Affaires étrangères. »
« J'ai voté contre la Constitution de 1958 parce qu'elle exprimait un fâcheux contexte politique (l’arrivée de De Gaulle au pouvoir sous la pression populaire en 1958). De l'auteur d'un coup d'État, il me paraissait vain d'attendre les scrupules d'un légiste. [...]. La « Constitution », au même titre et au même rang que la « conspiration », ne serait pour (lui) qu'une étape dans la voie qu'(il) s'était tracée. »
 
- Critique de la pratique du pouvoir
« J'appelle le régime gaulliste dictature parce que, tout compte fait, c'est à cela qu'il ressemble le plus, parce que c'est vers un renforcement continu du pouvoir personnel qu'inéluctablement, il tend, parce qu'il ne dépend plus de lui de changer de cap. Je veux bien que cette dictature s'instaure en dépit de De Gaulle. Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d'un nom plus aimable, consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres. Alors elle m'apparaît plus redoutable encore. » 
Miterrand-1959.jpg
« Je n'accuse pas la Ve République d'être un régime policier parce qu'elle entretient des nuées de policiers, mais parce que son origine, ses mœurs, ses ambitions, son système politique, la condamnent à contrôler par des moyens qui lui sont propres les rouages chaque l'État, chaque cellule du pays. [...] Son vrai Premier ministre, c'est la police. [...]. »
 
Observons que, à cette constitution et à ces pratiques politiques si critiquable, François Mitterrand, une fois parvenu au pouvoir suprême en 1981, ne changera pas une virgule. Les quatorze années de son règne seront même ponctuées de scandales et d’abus de pouvoir éhontés : mensonges officiels sur son cancer et sa fille adultérine, écoutes téléphoniques illégales par un groupe de gendarmes ne relevant que de sa seule autorité, plasticage du navire Rainbow Warrior de Greenpeace dans un port étranger…
 
Mais passons...
 
Revenons à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct qui, avec le referendum du 28 octobre 1962, est désormais gravé dans la constitution. Quoique critiquée par la majorité des hommes politiques, elle attise pourtant évidemment les ambitions individuelles de ceux-ci. Eh quoi ! Si le Président de la république est désormais élu au suffrage universel direct, c’est donc que la prochaine, la première élection de ce type aura lieu en décembre 1965 ! Etre candidat à une élection que, pourtant, on réprouve, fait partie de ces ambiguïtés, de ces reniements dont les politiciens ne sont évidemment pas avares.
 
Tout le monde politique se prépare donc. Chacun compte profiter de ce que l’historien Michel Winock appelle un « mécontentement endémique » en France, et ce, malgré une société de quasi-plein emploi, où la croissance atteint 5 % par an et qui est rentrée de plein pied dans la consommation exponentielle de télévisions, voitures, meubles, etc... Qui est mécontent, par exemple ? Les paysans, qui protestent contre le remembrement, les fonctionnaires qui s’insurgent contre des salaires plus faibles que dans le privé, les smicards qui revendiquent contre une revalorisation du minima trop lente, les contribuables qui s’indignent contre les hausses d’impôts, les baisses des subventions et le contrôle des prix, les mineurs se lamentent de leur condition, etc…
 
L’élection présidentielle est prévue, donc, pour décembre 1965 et, dès 1962, donc, la campagne électorale s’engage. Elle va durer 3 ans dans une course de fond dont je vous épargne les rebondissements. Le paysage politique va définitivement se figer dans les 6 derniers mois de 1965.
 
A droite, les partis modérés ou libéraux hésitent à défier ouvertement le général De Gaulle. Antoine Pinay, par exemple, retire sa candidature potentielle à la mi-1965.
 
A gauche, c’est la division (en fut-il jamais autrement dans la gauche française ?) mais, grossièrement, la question centrale demeure : doit-on s’allier avec les communistes ? L’homme fort de la gauche non-communiste est à l’époque Pierre Mendès-France. Va-t-il se présenter ? Non. Cohérent avec son opposition irréductible à la constitution de la Vème république et à l’élection de son Président au suffrage universel direct, « PMF » refuse de se poser en candidat. Voilà une droiture morale et une cohérence intellectuelle qui l’honorent. Mais qui laissent la place vide.
 
Le candidat « naturel » restant, disposant d’une autorité incontestable et d’un ancrage provincial solide, par ailleurs favori des sondages est alors le socialiste Gaston Defferre. Problème : Gaston Defferre est ouvertement hostile aux communistes avec lesquels il refuse de s’allier (poids électoral du PCF à l’époque : 22 % tout de même). Il préfère tendre la main aux centristes (partis de gauche modéré, centre-droit) pour favoriser un gouvernement modéré et réformiste. Ils se heurte toutefois à la méfiance de ceux-là même qu’il courtise, qui lui refusent toute ouverture. Il retire alors sa candidature le 25 juin 1965… Patatras !
 
C’est à ce moment que le PCF, profitant d’une certaine manière du décès, au même moment, de son leader de l’époque Maurice Thorez, va faire une offre à la SFIO (le PS de l’époque) pour tenter de s’accorder sur le nom d’un candidat à soutenir conjointement. Le nom de ce candidat, proposé en septembre 1965 par Waldeck Rochet (PCF) à Guy Mollet (SFIO) stupéfie ce dernier : « Vous êtes fous ! C’est un aventurier ! » (Charles Fiterman : « Profession de foi » 2005).
 
Pourtant, ce candidat presque « par défaut » va finir par s’imposer : il annonce sa candidature le 9 septembre 1965 lors d’une conférence de presse à l’hôtel Lutétia à laquelle assistent ostensiblement Rochet et Mollet.
 
Qui est cet homme ? François Mitterrand.
 
L’élection présidentielle au suffrage universel direct de décembre 1965 (1er tour : 5 décembre, 2ème tour : 19 décembre) est une élection où les innovations techniques vont le disputer au pittoresque et à l’imprévu.
 
La grande nouveauté est d’abord la possibilité pour les candidats d’utiliser, à temps égal, les ondes de France Inter et le canal de la première chaîne de télévision. Pour la TV : 2 heures sont octroyées royalement à chaque candidat pour convaincre les Français (environ 35 % des foyers français sont désormais équipés, soit 6,4 millions de téléviseurs). Les interventions sont concentrées entre le 19 novembre et le 3 décembre 1965 mais aucune ne sera retransmises en direct.
 
Face à l’utilisation de ce media nouveau et potentiellement dangereux, il s’agit en effet de ne permettre aucun « dérapage » médiatique susceptible de troubler le téléspectateur : prudence et retenue sont les maîtres mots. Certes, d’aucuns crient à la censure. Il n’empêche. La télévision a jusqu’à présent été entièrement accaparée par le pouvoir gaulliste et a servi, sans contrepoids, la propagande du régime gaullien, parfois de façon éhontée. Un tel espace de liberté, même limité, est, en 1965, une véritable révolution politique et sociologique. Les Français suivent alors massivement cette campagne d’un genre nouveau et regardent les émissions où ils peuvent : en famille, chez les voisins, dans les cafés… Ils découvrent avec étonnement des candidats qui n’hésitent pas à critiquer le pouvoir en place, blâmer le pouvoir personnel du général-président (on se croirait dans une république bananière) ou contester la réalité de la démocratie française !
 
Mais parler à l’œil glacé de la caméra, dans un décor banal, environné de fils, de spots et de techniciens n’est pas si facile et, fatalement, cet exercice télévisuel ne va pas réussir à tous les candidats. Quels sont-ils ? Il s’agit, après moult tergiversations, atermoiements, retraits et manœuvres politiques dont je vous fais grâce, de ceux qui, réunissant les 117 signatures requises (il en faut 500 aujourd’hui) :
 
·         Jean-Louis Tixier-Vignancour (il a été le premier à se déclarer)
·         Pierre Marcilhacy 
·         Jean Lecanuet
·         François Mitterrand (déjà)  
·         Marcel Barbu (ça ne s’invente pas)
·         et Charles De Gaulle (on s’en serait douté)
 
Découvrons leur profil, leur campagne et leurs résultats au premier tour de l’élection.
 
·         Jean-Louis TIXIER-VIGNANCOUR incarne ce que nous appellerions aujourd’hui la « droite nationale ».
 
Politiquement, c’est un peu « le Jean-Marie le Pen » de l’époque. Ténor du barreau à la voix de bronze, ce sexagénaire est un acteur rodé au spectacle des prétoires et habitué à faire vibrer les foules. Ancien secrétaire-adjoint à l’information du gouvernement du Maréchal Pétain, en 1940, il a été décoré de la francisque (il n’est pas le seul des candidats, d’ailleurs…). Anti-gaulliste « inconditionnel », il a été le défenseur de Jean-Marie Bastien-Thiry, âme du complot visant à assassiner le général De Gaulle au Petit-Clamart (Yvelines) en 1962. Député de 1956 à 1963, il s’est illustré par ses réparties, son éloquence et ses mots d’esprit (« La Corrèze passe avant le Zambèze ! ») Il entend rallier les voix des nostalgiques de l’Algérie française et va faire une campagne tonitruante durant l’été 1965, faisant la tournée des plages de France avec une caravane et un cirque devant un public nombreux et conquis.
 
A la télévision, toutefois, ses prestations vont être décevantes. S’il est un tribun redoutable et une vedette des prétoires, tixier-Vignancour ne peut plus utiliser, dans un studio et sous l’œil glacé de la caméra, les effets de manche, les gestes mélodramatiques et les trémolos qui lui permettent de faire ordinairement vibrer les foules et de convaincre les jurés. Le 20 octobre 1965, il prédit qu’il arrivera en troisième position et qu’il y aura « ballottage ». Pourtant, au soir du 5 décembre Il ne va rassembler modestement que 5,3 % des suffrages mais aura au moins la satisfaction d’avoir raison sur un point… 
 
·         Pierre MARCILHACY est un colosse (deux mètres de haut !). C’est un notable de province à l’esprit indépendant et qui joue pour la première fois sur la scène politique nationale.
 
Sénateur de Charente, il est toutefois dépourvu d’un réel « appareil politique » permettant de le soutenir. Il défend un « travaillisme humaniste » et adopte un style lyrique : « Au-delà de cet automne 1965 qui se termine, tel le septennat, dans les ouragans, la pluie et la tempête, il y a pour cette France que nous aimons passionnément tout un renouveau dont je suis sûr qu’il sera fait de sagesse et de liberté ». Ces subtilités théorique et rhétoriques ne parviendront à convaincre que 1,7 % des votants. 
 
·         Jean LECANUET, député issu du « centre-droit », va être la révélation médiatique du scrutin.
 
Le sénateur-maire de Rouen est un fringant quadragénaire (44 ans) qui a décidé d’incarner la « droite non-gaulliste ». Ses objectifs : redonner de la jeunesse au paysage politique (il est le plus jeune des candidats), moderniser les débats autant sur le fond (c’est un européen convaincu qui veut accélérer la construction européenne) que sur la forme. Il pose ostensiblement « à l’américaine », en famille (une femme souriante et trois enfants) et dans son intérieur. Il affiche un sourire éclatant qui lui vaut immédiatement le surnom de « dents blanches ». Son entrée en matière lors de sa première intervention télévisée frappe l’imagination : « Bonjour, je m’appelle Jean Lecanuet. J’ai 44 ans. Je suis agrégé de philosophie… » ! Ca en impose, non ?
 
Jean Lecanuet a des idées neuves, une diction impeccable, un physique avenant et surtout, va le démontrer, il incarne un vrai électorat de centre-droit modéré : il va réaliser un score d’un peu moins de 16 %. 
 
·         Mais c’est à Marcel BARBU, Français moyen et invité-surprise de l’élection que revient la palme du pittoresque.
 
Le lundi 22 novembre 1965, Marcel Barbu apparaît sur le petit écran : c’est un ancien déporté de Buchenwald qui a été autrefois député de la Drôme. Le combat de Barbu est entièrement populaire : c’est celui des Français de base, notamment provinciaux, et des mal-logés, contre les abus, les inerties et les lenteurs de l’administration française ! Il annonce sans rire : « Je suis le candidat des chiens battus… » et clame son « indignation ». Il milite en faveur d’une « démocratie raisonnable » qui permettra d’accéder enfin à l’« ère de la paix ».
 

Plus finaud qu’il n’y paraît, malgré son béret basque et ses sourcils tombants, Barbu a compris la formidable portée des média audio-visuels et entend en profiter à fond même s’il n’a, en réalité, aucune illusion. Mais sa prestation ne lui permettra pas de créer la surprise électorale. Il obtient 1,2 % des voix.

 

·         François MITTERRAND, pour sa part, va tirer son épingle du jeu électoral.
 

Mitterrand, 49 ans à l’époque, est un opposant irréductible et acharné à la Vème république et à son général-président-fondateur.

 
Bien qu’il soit, à titre personnel, contre le principe d’une élection du président de la république au suffrage universel direct, Mitterrand n’a pas hésité, contrairement à Pierre Mendès-France, à se présenter à cette même élection… Profitant du vide laissé à gauche par la défection de « PMF » et de Gaston Defferre, son sens politique lui a permis de s’imposer, au vrai un peu par défaut, comme candidat des socialistes et des communistes réunis : une performance quand on se rappelle que, quoique apparenté à gauche, il n’est membre ni de la SFIO (socialiste) ni du PCF. 
 
 
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