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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1788 : LOUIS XVI, le réformateur inattendu (1)

Publié par La Plume et le Rouleau sur 6 Mai 2007, 23:10pm

Catégories : #Personnalités célèbres

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,

Merveilleux pays que la France : nation versatile, généreuse, jamais contente de son présent, toujours nostalgique de son passé, incurablement inquiète de son avenir, aussi bien armée d’une confiance inébranlable en sa pérennité que pratiquant l’auto-flagellation d’un « déclinisme » pathologique permanent.

Mais ce qui frappe surtout, chez les Français, c’est leur tempérament conservateur assorti d’une soif inextinguible de changement.
 
Car reconnaissez-le vous-mêmes : plus que jamais, après ce premier tour de l’élection présidentielle 2007, vous en êtes convaincus… Pour échapper aux ravages de la mondialisation, de l’immigration, de l’impérialisme américain, du fédéralisme européen, du terrorisme islamiste, d’extrême droite, d’extrême gauche, du séparatisme, corse, basque, irlandais ou sri-lankais, des OGM, de la grippe aviaire, de la vache folle, de la tremblante du mouton, des yaourts périmés, des biftecks décongelés et des bières frelatées, des criquets, des moustiques, des mites, des termites et des sauterelles, de la morosité ambiante, du rhume des foins et du coryza, des taxes, des impôts, des PV, de la hausse des prix et des taux d’intérêts (et j’en passe), les choses doivent changer, oui !
En 1995, Jacques Chirac avait pourtant déjà promis de réduire la « fracture sociale ».
En 1981, François Mitterrand entendait, lui, incarner le « changement » à l’aide de  110 propositions parmi lesquelles : la réduction du temps de travail à 35 heures, le droit de vote pour les étrangers aux élections municipales, la réduction à six mois du service militaire et le quinquennat… (on voit ce qu’il advint de tout cela !)
En 1974, véritable spécialiste de la relaxation politique, Giscard d’Estaing voulait, lui, pratiquer « la décrispation »…
Et la liste serait longue de toutes ces réformes nécessaires et annoncées, évoquées, promises, parfois engagées, toujours remises à plus tard et en tous cas jamais abouties en raison de la multitude de manifestations, revendications, défilés, grèves, obstructions et résistances diverses plus ou moins légitimes des corporatismes concernés. Des échecs et des renoncements qui n’eurent, au final, qu’une seule conséquence : écœurer l’électeur, décrédibiliser les élus et favoriser un vote protestataire dont, ensuite, les responsables de cet immobilisme se scandalisèrent avec indignation.
Mais il paraît, là encore, que, en 2007, cela va changer...

Ségolène Royal a envie, elle, que « ça change fort » avec, désormais, les mêmes droits pour tous et un emploi pour chacun dès la sortie de l’école. Quant à Nicolas Sarkozy, il nous promet une « rupture » (mais aussi une « ouverture »), le plein emploi, que les élèves se lèveront bientôt de nouveau lors de l’entrée du professeur dans les classes et que l’on mettra fin aux régimes « spéciaux » de retraite (500 000 cotisants pour 1 080 000 retraités…). Banzaï !

Eh bien, aujourd’hui, au lieu de vous parler d’un dirigeant qui fit des promesses de réformes sans jamais les tenir, je vais vous parler d’un homme qui décida au contraire de faire des réformes sans qu’on lui en demande, soucieux qu’il était de décoincer son pays avant que, définitivement, tout ne lui saute à la figure… Un homme : un roi. Mais quel roi ?

Retrouvons-nous donc dans les dernières années du XVIIIème siècle, dans une drôle de France aujourd’hui disparue.

Louis XV, souverain indécis et débauché, est mort de la variole le 10 mai 1774 à l’âge de 64 ans, laissant le royaume à son troisième petit-fils, le futur Louis XVI, né en 1754 et dont les deux frères aînés étaient décédés en 1761 et 1754.

Louis XVI monte donc sur le trône en 1775, à 21 ans, cinq ans après son mariage avec Marie-Antoinette de Habsbourg et un an après la mort de son grand-père Louis XV. Nous pourrions le dépeindre brièvement ainsi :

- un érudit conscient de ses qualités intellectuelles et de son rôle de roi

- mais un homme soucieux de modernité, décidé à être en phase avec son époque, influencé qu’il est par l’esprit des Lumières

- en butte à l’opposition politique de grands personnages décidés à entraver ses velléités en le discréditant

- et, surtout, ayant à faire face aux pesanteurs, corporatismes et immobilismes d’une société aux multiples blocages internes et qui se crispe face à toute tentative de réforme.

L’Histoire, impitoyable avec les vaincus, a tourné en dérision une personnalité jugée « simplette » : celle d’un monarque indécis, versatile et pusillanime, manipulé par ses conseillers, sous l’influence croissante de sa femme Marie-Antoinette, peu au fait des questions de pouvoir et finalement réfugié dans des marottes telles que la serrurerie, la chasse ou les bons repas. Bref, Louis XVI aurait été un mollasson infantile, un roi peu doué, sans poigne ni clairvoyance : c’était assurément une façon de ne pas le « victimiser » auprès des générations futures et de suggérer que, peu ou prou, il n’aurait eu en fin de compte que ce qu’il méritait… 

Mais les historiens ont, depuis quelques années, revisité la question et remis quelques éléments à leur place. Inattendu Louis XVI, donc : c’est de lui et des dernières années de son règne dont les chroniques de la Plume et du Rouleau vous parleront aujourd’hui.

1775 : Une personnalité inédite sur le trône de France

Louis XVI accède donc au pouvoir en 1775. Les plus fins observateurs de la cour notent alors quelques différences entre le nouveau souverain et le précédent (son grand-père Louis XV) :

Pas de goût particulier pour les femmes (alors que Louis XV avait scandalisé une opinion, pourtant tolérante, en raison de ses débauches avec des prostituées parfois fort jeunes. Il s’en méfie en effet et redoute leur frivolité et leur versatilité qui lui semblent autant de menaces à la prise de décisions pondérées et raisonnables : les premières années de son règne seront ainsi marquées par une grande défiance vis-à-vis de sa femme Marie-Antoinette. Il se défie également des courtisans et favoris, qu’il craint et tient éloignés. Mais à trop tenir son entourage en lisière, on s’isole…

Louis XVI manifeste ainsi un refus ostentatoire, précisément, d'entrer dans le jeu de l'étiquette de cour, laquelle permet d’octroyer un rôle et un statut social à une Haute noblesse dont l’influence est, en contrepartie depuis Louis XIV, sévèrement cadenassée au bénéfice d’une noblesse plus récente et technocratique.

L’aristocratie va évidemment amèrement lui reprocher cette attitude plus « libérale ».

Louis XVI a du goût, en revanche, pour la chasse : il note presque avec maniaquerie tout ce qui advient lors de ses parties de chasse (parfois jusqu’à 8 heures d’affilée : hirondelle tuée, chien blessé…)

Louis XVI pâtit d’un caractère parfois "étourdi" qui peut s'expliquer d’une part par une réserve (voir une timidité) naturelle, d’autre part par une forte myopie qui isole le roi du monde en ne lui permettant pas de reconnaître facilement ses interlocuteurs. On mesure l’effet désastreux de ce handicap dans un système monarchique où tout regard appuyé, tout dédain, toute inclinaison de tête ou de menton sont immédiatement notés et commentés parmi une cour à la gestuelle subtilement codifiée…

Louis XVI affiche, par dessus tout, un comportement plus « simple », plus accessible, presque plus paternel et l’exercice (inédit et presque inconvenant) d’activités manuelles telles que la serrurerie ou encore, occasionnellement, le terrassement ou le jardinage, en bras de chemise et en compagnie des ouvriers et hommes de peine du château de Versailles… Stimulé par les préceptes de ses professeurs, Louis XVI entend ainsi délaisser la gloire « politique » affectionnée par son aïeul Louis XIV et marquée par un decorum ostentatoire et un culte de la personnalité. Louis XVI considère que la « vraie gloire » consiste à œuvrer pour le bien de son peuple. On s’amuse, on s’étonne du tempérament renfermé et solitaire du monarque dont l’intelligence et la culture, par ailleurs, ne font aucun doute. Où veut en venir le roi ? Pourquoi est-il à la chasse et non aux affaires du royaume ?

1775 : Un érudit sur le trône de France

Le plan d’éducation du futur « Louis XVI », mis au point par son propre père, le Dauphin Louis-Ferdinand (décédé en 1765) et mené par le précepteur de Louis XVI, La Vauguyon, explique l’érudition du nouveau monarque. De fait, lors de son accession au trône, en 1775, le jeune Louis XVI est le premier monarque français à parler couramment anglais. Il connaît aussi le latin, l’allemand, l’espagnol et l’italien. Il s’est exercé à la logique, la rhétorique, et la grammaire. Il pratique l’astronomie et la géométrie. Il a, fait notable pour un monarque, des connaissances en économie (c’est rare à l’époque) et des connaissance étendues en histoire et en géographie (qu’il affectionne).

Il se passionne du reste pour les questions de marine. Malgré une longue tradition visant à privilégier l’armée de Terre au détriment de la Marine (encore en vigueur en 2007…), Louis XVI fera de celle-ci une priorité de sa politique étrangère et, sur le plan scientifique, il mandatera en 1785 le navigateur Jean-François de La Pérouse pour effectuer le tour du monde et la cartographie.

Louis XVI favorisera également l'implantation en France de la culture de la pomme de terre, rapportée d’Amérique par Parmentier.

1775 : Un roi face sensibles aux évolutions de son époque

Depuis une cinquantaine d’années, l’ensemble système monarchique, établi depuis mille ans, est remis en question. A une époque où l’Europe du nord a déjà expérimenté la monarchie constitutionnelle depuis plus de cinquante ans, la France de 1775 fait (déjà) figure d’exception en conservant toujours le régime centralisé, rigide et absolutiste qui a fait le succès de Louis XIV… soit un siècle auparavant.

Pour résumer la façon dont le système monarchique subit les coups de boutoir des « intellectuels », laissons modestement la place à l’historien du droit François Garrisson (par lequel votre serviteur fut autrefois personnellement distingué pour ses travaux universitaires dans cette matière) :

« A partir de 1750, nous dit l’auteur (Histoire du droit et des institutions, éd. Montchrestien, 1984), l’idéologie montante récuse l’héritage du passé : à l’autorité de la tradition, elle oppose une autre autorité, celle de la « raison ». (…) C’est une raison critique, une raison militante qui a pour principe le libre examen et pour fin l’affranchissement de l’individu. Ce nouvel humanisme, dont les prémices remontaient au tournant du XVIIème et du XVIIIème siècle avec des auteurs tels que Locke, Bayle et Fontenelle, rassembla les modernistes de pointe qui, tous, se voulaient « philosophes ». (…) Leur offensive (…) s’exprima au travers d’une littérature brillante, frondeuse et multiforme : pamphlets, essais en nombre (le titre était à la mode), romans ou contes (ceux de Voltaire notamment), comédies satiriques (Beaumarchais, Marivaux…) et même un vaste dictionnaire, l’Encyclopédie que dirigèrent Diderot et d’Alembert.(…) La qualité des œuvres n’a pas seule motivé leurs succès, il s’y ajouta le concours d’une intense vie de relations au sein des élites du royaume. Académies savantes, salons, cafés ou clubs, sociétés de pensées (dont les multiples loges maçonniques fondées durant le siècle), furent autant de foyers d’expansion pour les idées nouvelles ».

Et Louis XVI dans tout cela ? Le nouveau roi ne semble pas réfractaire aux idées nouvelles, bien au contraire. Louis XVI, dans son éducation, a été fortement influencé par Montesquieu (1689 – 1755) et s’est pris à imaginer une monarchie tempérée grâce à l’application des principes évoqués dans l’ouvrage phare de cet académicien : « L’esprit des lois » (1748). Attention ! « Tempérée » ne veut pas (encore) dire « constitutionnelle ». Pourtant, certains n’attendent qu’une ouverture pour franchir le pas

A peine installé sur le trône, en 1775, Louis XVI rétablit ainsi l’autorité des « Parlements » : les cours de justice, sortes de cours d’appel et de cassation régionales, que Louis XIV, lui, avait purement et simplement fait supprimer ! Celles-ci avaient précédemment pour mission de valider la forme des décisions royales et de leur conférer ainsi leur caractère exécutoire : une fonction que les juristes avaient progressivement transformée en « contrôle » effectif du fond et qui avait ensuite motivé un « serrage de vis » louis-quatorzien.

Il n’y avait qu’une seule autorité, absolue : celle du roi ! Qu’on se le dise.

Dans ces conditions, l’initiative libérale de Louis XVI envoie un signal fort aux juristes du royaume : si le roi est toujours « source de toute justice », il admet que, dans les faits, il ne saurait exercer ce pouvoir directement et tout seul, sous peine de tomber alors dans l’arbitraire et le despotisme ; d’autre part, s’il le monarque est toujours, de droit, le législateur suprême, il ne saurait se passer de la vérification de la validité de ses décisions par des corps constitués de spécialistes du Droit…

Autrement dit : Louis XVI entérine, dès son installation sur le trône, l’idée que le monarque, pourtant de droit divin, partage avec les techniciens que sont les « parlementaires » (juristes) le pouvoir législatif et judiciaire.

Les conséquences de cette évolution vont évidemment être immenses, même si elles tarderont à se faire sentir. Car, au royaume de France, en cette fin du XVIIIème siècle, le feu couve sous la cendre…

Le royaume de France, en 1775, est en paix. Il n’y a pas de guerre qui ravage les provinces et pas de disette. A Paris, toutefois, on observe avec attention l’évolution politique des colonies anglaises d’Amérique.

Depuis 1763, déjà, les colons anglais installés en Amérique refusent d’acquitter les impôts au roi d’Angleterre, boycottent les produits britanniques et se livrent à des actes de violence contre les représentants du gouvernement. La rébellion s’organise progressivement. En 1775, une armée de volontaires se constitue même sous le commandement d’un certain Georges Washington. La guerre entre les insurgés (« insurgents ») et les troupes métropolitaines est inévitable.

1776 : La domination anglaise en Amérique est contestée

Le 12 juin 1776, un « Congrès » américain proclame l’indépendance, affirme la légitimité de la révolte contre les gouvernements abusifs, la liberté des citoyens et le droit au bonheur. On n’a jamais vu cela dans le monde. La foule parisienne s’enthousiasme devant les efforts d’un jeune peuple qui secoue le joug de la tyrannie (surtout la tyrannie anglaise). Le gouvernement de Louis XVI, naturellement, considère ces évènements avec bienveillance. Il multiplie les contacts discrets pour aider les révoltés mais sans déclencher une guerre ouverte avec l’Angleterre.

Les initiatives d’un aristocrate de province, un peu rugueux, un peu exalté, très entêté, certainement courageux et un brin rebelle vont servir la politique étrangère de Louis XVI…

1777 : Un marquis en Amérique

En 1777, Gilbert de La Fayette, marquis et officier dans l’armée royale où son manque d’appui politique et son mauvais caractère le privent de tout espoir d’avancement significatif, sollicite un congé, recrute des hommes et arme un bateau à ses frais et contre l’avis du roi. Le 26 avril 1777, il fait voile plein ouest, direction : l’Amérique. Il part, de sa propre initiative, combattre pour la liberté. Il l’a écrit au Congrès américain avec l’emphase et l’enthousiasme de la jeunesse (il a vingt ans) : « Dès l’instant où j’ai su que (l’Amérique) combattait pour la liberté, j’ai brûlé de verser mon sang pour elle ! » Là-bas, les « Américains » sont bien mal en point : 3 000 insurgés mal équipés composent la maigre armée de Washington et harcèlent péniblement l’occupant anglais.

A l’arrivée de La Fayette outre-Atlantique, pourtant, c’est la déception : les freluquets français, même pas mandatés par Louis XVI, sont accueillis avec suspicion. Sont-ce encore des mercenaires, ainsi qu’en comptent déjà les rangs des insurgés, avides de faire le coup de feu et de gagner rapidement de l’argent ? L’enthousiasme et l’abnégation de La Fayette forcent pourtant les résistances des insurgés : avec panache, il propose même de s’engager comme simple volontaire, sans grade et sans solde ! Ces Français sont incroyables… Washington donne son accord.

A partir de 1778, la guerre s’étend sur les océans et engage la France et l’Espagne contre l’Angleterre. La Fayette s’acquitte de nombreuses missions militaires et gagne la confiance affectueuse de Georges Washington. En 1779, il revient à Paris pour demander l’envoi d’un corps expéditionnaire français en Amérique. Il obtient l’accord de Louis XVI malgré une petite déception : ce n’est pas lui, mais l’expérimenté Rochambeau (55 ans), qui reçoit le commandement des 6 000 hommes qui partent, le 2 mai 1780, de Brest pour combattre en Amérique.

1781 : Victoire à Yorktown

Ce renfort change la face du conflit anglo-« américain ». Les troupes de Washington, minées par les désertions et l’indiscipline, reçoivent en effet l’apport de soldats français bien équipés et entraînés qui encerclent les troupes du général Cornwallis et remportent (le 18 octobre 1781) la bataille de Yorktown. Elevé au grade de Maréchal de camp, La Fayette revient en France en triomphateur. En Amérique, toutefois, cette défaite ne met pas fin à la guerre, qui continue.

L’historien Guy Chaussinand-Nogarey nous le dit : « (à son retour) La Fayette se livre à une prédication active dans les salons, les cercles et les sociétés où il est fêté. D’Amérique, il rapporte deux convictions :

- la supériorité de la démocratie, qu’il vante sans en mesurer les conséquences ni les dangers pour le régime qu’il sert

- le charme et la simplicité républicaine qu’il admire en Washington et en Franklin, et qu’il rêve de voir adoptée par le roi (…)

Il expose la nécessité d’un contrôle du pouvoir par une assemblée semblable au Congrès (…) Ce démocrate inconséquent, ce monarchiste hésitant danse néanmoins avec la reine (tout en) propageant parmi les courtisans des idées provocantes (...) »

 

Et les finances du royaume, dans tout cela ?

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