Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,
Le tableau ci-après offre une vue synthétique des principales caractéristiques des récits et de l’incroyable diversité des lieux, dates et intrigues des 42 romans.
Titre | Date de parution | Année où ça se passe | Lieu | Personnage principal | Personnage féminin principal |
KOENIGSMARK | 1918 |
1913-1914 (évènements) et 1915 (narration) |
Paris - Duché allemand (imaginaire) de Lautenbourg- Detmold |
Raoul Vignerte |
AURORE de Latenbourg-Detmold |
L'ATLANTIDE | 1919 |
1896 (évènements) et 1906 (narration) |
Sud de l'Algérie |
André de Saint- Avit |
La reine ANTINEA |
POUR DON CARLOS |
1920 | 1875 | Paris – Espagne |
Olivier de Préneste |
ALLEGRIA |
LE LAC SALE | 1921 |
1858
|
Etats-Unis | Rutledge |
ANNABEL Lee |
LA CHAUSSEE DES GEANTS |
1922 | 1917 | Irlande | François Gérard | ANTIOPE |
MADEMOISELLE DE LA FERTE | 1923 | 1877-1880 |
Landes (Saint- Paul-lès-Dax) |
Galswinthe de Saint-Selve |
ANNE de la Ferté |
LA CHATELAINE DU LIBAN |
1924 | 1922 | Beyrouth (Liban) - Syrie | Capitaine Lucien Domèvre |
ATHELSTANE (comtesse Orloff) |
LE PUITS DE JACOB |
1925 | milieu des années 1920 | Turquie - Palestine | / | AGAR |
ALBERTE | 1926 | 1917 et 1925 | Maguelonne (imaginaire, sud de la France) | Franz W. | ALBERTE |
LE ROI LEPREUX | 1927 | 1926 | Evènements : Angkor (Cambodge) / narration : Nice | Raphaël Saint-Sornin | APSARA |
AXELLE | 1928 | 1917-1918 |
Reichendorf (imaginaire non loin de l'actuelle Kaliningrad, Lituanie) |
Pierre Dumaine |
AXELLE de Mirrenbach |
ERROMANGO | 1929 | milieu des années 1920 |
Ile des Nouvelles- Hébrides (actuel archipel de Vanuatu) |
Fabre | ALICE |
LE SOLEIL DE MINUIT |
1930 | 1926 | Moukden (Mandchourie) | Forestier | ARMIDE |
LE DEJEUNER DE SOUSCEYRAC |
1931 | 1928 | Sousceyrac (Lot, Dordogne) | Philippe Mestre | ARMANDE |
L'ILE VERTE | 1932 | 1861 |
Bordeaux et estuaire de la Garonne |
Etienne Ruiz | ANDREE Ruiz |
FORT-DE-FRANCE | 1933 | milieu des années 1930 | Martinique | Gilbert Vauquelin | AÏSSE se Sermaize |
CAVALIER 6 AVENTURE DU BARON DE PRADEYLES (nouvelles) |
1933 | 1927 1919 1875 début années 20 |
St-Germain-les- Roses (imaginaire) près de Chatellerault Turquie - République balkanique d'Ossiplourie (imaginaire) Paris Russie |
Etienne Guyon- Vernet Etienne Pindières Agénor de Pradeyles Ivan Ivanovitch |
Marthe Mandane Nom non précisé Aucun |
MONSIEUR DE LA FERTE |
1934 | 1915 | Sud du Cameroun allemand (actuel nord Gabon) | Monsieur de la Ferté | ANGEL (homme) |
BOISSIERE | 1935 |
1914 (évènements) et 1931 (narration) |
Nord de la France, occupé durant la Première Guerre Mondiale |
Jean Le Barois
|
ADLONNE Hébert |
LA DAME DE L'OUEST |
1936 | vers 1880 | Colorado | William Evans | ARIANE Irving |
LES COMPAGNONS D'ULYSSE | 1937 | milieu des années 1920 |
République d'Arequipa (imaginaire) en Amérique centrale |
Manrique Ruiz | ANGELICA |
BETHSABEE | 1938 | 1938 | Indes britanniques - Cachemire | George Baxter | ARABELLA Taylor |
NOTRE-DAME-DE-TORTOSE | 1939 | 1923 | Tartous (Syrie) | Roche | ARMENE Hadjilar |
LES ENVIRONS D'ADEN |
1940 | Evénements : 1897 - narration : 1939 | Aden (Yémen) | "Monsieur Jean" | ALBINE Ordioni |
LE DESERT DE GOBI |
1941 | 1926 | Désert de Gobi | Michel | ALZYRE |
LUNEGARDE | 1942 | 1929 |
Lot puis Suez (Egypte) |
Costes | ARMANCE de Lunegarde |
SEIGNEUR, J'AI TOUT PREVU |
1943 | 1916 (Rhodésie) / 1921 (Arcachon) |
Arcachon / Rhodésie |
Henri de Maisoncelles |
AUDE de Maisoncelles |
L'OISEAU DES RUINES |
1947 | 1902 |
Sainte-Eulalie-en- Born (Landes, principauté d'Autriche - Hongrie imaginaire d'Anhalt) |
n.d. |
AGATHE de Born (née en 1872) |
JAMROSE | 1948 | 1898 - 1899 | Ile Maurice / Pays basque |
Paul Jamrose et Virginie Willoughby |
ALGIDE de Jamrose |
AÏNO | 1948 | 1930 - 1931 |
Pays basque espagnol / Norvêge |
Claire Plessis | AÏNO d'Altona |
LE CASINO DE BARBAZAN |
1949 | 1930 | Haute-Garonne, Paris | Maurice Lafourcade | ARGINE Ilianof |
LES PLAISIRS DU VOYAGE |
1950 | 1926 | Paris | Robert Labeyrie | ADELE Ferrand |
LES AGRIATES | 1950 | 1926 |
Calvi (Corse) |
Pascal Conti | AQUILINA |
LE PRETRE JEAN |
1952 | 1578 / 1916 |
Lisbonne - Ethiopie |
Guilherme de Dias de Penafiel |
ALVERDE |
LA TOISON D'OR | 1953 | vers 1905 | Iran | Stanislas Monestier | ATALIDE |
VILLEPERDUE | 1954 | 1920 / 1929 |
Grèce - Villeperdue (Indre et Loire) - Marseille |
Commandant Etienne d'Orthe |
AEDONA Péimaginaire - ridès |
FEU D'ARTIFICE A ZANZIBAR |
1955 | 1906-1907 |
Manoncourt (Lorraine) / Paris / Zanzibar |
/ |
AZRAELE de Manoncourt |
FABRICE | 1956 | 1944 | Allemagne, Landes | Fabrice Hersent | AYDEE Briel du Pradia |
MONTSALVAT | 1957 | 1943-1944 | Sud-ouest (Aveyron - Aude) | François Sevestre |
ALCYONE de Pérella |
LA SAINTE VEHME |
1958 | 1945 |
Nord de l'Allemagne (château imaginaire d'Ilsenburg) |
Ulrich du Glénic |
ALDA du Glénic |
FLAMARENS | 1959 | 1890-91 | Japon |
Marquis de Flamarens |
Hideyori ATSOUKO |
LE COMMANDEUR | 1960 |
1886 / 1910 / 1913 |
Madagascar - Toulouse | Marius Cazeneuve |
RANAVALO et sa fille AMPARIDA |
LES AMOURS MORTES |
1961 | 1929 | sud-ouest de la France |
Colonel Bernard de Lassalle |
ALCMENE |
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Enfin, Pierre Benoit rédige également des nouvelles, des essais, des préfaces, biographies, discours, monographies et articles de journaux : la liste essentielle, quoiqu’elle n’ait pas la prétention d’être absolument exhaustive, est renvoyée à la fin de cette chronique, dans un but bibliographique.
Attachons-nous à extraire les traits dominants des romans de Pierre Benoit.
2 - Les voyages et l’exotisme
La Première Guerre Mondiale comme thème récurrent
Pierre Benoit nous entraine à plusieurs reprises durant la Première Guerre Mondiale : c’est en effet du « vécu » pour celui qui a combattu durant les batailles de la Marne, de Charleroi et dans les tranchées du Chemin des Dames (entre Laon et Soissons). De son expérience militaire, Pierre Benoit va tirer des pages sombres et emplies d’un réalisme poignant qui émailleront quatre de ses romans : Koenigsmark (1918), Axelle (1928), Monsieur de la Ferté (1934) et Boissière (1935) .
Koenigsmarkest le premier des romans de Pierre Benoit. Le récit met en scène deux officiers qui se lient d’amitié dans les tranchées. Par une nuit froide et triste, l’un (le lieutenant Vignerte) raconte sa vie d’« avant » la guerre à l’autre : son arrivée à Paris, ses faibles moyens financiers dans la capitale, la rencontre impromptue qui lui permet, par « piston » de devenir précepteur dans le duché (imaginaire) de Lautenbourg-Detmolt durant l’année 1913 - 1914, sa fascination pour la grande-duchesse Aurore (qui est veuve), sa découverte d’un complot et sa conviction que le grand-duc, ex-mari d’Aurore, a en réalité été assassiné et que son corps ne repose pas quelque part en Afrique mais bien dans… le palais, au terme d’une terrible machination !... Une machination ourdie par un infâme personnage qui, par un hasard incroyable est, à la fin de cette nuit de récit, fait prisonnier sur le front. Et ce prisonnier, le narrateur va l'interroger pour, peut-être, avoir le fin mot de cette histoire rocambolesque… ! L’aura-t-il ?... Et Vignerte aussi ?... Ah non, ne comptez pas sur moi pour vous le dire : je vous laisse lire Koenigsmark !
Après avoir essuyé plus d’une dizaine de refus d’éditeurs (mal inspirés !), Koenigsmark est publié en feuilleton dans Le Mercure de France à partir de décembre 1917. Le succès est au rendez-vous mais le livre sera édité (le 11 novembre 1918, jour de la signature de l’armistice !) non sans une certaine réticence par les éditions Emile-Paul. L’éditeur Albin Michel quant à lui, enthousiaste, achètera les droits d’édition de L’Atlantide (1919) et versera même un acompte à Pierre Benoit (en train d’écrire le livre), estimant qu’« un écrivain doit pouvoir vivre de sa plume »… Il ne se trompera pas : dès sa sortie, L’Atlantide (1919) connait un succès populaire immense et immédiat et est rapidement couronné, dans l’enthousiasme collectif délirant (les journaux qualifient le roman de « fabuleux ») du Prix du Roman de l’Académie Française. Il est adapté au cinéma dès l'année 1921 par Jacques Feyder dans un long (très long : 2 h 45 !) métrage qui est, pour l'essentiel, tourné en décor entièrement naturel dans le sud de l'Algérie. Cela ne sera pas la seule adaptation, loin de là et vous pouvez voir ici une version de 1932 plus moderne (il y a du travelling) et plus sensuelle.
Le roman Axelle (1928) dépeint, lui, le quotidien de prisonniers de guerre français internés dans un camp de Prusse orientale (actuelle Pologne), face à la mer Baltique et situé non loin du château (imaginaire) de Reichendorf. La faim, le froid, les coups, les privations, les vexations, l’isolement et la solitude sont le lot de ces hommes en exil, dont les journées sont rythmées par la mort des plus affaiblis d’entre eux et par les joies procurées par l’arrivée des colis expédiés depuis la France.
Pierre Benoit n’a pas été prisonnier durant la Première Guerre Mondiale mais, à l’évidence, il a su saisir les souffrances de ceux-ci. Au passage, il gratifie, comme à l’habitude, son lecteur de quelques considérations d’ordre général : « l'ennui ne s'attaque jamais aux âmes qui sont la proie d'une seule pensée », « les trains de prisonniers sont par définition ceux qui roulent le moins vite » et cette autre, encore : « les Français ne savent pas reconnaitre les compétences »… Je vous les laisse méditer.
Le roman Boissière (1935) parait offrir un profil typique de l’œuvre de Pierre Benoit (mais y en a-t-il vraiment des romans « typiques » chez cet auteur où rien ne ressemble tout à fait à autre chose ?). Ce dernier s’y exprime à la première personne mais met en scène la vie d’un autre personnage, que l’on découvre au fil des confidences sur son étonnante existence. Là plus qu’ailleurs, Pierre Benoit manie le paradoxe : il exprime d’emblée qu’il a peu de goût pour les informations autobiographiques mais Boissière, à l’évidence, est au contraire le roman qui… en comporte le plus ( ! ) :
- d’abord parce que le cœur du récit se déroule dans les premières semaines et mois de la Première Guerre Mondiale : ceux où les troupes françaises sont bousculées par l’avancée des troupes allemandes qui, suivant le « plan Schlieffen », font une percée vers Paris grâce, notamment, à la victoire lors de la bataille de Charleroi (22 / 23 août 1914) à laquelle Pierre Benoit participe. Dépeindre l’état d’esprit des soldats, l’inquiétude des civils et l’ambiance générale marquée par les informations rares et peu fiables ne lui posent donc aucun problème
- ensuite parce que l’héroïne principale est issue du milieu artistique et mondain que Pierre Benoit fréquente depuis plus de quinze ans et où, lors de la rédaction du roman, il recrute ses principales maîtresses (Marie Dubas et Andrée Spinelly, dont nous reparlerons plus loin). Adlonne est une comédienne à la mode qui profite de son succès pour s’extraire de son milieu fort modeste grâce à ses liaisons avec des hommes aisés (comme le père du héros, qui a ruiné sa famille pour elle). Pierre Benoit y risque une étude sociologique en forme d’excuse : « Nous ne sommes pas si mauvaises que les familles [de nos amants - ndlr] se le figurent. Nous y regardons à deux fois avant de nous empêtrer de remords, car beaucoup d’entre nous sont superstitieuses »
- enfin parce que le narrateur, dès les premières lignes, explique qu’il a été… élu à l’Académie Française. Et que cette élection lui cause, en fait, quelques désillusions : « Lettres et télégrammes se précipitent, exhumant à foison du gouffre d’oubli des figures que l’on croyait à jamais mortes, des fantômes que l’on ne se rappelle pas seulement avoir rencontrés. Il y a plus de mélancolie que de joie dans ces résurrections subites. Des gens qui usent du tutoiement pour nous féliciter, nous n’arrivons même pas à situer le lieu et l’époque de notre existence où nous les avons rencontrés ».
Si ce n’est pas du vécu, tout cela…
Monsieur de la Ferté (1934) nous compte l’histoire du lieutenant de la Ferté, en place en « AEF » (Afrique Equatoriale Française) qui doit conduire ses hommes aux fins de s’opposer à une attaque des troupes coloniales allemandes depuis le Cameroun (alors colonie allemande). Dans la moiteur de la jungle, les rivalités internes s’exacerbent. En face, une colonne allemande menée par le lieutenant Angel Von Wernert avance aussi, à sa rencontre. En fait, la guerre que vont se livrer les deux lieutenants ennemis va les rapprocher. Et, au fait, vous direz-vous : où est l’héroïne en A ? Nulle part ! Monsieur de la Ferté nous conte une histoire d’hommes et aborde là le thème de l’homosexualité masculine entre deux officiers célibataires.
Le monde entier comme décor
On lit souvent (notamment sur le web mal informé) que les romans de Pierre Benoit se situent tous dans des lieux où l’auteur s’est rendu. On pourrait le croire.
Pierre Benoit s'engage en effet dans les sujets de l'actualité de son époque, ainsi que le souligne Gérard de Cortanze, dans Pierre Benoit le romancier paradoxal (2012 - pages 148 – 150) : la singularité basque au sein du royaume espagnol (Pour Don Carlos – 1920), la question irlandaise face à l’hégémonie anglaise (La chaussée des géants – 1922), la lutte d’influence entre la France et l’Angleterre dans le cadre du dépeçage de l’empire ottoman après la Première Guerre Mondiale (La châtelaine du Liban - 1924).
Les nombreux voyages qu’il effectue aussi bien que sa vie personnelle aident à son inspiration (suite)