Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,
Aujourd’hui, reprenant Frank Sinatra en le parodiant un peu, j’ai envie de vous dire :
“Start spreading the news : I’m writing today
I want to be a part of it, New York, New York…”
C’est en effet de big apple (la grosse pomme, son surnom), la ville qui ne dort jamais, dont nous allons parler aujourd’hui, et cela pour en évoquer une tranche de vie bien particulière. Les Américains adorent ou détestent New York, cette ville bouillonnante, diverse, trépidante, bruyante, à l’énergie inlassable, communicative et épuisante, cette ville qui ne dort jamais (« city that doesn’t sleep » nous dit Sinatra). Ils la considèrent comme l’incarnation suprême de la vitalité, de la créativité, des opportunités et de la réussite mais aussi de la décadence, du vice et de la dépravation consécutive au dangereux métissage américano-afro-européen qui y règne. Les étrangers eux, sont frappés par son dynamisme et sa richesse qui s’étalent sans vergogne en voisinant avec la pauvreté et les inégalités. Tous voient dans New York le symbole de tous les excès, des pires comme des meilleurs…
New York ne vous laissera pas indifférents. Vous y partirez la tête pleine des clichés de toutes les séries américaines que vous avez vues depuis votre enfance. Vous arriverez là-bas le cœur gonflé d’allégresse et d’exaltation comme, avant vous, des dizaines de milliers d’immigrants qui y débarquèrent, soulevés de l’espoir, à tort ou à raison, d’y trouver un avenir meilleur. Vous quitterez la ville encore tout chamboulé des images, des sensations et des découvertes incroyables que vous y aurez faites durant votre séjour. New York vous aura étonné à chaque pas.
Et je crois que dans cette chronique, elle va le faire encore…
Car le récit d’aujourd’hui va vous transporter à l’été 1977, une époque où la ville de New York est très différente de ce qu’elle est de nos jours. Cette année-là, la canicule s’abat sur la ville : je vous invite donc à plonger dans l’obscurité et la moiteur, où vous serez menacés par le crime…
-oOo-
Avant cela, prenons d’abord un petit peu de recul historique et plantons le décor avec…
UNE (TRES) BREVE HISTOIRE DE NEW YORK
C’est en 1609 que l’explorateur britannique Henry Hudson entre dans la baie de New York et s’engage à l’ouest de la péninsule de l’actuelle Manhattan. Le fleuve qu’il remonte portera plus tard son nom : l’Hudson River.
En soi, Hudson ne « découvre » rien qui n’ait été exploré. On estime généralement que le peuplement du continent « américain » (terme employé pour le première fois en 1507 par le géographe alsacien Martin Waldseemüller pour nommer les terres du « novus mundus » dont Amerigo Vespucci a signalé l’existence aux Européens) a commencé il y a 80 000 ans. On ignore à partir de quand la péninsule sur laquelle est aujourd’hui bâti la ville de New York a elle-même été peuplée mais ce que l’on sait c’est que, lorsqu’Hudson la longe, elle est déjà habitée par, notamment, des Indiens algonquins et mohicans, des tribus Lénapes et Munsee, des Matinecooks, des Rockahanis et des Wecquaesgeeks.
Bien que l’on n’en parle quasiment pas dans les guides touristiques et que les New Yorkais eux-mêmes s’en fichent totalement, la toponymie de la ville conserve la mémoire de ces habitants originels : quartier de Rockaway (pour les Rockahani) au sud de Brooklyn, Pearl street (sud de Manhattan) en souvenir des huitres qui s’y amoncelaient et, bien sûr, le nom de la péninsule elle-même : « Manhattan », issu de Mannahatta (« île vallonnée »).
Cinq ans plus tard, en 1614, les Néerlandais fondent là une colonie qu’ils nomment New Amsterdam.
Ce fait accompli aux dépens des tribus locales est validé, douze ans plus tard, par un achat en bonne et due forme par le Hollandais Peter Minuit : la colonie néerlandaise de New Amsterdam compte alors… 270 habitants. La croissance démographique est alors régulière et relativement soutenue : en 1700 (soit dans les dernières années du règne de Louis XIV), New Amsterdam compte 5 000 habitants.
La fin du XVIIIème siècle marque la lutte des Etats-Unis pour acquérir leur indépendance, proclamée le 4 juillet 1776. La ville de New York, elle, a déjà chassé son gouverneur anglais l’année précédente (1775) ! Moins de dix ans plus tard, en 1785, New York devient la capitale des Etats-Unis pour 5 ans (qui le savait ?)
Le XIXème siècle est celui de l’expansion pharamineuse de la ville qui, en 1820, compte 124 000 habitants. C’est aussi celui de l’arrivée massive des Irlandais. Ceux-ci sont chassés par la misère, par la famine (le mildiou ravage les récoltes de pommes de terre de l’ile à partir de 1845 et pendant plus de cinq ans) et par l’oppression britannique (qui oblige l’Irlande à exporter sa production agricole vers l’Angleterre alors que les subsistances sont déjà insuffisantes !) A New York, ils profitent à plein du boom de l’industrie ferroviaire, des infrastructures ainsi que de la création du NYPD (la police de New York) : des secteurs dans lesquels ils travaillent par milliers.
A la fin des années 1850 (en France, à cette époque, Louis-Napoléon Bonaparte est président de l’éphémère IIème république), l’aménagement paysagé de la zone centrale de Manhattan est lancé : ce sera le « Central Park ». Pour cela, on évacue par la force les 1600 habitants de cette zone misérable de marécages et de rochers où ils ont construit sans autorisation leur bidonville de taudis. On draine, on assèche et on dynamite 300 000 m3 de rochers (aux Etats-Unis, tous les chiffres donnent le vertige !…) Le parc est inauguré en 1873. Dix ans plus tard, en 1883, c’est le pont de Brooklyn (reliant Manhattan à Long Island) qui est inauguré et, trois ans après, c’est la statue de la Liberté (construite par l’Alsacien Auguste Bartholdi et offerte par la France).
Au début du XXème siècle, l’explosion des infrastructures (1ère ligne de métro en 1904, soit 4 ans après Paris) attire une intense immigration italienne et favorise le développement de réseaux mafieux que « la Prohibition » (l’interdiction de l’alcool par le Volstead act de 1919) va renforcer. La compétition pour le logement profite alors aux Irlandais, classe moyenne qui remonte au-delà de la 50ème rue (à New York, depuis 1811, les 12 avenues sont numérotées d’est en ouest et les 155 rues sont numérotées du sud au nord, la 50ème rue délimitant donc à peu près le premier tiers de la péninsule).
New York ne cesse de bouillonner et de bouger. A l’inverse de Boston, qui entend incarner la littérature et la culture élitiste de classes sociales qui se piquent de rivaliser avec l’Europe, New York se veut le symbole du divertissement de masse, du théâtre (Broadway, la 42ème rue…), du spectacle populaire ainsi que de la musique métissée, étrangère ou issue des minorités. Le jazz y prospère ainsi davantage qu’à Chicago, d’où il est pourtant parti. Pour tout cela et aussi pour son caractère rebelle et hors-normes, New York suscite la méfiance et l’hostilité d’une Amérique traditionnelle.
Pourtant, le XXème siècle va être celui où, à tort ou à raison, New York va incarner l’Amérique aux yeux du monde. C’est à New York qu’a lieu le krach boursier du 29 octobre 1929 qui, par ricochet, va dévaster l’économie européenne durant l’entre-deux-guerres. C’est à New York encore que, en 1931, on construit le plus haut immeuble du monde à l’époque (l’Empire State Building). C’est à New York, toujours, que, en 1951, s’installe l’Organisation des Nations Unies…
Et c’est à New York, au milieu des années 1970, que, précisément, se situe la chronique d’aujourd’hui…
NEW YORK, DEBUT DES ANNEES 1970 : UNE VILLE A LA DERIVE
Certes, la ville continue de « faire le show » : en 1973 a lieu l’inauguration grandiose de l'immense complexe commercial et financier des tours jumelles du World Trade Center (sud de Manhattan). La cérémonie couronne sept ans de travaux pharaoniques. On y oublie vite que, durant les travaux, des centaines de SDF ont logé à proximité sur le chantier.
Car la situation économique et sociale, en réalité, est grave. Engagé depuis la fin de la décennie 1960, le ralentissement économique est amplifié par le « 1er choc pétrolier » (1973). L'État fédéral se désengage de nombreuses dépenses sociales. Or New York reprend ces dépenses à son compte en les finançant par… endettement. La ville escompte rembourser ses dettes grâce à la reprise de la croissance économique qu’elle appelle de ses vœux (si, par hasard, cette situation vous en rappelle d’autres, n’hésitez pas à me le signaler…)
Mais cette reprise ne se produit pas : alors les entreprises commencent à quitter New York ainsi que les classes moyennes. Le cercle infernal est en marche : moins de consommation, moins d’impôts et la ville, qui vivait au-dessus de ses moyens, est obligé de réduire ses dépenses publiques, ce qui diminue la qualité des services publics et, par ricochet, contribue encore davantage les entreprises et les familles à fuir à la ville ou à ne pas s’y installer. Durant la décennie 1970, New York perd ainsi 25 % de sa population blanche. Des employés, des ouvriers qualifiés et des petits ingénieurs, bref toute une population issue de l’immigration européenne migrent vers le New Jersey (Philadelphie, 200 kms au sud-ouest), poussés par la détérioration des conditions de vie et la fermeture progressive des activités portuaires depuis le milieu des années 1960. Entre 1969 et 1976, le nombre d’emploi à New York chute de 16 %. Les prix de l’immobilier se mettent à dégringoler.
Dans un contexte de montée de la violence, New York a une réponse qui se situe dans la veine des idéologies en vogue dans les années 1960 / 70 : si l’individu est mauvais, c’est que c’est la société, son mode de vie et de fonctionnement qui l’ont corrompu. Pour les esprits « progressiste », de l’époque, le traitement de la délinquance doit donc avant tout se faire de façon sociale. Plutôt que la répression, on privilégie les programmes sociaux de prévention, d’aides, d’encadrement et d’insertion qui doivent empêcher les citoyens plus vulnérables de basculer dans l’engrenage de la criminalité. Avec quel argent ? Celui des aides fédérales, naturellement, auquel s’ajoute un endettement croissant.
Dans les années 1970, New York est une ville en pleine déliquescence, elle va connaitre une véritable « descente aux Enfers » (« going to the devil » selon l’expression d’Outre-Atlantique).
NEW YORK 1975 : DROP DEAD !
Des zones urbaines entières et leurs infrastructures sont laissées à l’abandon. Les terrains demeurent en friche. Les écoles ferment. Les rues ne sont plus entretenues. Les éclairages publics sont dépourvus de maintenance et des pâtés de maisons, insalubres, sont condamnés Des immeubles entiers sont abandonnés. Ils sont bientôt investis par des gangs de malfrats qui quadrillent les quartiers, squattent les immeubles et y développent tous les trafics imaginables en contrôlant des blocs entiers, tels les savage skulls, par exemple, dans le Bronx. Des gravats et des ordures jonchent les terrains vagues et les trottoirs sur lesquels on trouve des carcasses de voitures abandonnées.
Dans ce processus, ce sont les quartiers les plus pauvres qui sont évidemment davantage touchés, tels qu’Harlem, au nord de Manhattan ou le Bronx, au nord-est (à ce propos, avez-vous déjà remarqué que les quartiers pauvres et dangereux d’une ville, quelque soit le pays, sont très souvent - mais pas toujours - situés au nord de celle-ci ?)
La police, impuissante et démoralisée, s’abstient de patrouiller dans certains endroits, par manque d’effectifs. Sa corruption et son indifférence sont admirablement mises en scène par Sydney Lumet dans son film Serpico avec Al Pacino (1973).
De façon plus légère, Vivre et laisser mourir de Guy Hamilton (1973) montre l’agent britannique James Bond 007 (Roger Moore) s’aventurer imprudemment dans un Harlem jonché de gravats et de détritus.
Au beau milieu de la décennie 1970, la crise se transporte dans la rue, au cœur même de Manhattan. Début juillet 1975, les éboueurs, inquiets d’une possible faillite de la ville et donc du paiement de leurs salaires, se mettent ainsi en grève.
Des tonnes de déchets s’amoncellent alors dans les rues pendant plusieurs semaines, dégageant des odeurs pestilentielles en raison des fortes chaleurs de l’été. De toute urgence, afin d’empêcher le déferlement de rats et le développement d’épidémies, la municipalité fait intervenir l’armée pour les déblayer. Les images du chaos d’immondices recouvrant les trottoirs de la ville la plus célèbre des Etats-Unis stupéfient alors le monde qui regarde, incrédule, son journal télévisé (votre serviteur s’en souvient).
Ce qui laisse pantois, spécialement à l’étranger, c’est la façon dont les pouvoirs publics américains, appelés au secours par le maire (Démocrate) Abraham Beame, entendent gérer la situation d’une ville désormais largement délabrée et au bord de la faillite. L’Etat fédéral a déjà injecté plusieurs milliards de dollars pour soutenir ce qui est considéré (en partie à juste titre) comme une ville gérée avec une totale incompétence. Mais pour la frange la plus conservatrice et la plus traditionnelle du pays, incarnée par l’équipe du président Gerald Ford (au pouvoir depuis le 9 août 1974 après la démission de Richard Nixon et le scandale des écoutes de l’immeuble du Watergate), cela doit cesser : cette ville multiculturelle et métissée de rebelles, d’anarchistes, d’artistes, d’Hispaniques, d’Européens et de Noirs n’a désormais qu’à se débrouiller seule.
Elle s’est endettée pour verser des aides et des prestations sociales ? Qu’elle rembourse !
Si elle ne peut pas rembourser ses dettes obligataires qui arrivent « à échéance » (= à date de paiement) à l’automne 1975 ? Qu’elle emprunte auprès de banques pour les amortir partiellement (on appelle ce mécanisme un « refinancement ») !
Et si aucune banque n’accepte d’avancer un tel découvert ?
Le président Gerald Ford a une réaction très simple, qui est annoncée en une du journal le Daily News le 30 octobre 1975 : « Drop dead » (« Va crever », dirait-on dans la langue de Molière…)
New York n’aura pas un dollar fédéral de plus. C’est fini, terminé.
Et pourtant, la ville doit encore rembourser 1,6 milliard de dollars d'ici à juin 1976. Qu’importe. Ford assure qu’il préfère que la ville fasse juridiquement faillite (donc soit mise sous tutelle et que, sous le contrôle du juge, les créanciers soient contraints d’abandonner leurs dettes) afin de purger définitivement l’abcès. Il en a assez de verser l’argent du contribuable dans ce tonneau des Danaïdes et il assure qu'il mettra son veto à tout plan de secours éventuellement voté par le Congrès. C’est une question de principe, un exemple qui sera fait. Il a, pour le soutenir dans cette voie, des conseillers tels qu’Alan Greenspan (un économiste qui sera plus tard… président de la Réserve Fédérale américaine de 1987 à 2006) ou le secrétaire à la Défense (= ministre) Donald Rumsfeld (qui occupera de nouveau ce poste de 2001 à 2006 avec le président George W. Bush).
Mais Gerald Ford, s’il est dur, n’est cependant pas obtus.
A la mi-novembre 1975, un sommet international d’un nouveau genre se tient pour la première fois à Rambouillet (France) : le « G6 », sous l’égide du président français Giscard d’Estaing (France, République Fédérale d’Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et Etats-Unis) qui donnera naissance aux futurs « G7 » puis « G7+1 ».
Là, Allemagne de l’ouest et France s’alarme de la situation : Valéry Giscard d'Estaing et le Chancelier allemand Helmut Schmidt convainquent Ford que la faillite de New York n’est pas une simple procédure judiciaire, c’est un signal au monde entier que donnent les Etats-Unis. Une faillite de New York, ce serait un peu une faillite de l’Amérique…
Or, l’Amérique est elle-même déjà très fragilisée au plan international. Le 30 avril 1975, soit six mois auparavant, la prise de contrôle de Saigon (« chute de Saigon ») par la rébellion communiste a marqué la fin de la guerre du Vietnam et, surtout, la première défaite militaire de l’histoire des Etats-Unis. Sous les caméras de la presse suivant le ballet des hélicoptères, l’Occident, incrédule, a assisté à l’évacuation en catastrophe de l’ambassade américaine de la capitale du sud-Vietnam. Après vingt ans de conflit où elle a laissé près de 60 000 morts (à comparer à 410 000 morts au titre de la Seconde Guerre mondiale), la puissante Amérique a été finalement défaite par une troupe de va-nu-pieds sous-équipés.
Ce n’est pas le moment de rajouter à cela la faillite de la ville la plus emblématique des Etats-Unis… La défiance du monde vis-à-vis de ceux-ci pourrait alors avoir des conséquences redoutables et incontrôlables.
Gerald Ford (dont ses détracteurs prétendront ultérieurement méchamment qu’« il ne pouvait pas marcher et mâcher du chewing-gum en même temps ») comprend en réalité parfaitement la situation. Laisser New York se mettre en « cessation de paiement », ce serait envoyer au monde un signal catastrophique aux conséquences incalculables. Les Etats-Unis ne peuvent pas se le permettre. Ford accepte donc finalement de soutenir New York par une rallonge d’USD 2,3 milliards d'aide fédérale (26 novembre 1975).
Mais attention !...
En contrepartie, l’état fédéral impose une cure de rigueur sans pitié pour rétablir la situation : licenciement de milliers d'employés municipaux, nouveaux impôts, hausse des tarifs dans les services publics (transports) et gel des investissements d’infrastructures.
Moins d’emplois, moins de qualité et de vie et davantage de coûts : plus que jamais, les entreprises et les classes moyennes désertent New York, où ne résident désormais plus que les très riches, qui s’en sortent forcément, et les très pauvres, qui s’enfoncent toujours davantage…
NEW YORK 1976 : THE DEVIL INSIDE…
La situation anarchique, cependant, n’est pas une fatalité pour tout le monde. La ville se réorganise et certains en profitent, au contraire : malfrats, proxénètes et trafiquants de drogue mettent Midtown (= le centre de Manhattan, autour de la 42ème rue, de Times Square et de Grand Central Station) en coupe réglée. Ils transforment le quartier en une sorte de cour des miracles du sexe, à côté de laquelle Pigalle a des allures de jardin d’enfants...
Il faut dire que, suite à une bataille juridique et judiciaire acharnée, une série d’arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis émis à partir de 1966 avait statué sur le fait que la pornographie et les « salons de massage » (très spéciaux) étaient des activités qui sont protégées par le « 1er amendement » à la Constitution (celui qui garantit la liberté d’expression). Les spéculateurs immobiliers décident donc de profiter du boom de ce nouveau secteur économique pour investir la zone. Désertée par les employés dès la tombée du soir, celle-ci se peuple de mendiants, d’exhibitionnistes et se couvre de sex-shops et de cinémas X dont les néons et les titres rivalisent d’agressivité pour attirer la clientèle. D’importants trafics de prostituées se développent, tel celui qui amènent ouvertement des jeunes filles depuis le Minnesota jusqu’à la grande gare routière de New York (Bus terminal), située à l’angle de la 42ème rue et de la 8ème avenue, pour les prostituer à quelques centaines de mètres seulement, sur ce que l’on appelle dès lors le Minnesota strip…
Alentour, les dealeurs fournissent de la came. Les nuits sont émaillées de rixes et d’agressions. La criminalité explose avec, là encore, des chiffres ahurissants (à rapporter à une ville de 7,8 millions d’habitants) :
- 1961 : la police recensait 390 meurtres
- 1964 : elle en recensait 634
- 1965 : le chiffre atteignait 836 meurtres et 28 000 vols
- 1972 : on compte 1 700 meurtres
- 1973 : il est de 2 040 meurtres et 86 000 vols, dont 12 vols avec violence / jour ( ! ) dans le seul quartier de Times Square…
Au palmarès des statistiques, les deux commissariats du centre-ville (Times Square) arrivent largement en tête, le troisième sur le podium (Harlem, tout de même) affichant un taux de criminalité inférieur de 30 % au deuxième !
Central Park (800 mètres de largeur sur 4 kilomètres de longueur, soit environ 1/3 du bois de Vincennes) est un véritable coupe-gorge : il contribue à lui seul à la moitié des meurtres : 1 000 meurtres / an (quand 12 millions de promeneurs le fréquentent annuellement).
Harlem, à l'angle de Hoe avenue et de la 172ème rue - aujourd'hui (à g.) et au milieu des années 70 (à dr.)
Un justicier dans la ville de Michael Winner (1974), avec Charles Bronson dans le rôle principal, traduit parfaitement la peur et l’écœurement de la classe moyenne new-yorkaise. Librement adapté du livre Death wish de Brian Garfield, paru deux ans plus tôt (1972), le film raconte comment un architecte pacifiste et paisible, que rien ne prédispose à la violence, se transforme en tueur enragé après une violente agression qui a laissé sa femme morte et sa fille folle.
Le film (qui fera USD 22 millions de recettes aux Etats-Unis et plus d’1,5 million d’entrées en France !) est également un prétexte à quelques scènes presque jubilatoires où le héros musclé descend des voyous à tour de bras partout où il en trouve, dans les rues, les parkings, le métro : il faut dire qu’il a de quoi faire…
NEW YORK 1976 : DES DINGUES DANS LA VILLE
C’est cependant un film d’un autre genre qui va devenir, en 1976, un long métrage d’anthologie et fixer à tout jamais le New York de cette époque, ses vices, ses espoirs, sa désespérance et ses ambiguïtés. Dans Taxi driver, de Martin Scorsese, pas de manichéisme : les « bons » ne le sont pas tout-à-fait et les « méchants » ne le sont pas complètement. Le film incarne la violence, les doutes et le désarroi d’une Amérique de la côte Est désorientée.
Le personnage principal, Travis Bickle (Robert de Niro) est un jeune homme originaire du Midwest, ancien marine traumatisé par la guerre du Vietnam d’où il est revenu insomniaque. Déraciné, il tente de s’insérer médiocrement dans la société et de se construire un avenir : avoir un emploi, rencontrer une jeune fille… Mais ses tentatives sont faiblement couronnées de succès : il devient chauffeur de taxi sur les horaires de nuit, les plus dangereux et, s’il rencontre Betsy, celle-ci le repousse après qu’il l’ait maladroitement emmenée pour une séance de cinéma… X ! Confronté à la violence et à la dépravation, Bickle se cherche un moyen de s’affirmer. Il décide de se faire connaitre en assassinant un candidat local à l’élection présidentielle : une tentative qui, là encore, échoue lamentablement. Puis il se met en tête de sauver Iris, une jeune fille de douze ans qui se prostitue et avec laquelle il a sympathisé. Il finit par en abattre le proxénète qui l’exploite dans le cadre d’une fusillade avec les malfrats du quartier. S’il survit et s’il retrouve un peu de sérénité en ayant pu se rendre utile, il retourne cependant finalement à son travail nocturne et pénible, constatant amèrement l’ascension sociale parallèle de Betsy.
Pas de happy end, donc, dans ce film d’un nouveau genre qui dépeint l’ambiance glauque qui règne à New York, où semble déambuler tout un tas de fous furieux. Est-ce de la fiction ?
Non. L’actualité va au contraire tragiquement fournir la preuve de cette réalité avec le cas d’un dénommé David Berkowitz.
NEW YORK 1976 : LES DEBUTS DE BERKOWITZ
Richard David Falco est né en 1953 et a été élevé par Nathan et Pearl Berkowitz, des quincaillers juifs new-yorkais du Bronx (nord-est) qui lui ont donné leur nom. L’adolescence du jeune homme est très difficile, chaotique et marquée par une scolarité décousue, des délits et même des actes pyromanes. Berkowitz affiche une personnalité violente et instable, quoique les examens ne décèlent aucune pathologie psychiatrique.
A 18 ans, en 1971, il s’engage dans l’armée américaine où il reste jusqu’en 1974, date à laquelle il réintègre la vie civile pour exercer divers petits boulots non déclarés.
C’est le 29 juillet 1976, à une heure du matin, que Berkowitz commet son premier meurtre, dans le Bronx. Ayant épié Donna Lauria, une jeune fille de 18 ans en discussion avec son amie Jody Valenti dans la voiture de cette dernière, Berkowitz saisit le moment où Donna Lauria sort du véhicule. Il ouvre alors le feu par trois fois, tuant la passagère et blessant légèrement la conductrice avant de prendre la fuite.
Le 23 octobre, cette fois dans le quartier de Queens, il tire sur deux jeunes gens : Carl Denaro, 20 ans, et Rosemary Keenan, 18 ans, alors que ceux-ci sont, une nouvelle fois, à l’intérieur d’une voiture à l’arrêt. Les deux victimes sont légèrement blessées. Si ce fait divers déclenche des investigations intenses en raison du fait que le père de la jeune fille est lui-même policier dans le NYPD (New York Police Department), l’enquête tourne rapidement court, faute d’éléments. A peine peut-on constater que les balles semblent être de calibre 44 mais sans en être sûr car elles sont très abîmées…
Le 27 novembre 1976, c’est à nouveau dans le Queens que Berkowitz agresse deux jeunes filles, Donna DeMasi, 16 ans et Joanne Lomino, 18 ans, en leur tirant dessus dans la rue par surprise, quasiment à bout portant et sans raison alors qu’elles rentrent chez elles un peu après minuit. La seconde victime en reste paraplégique.
Dans une ville où « n’importe quoi peut arriver simplement au coin de la rue » ainsi que le disent ceux qui y vivent à l’époque, la police a bien d’autres chats à fouetter et ne fait pas (encore) de lien particulier entre toutes ces affaires.
L’année 1976 n’a pas été brillante pour New York. Que va lui réserver 1977 ?
Pire.
NEW YORK 1977 : UNE VILLE AU BORD DU CHAOS
L’année 1977 s’ouvre sur un nouveau meurtre, une fois encore dans le Queens. Christine Freund, 26 ans et son fiancé John Diel, 30 ans, sont dans leur véhicule qu’ils ont regagné après être allés au cinéma voir le film Rocky avec Sylvester Stallone. Ils s’apprêtent à démarrer. Il est minuit quarante. Ils essuient soudainement trois coups de feu. Si John est blessé superficiellement, Christine est touchée et meurt dans les heures suivantes.
Un peu plus d’un mois plus tard, le 8 mars 1977 à 19 heures 30, à un bloc du domicile de Christine Freund, la jeune Virginia Voskerichian, 19 ans, est abattue à bout portant alors qu’elle rentre de l’école chez elle.
Pour la première fois, la police voit dans ce crime un lien avec les agressions précédemment mentionnées : mode opératoire proche, balles de calibre 44 et physionomie identiques des victimes qui sont toutes des femmes jeunes aux cheveux bruns et longs. Même Karl Denaro (octobre 1976) portait les cheveux longs et les enquêteurs se demandent si le tireur n’a pas fait feu sur lui « par erreur », le prenant, de loin, pour une femme.
Mais les signalements sont cependant inexistants ou évasifs et la liste des suspects est trop importante pour pouvoir être sérieusement exploitée. Alors les autorités décident de porter l’affaire à la connaissance de la population pour obtenir davantage d’informations. Lors d’une conférence de presse tenue deux jours plus tard, le 10 mars, le maire Abraham Beame et la police annoncent alors solennellement que les balles qui viennent de tuer Virginia Voskerichian ont été tirées par la même arme que celle utilisée pour tuer Donna Lauria (juillet 1976).
Il ne s’agit pas de simples meurtres entre délinquants et malfrats. Il y a, quelque part, dans le nord de New York, un tueur qui rôde et qui attend le moment opportun pour faire feu, au hasard, spécifiquement sur des jeunes filles qui portent des cheveux longs et bruns… Côté police, on met le paquet : 300 enquêteurs suivent désormais l’affaire. Des patrouilles sont mises en place, on tente de quadriller les zones identifiées comme sensibles.
Au plan médiatique, c’est un véritable déchainement. La presse publie des cartes et des articles anxiogènes sur le tueur au calibre 44, surnommé plus simplement le « calibre 44 ». Cela déclenche une véritable psychose. La population s’affole.
Et Berkowitz va recommencer. Spectaculairement...
NEW YORK 1977 : SOUS LA MENACE DU « FILS DE SAM »
A environ, 3 heures du matin, ce 17 avril 1977, Alexander Esau, 20 ans, et Valentina Suriani, 18 ans, reçoivent chacun deux balles de revolver de calibre 44 alors qu’ils sont installés dans leur véhicule garé, là encore, dans une rue du Bronx. Le jeune homme est tué sur le coup. La jeune fille mourra quelques heures plus tard.
Mais un fait nouveau se produit : à côté des corps, la police retrouve une lettre manuscrite écrite partiellement en majuscules et adressée au commandant du NYPD Joseph Borelli. C’est une lettre du tueur qui dit être le « fils de Sam ». Le tueur se revendique comme un « sale gosse », un « monstre ». Il a un mystérieux père « Sam ». C’est celui-ci qui le séquestre dans un grenier et lui ordonne de tuer afin que Sam conserve sa jeunesse… Les motivations et le libellé sont confus mais ils offrent une première piste aux enquêteurs, lesquels soupçonnent un rédacteur d’origine écossaise, compte tenu de certaines tournures. Le 26 mai 1977, ils fournissent à la presse un portrait psychologique du tueur où celui-ci est qualifié de « névrosé », atteint de « schizophrénie paranoïaque » et « convaincu d’être possédé par le Démon ».
Ce n’est pas vraiment fait pour rassurer le public… Et les choses empirent.
Le 30 mai 1977, le chroniqueur Jimmy Breslin du Daily News reçoit un long courrier manuscrit, menaçant, élaboré mais confus, expédié d’Englewood (New Jersey) de quelqu’un qui prétend être le « calibre 44 ». Publiée quelques jours plus tard, elle permet au Daily News de réaliser son meilleur tirage de tous les temps : 1,1 million d’exemplaires. L’« humour » du rédacteur (il nargue les policiers en leur promettant une paire de chaussures neuves s’ils réussissent à l’arrêter) n’est guère goûté par la population. Des femmes commencent à couper leurs cheveux, à se teindre en blondes. Certains magasins de perruques sont en rupture de stock. C’est la panique.
Le 26 juin, un nouveau couple, Sal Lupo, 20 ans, and Judy Placido, 17 ans, est pris pour cible à la sortie d’une boîte de nuit du Queens à 3 heures du matin. Le « calibre 44 » ne fait cependant que les blesser, assez sérieusement toutefois. Les conséquences de cette nouvelle attaque sont immédiates : les bars et les boîtes de nuit se vident.
NEW YORK 1977 : UN ETE TORRIDE
Et la nature s’en mêle.
Le 13 juillet 1977 est le début d’une vague de chaleur sans précédent qui s’abat sur la ville, écrasée sous un ciel de feu. Elle va durer neuf jours et n’a pas eu d’équivalent jusqu’à aujourd’hui, en dépit même du réchauffement observé du climat. Du 27 au 31 juillet 1977, les températures vont rester au-dessus des 38° (degrés « Celsius », évidemment, ce qui fait 100° « Fahrenheit » locaux : une échelle absolument impossible à comprendre pour des esprits non-américains). Elles vont même atteindre 104°F (= 40 °C) la nuit du 31 juillet 1977 : la plus chaude de tous les temps (mesurés) de l’histoire de la « Grosse pomme ».
Dans ces circonstances, les New-Yorkais ont, plus que jamais, massivement recours à ce qu’on appelle à l’époque « l’air climatisé » dont tous les immeubles sont pourvus (ce qui est loin d’être le cas en Europe, où ce n’est pas du tout la norme) et même les habitations individuelles (alors là, la « clim’ » dans une maison, en France, dans les années 70 - où l’on n’a même pas majoritairement le téléphone -, n’en parlons même pas…) En quelques heures, à la mi-juillet 1977, la consommation d’électricité explose donc à Manhattan.
Hélas, les orages aussi…
Le 13 juillet 1977, à 20 h 37, la foudre frappe une première fois la sous-station électrique de Buchanan South (à environ 50 kms au nord de New York : il s’agit d’un transformateur qui convertit les 345 000 volts qu’il reçoit, de la toute proche centrale nucléaire d’Indian Point, en 220 volts habituels). Un peu plus tard au même endroit, une nouvelle frappe met hors service deux autres transformateurs de 345 000 volts chacun.
A 20 h 55, le même scénario se produit sur la sous-station de Sprain Brook, (située cette fois à 20 kms au nord de New York, dans l’agglomération de Yonkers). En dépit de la baisse de production de près de 40 % de la centrale d’Indian Point, les autres lignes à haute tension, destinées à transporter le courant qui ne peut être pris en charge par les lignes défaillantes, sont rapidement saturées. On réduit alors la production de la part d’un autre générateur du côté de l’East River.
Mais les lignes demeurent saturées : le « délestage » est impossible sur un réseau étroit, vétuste et mal entretenu, suite aux restrictions budgétaires. Cela se met à disjoncter de partout ! Les seuls quartiers qui ne sont pas touchés sont le sud du Queens (sur l’ile de Long Island, à l’est de New York) et Rockaway (sud de Long Island) qui dépendent, eux, d’autres sources de production.
Que faire ? Le problème est simple mais presqu’inextricable. Si on réduit la production, alors on ne produit plus assez d’électricité pour alimenter la ville. Mais si on maintient la production, les lignes existantes, hors d’usage, ne sont pas suffisantes pour supporter la charge et les générateurs disjonctent. En fait, on va faire les deux en même temps : réduire la production mais la maintenir à un niveau toutefois élevée.
C’est une sorte d’embouteillage d’électricité qui va se produire à 21h27 alors que, au même moment, « Ravenswood 3 » (pardonnez ces précisions techniques), la plus grosse centrale de New York, tombe en rade.
Et à 21h36, soit quasiment 59 minutes exactement après le premier choc de foudre sur la station de Buchanan South, l’électricité est totalement coupée dans 31 quartiers de New York. C’est le black-out. Il n’y a plus aucune lumière.
Un incident de ce genre avait déjà eu lieu en 1965 mais il avait été de moindre ampleur et, surtout, il avait eu lieu en pleine journée. Commerçants, employés étaient alors restés sur leurs lieux de travail. En ce jour de juillet 1977, la coupure survient à la tombée de la nuit…
L’opérateur d’électricité en charge du réseau, Con Edison, invoquera par la suite pour sa défense un « act of God »… Les autorités municipales l’accuseront, elles, de négligence et d’incompétence dans la maintenance et dans la gestion de la crise : des domaines dans lesquels Dieu n’a rien à voir...
Quoiqu’il en soit, dans l’immédiat, c’est bien un nouvel enfer dans lequel New York est précipité car plus rien ne fonctionne.
NEW YORK 1977 : « 24 HEURES DE TERREUR »
« 24 heures de terreur », c’est ainsi que le journal New York Post va qualifier la longue nuit et journée qui s’annoncent.
Les aéroports de LaGuardia et Kennedy sont plongés dans le noir : plus de liaison radio, de lumière. Tous les vols sont déroutés : ils le resteront pendant 8 heures d’affilée.
Les lampadaires des avenues sont éteints et seuls les phares des voitures et des bus éclairent désormais les rues sillonnées par des véhicules aux chauffeurs inquiets. New York compte une vingtaine de tunnels, notamment sous-marins entre Manhattan et Long Island : ils sont rapidement fermés, faute de pouvoir en assurer la ventilation et cela provoque d’importants embouteillages.
Des milliers de personnes restent bloquées sans pouvoir regagner leur domicile, faute de courant pour les rames de métro qui, bien sûr, est en carafe. Des rames s’arrêtent net au milieu de couloirs totalement dans l’obscurité. Il faut mettre en marche des groupes électrogènes d’urgence pour évacuer les 4000 personnes qui s’y retrouvent bloqués. La gare de Grand Central Station est alors envahie par des milliers de banlieusards qui s’y installent comme ils peuvent pour y dormir. Des centaines de personnes, également, sont bloquées dans les ascenseurs, stoppés entre les étages.
De façon plus anecdotique, le match de base-ball entre les New York Mets et les Chicago Cubs est interrompu au grand dam des spectateurs (les Cubs mènent alors 2-1 face aux Mets). Egalement, le tournage du film Superman, qui avait lieu à ce moment précis, est également brutalement interrompu.
Comment obtenir des informations ? Il faut écouter la radio (à piles !) car la television ne fonctionne pas. Les chaines de TV, de toute façon, sont elles-mêmes incapables d’émettre et d’aller couvrir les événements, à l’exception de WCBS-TV (2ème chaine) et de WNBC-TV (4ème chaine) qui, équipées de groupes électrogènes à gaz, ont vaillamment repris leurs émissions seulement respectivement 25 et 88 minutes après le black-out.
Mais c’est dans les rues que la situation dégénère…
L’occasion faisant les larrons, des pillards d’un soir s’en prennent aux magasins et aux commerces laissés sans surveillance ni système d’alarme.
Jusqu’au milieu de la nuit, avec l’impunité que donne l’obscurité, mais sous l’œil de photographes et de quelques cameramen de la TV descendant pour filmer (sur leurs batteries) la situation en direct, les voyous et les opportunistes se ruent sur les supermarchés, les magasins d’équipements, de meubles, d’électronique, de bijoux ou encore de vêtements...
Les grilles des magasins sont arrachées à l’aide de cordes attachées à des voitures amenées là exprès, puis les vitres sont brisées et les voleurs dévastent les rayons, emportant tout ce qu’ils peuvent. Brooklyn et, spécialement, les quartiers de Crown Heights et de Bushwick sont le théâtre de pillages massifs : 134 magasins sont dévalisés dont 75 dans les seuls deux derniers quartiers. Des grappes de personnes de tous âges s’engouffrent dans les vitrines éventrées et en ressortent avec, sur les épaules, qui un téléviseur, qui un matelas, un canapé, une chaine hi-fi… Dans le quartier du Bronx, ce sont carrément 50 Pontiac qui sont volées dans la concession locale !
Au total, plus de 1600 magasins vont être victimes de pillages !
Simultanément, pour ajouter au chaos, des incendies criminels sont allumés par des émeutiers à de nombreux endroits, certains directement après le pillage du magasin (on compte 45 incendies de ce type à Brooklyn !) Des brasiers aux lueurs apocalyptiques, qui éclairent la nuit de halos fantomatiques, dévastent des blocs entiers tandis que les sirènes des pompiers, débordés, hurlent au loin dans la nuit.
On dénombre au total plus de 1000 incendies dans la ville !
La police s’organise peu à peu et certains citoyens descendent alors dans la rue, armes de toutes sortes à la main, pour défendre leurs commerces, pour arrêter sur le fait les malfrats et éloigner le reste des maraudeurs. Des rixes opposent les bandes de voyous aux policiers qui comptent 550 blessés à la fin de la nuit.
Au final, la police procède à plus de 3800 arrestations (!) provoquant un afflux soudain difficilement gérable de détenus à Rikers Island, la prison construite sur une ile de l’East River (qui abrite de nos jours 17 000 détenus).
Enfin, à 7 heures le lendemain 14 juillet, le courant commence à revenir dans une partie du Queens. Il faudra toute la journée pour rétablir progressivement la situation et, à 22h39, l’électricité fonctionnera de nouveau dans la totalité de New York.
Le maire, Abraham Beame, chiffrera l’impact du black-out à USD 350 millions. Au final, l’administration du président Jimmy Carter accordera royalement à la ville une aide de… USD 11 millions.
NEW YORK 1977 : LE RETOUR DU FILS DE SAM
Et le « calibre 44 » dans tout ça ?
A ce que l’on en sait, il se tient tranquille pendant la méga-coupure de courant des 13 et 14 juillet. Pas pour longtemps. La date anniversaire de son premier crime (29 juillet) approche et la police opère préventivement un coup de filet dans les zones « à risque » (Queens et Bronx).
Sans succès.
Le 31 juillet 1977, un peu après 2h00 du matin, deux jeunes gens de 20 ans, Stacy Moskowitz et Robert Violante sont installés dans un véhicule à l’arrêt dans le quartier de Bath Beach (sud-ouest de Brooklyn). Ils y partagent un moment, disons, d’« intimité »…
Quand soudain, quelqu’un s’approche du côté passager et, par quatre fois, fait feu sur eux au niveau de la tête. La jeune fille mourra quelques heures plus tard tandis que le jeune homme survivra à ses blessures mais perdra l’usage d’un œil. L’agresseur prend aussitôt la fuite et disparait.
Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il a été vu plusieurs témoins parmi lesquels, surtout, une automobiliste qui va donner des indications sur la plaque minéralogique de la voiture dans laquelle il prend la fuite. D’autres témoins, par ailleurs, décrivent le comportement erratique d’une Volkswagen Coccinelle jaune dans la zone du crime.
A l’aube, la Volkswagen Coccinelle rôde de nouveau. Sur Winchester Boulevard, elle s’approche dangereusement, une nouvelle fois, d’un véhicule à l’arrêt occupé par un couple. Mais là, l’homme a une arme. Il la braque sur le conducteur de la Volkswagen, qui prend la fuite en tirant un coup de feu derrière lui !...
S’engage alors une poursuite entre les deux véhicules. Et c’est l’agresseur qui se retrouve dans la peau de la proie… Dans le quartier de Glen Oaks, il parvient à échapper à la vue de son poursuivant et gare son véhicule avant de partir en courant.
On se croirait dans un film.
Si le « fils de Sam » vient d’échapper de peu à l’arrestation, le filet se resserre. La police dispose maintenant d’éléments de recherche significatifs qui lui permettent d’identifier un total de 900 véhicules sur la zone New York-New Jersey qui pourraient correspondre à celui du meurtrier. Mais le travail d’investigation se présente comme une œuvre de longue haleine.
Heureusement, les enquêteurs vont être servis par la chance. Un témoin signale à la police que, non loin du lieu d’une des agressions, un homme ressemblant au portrait-robot du tueur a retiré une contravention du pare-brise d’une voiture dans laquelle il est monté : une Volkswagen Coccinelle jaune…
Il n’y a plus qu’à éplucher les carnets à souches des contraventions émises pour dans ce secteur pour identifier le véhicule et son propriétaire… David Berkowitz est finalement arrêté par la police le 10 août 1977 vers 22h00 alors qu'il s'apprête à monter dans sa voiture, un revolver dissimulé dans le sac en papier qu’il porte à la main. Dans son véhicule, les enquêteurs découvrent une carabine Commando Mark 3 et, dans le vide-poche, une lettre annonçant de nouveaux crimes.
Le cauchemar du tueur au « calibre 44 » prend fin.
Et comme les Etats-Unis ne connaissent ni ne pratiquent le principe de la « confusion des peines » en vigueur ailleurs (par exemple, dans l’Hexagone) David Berkowitz, jugé sain d'esprit, sera condamné le 12 juin 1978 à un total cumulé de 365 ans de prison pour l’ensemble de ses crimes … Dormez tranquille, bonnes gens, il est donc toujours en prison et ne semblent pas prêt d’en sortir (malgré le statut de born gain à la foi chrétienne qu’il revendique opportunément désormais…)
NEW YORK 1977 : BIEN LOIN DESORMAIS…
La canicule passée, les New Yorkais de 1977 vont maintenant pouvoir continuer à avoir chaud mais dans une ambiance plus conviviale. Car si le New York des années 70, vous l’avez compris, est la ville de la violence, de la saleté et de la peur, c’est aussi la ville du… disco !
En avril 1977, en effet, avait eu lieu l’ouverture de la plus célèbre boite de nuit de l’époque : le Studio 54, situé sur la 54ème rue (forcément), presque à l’angle de la 8ème avenue (et à 500 mètres de l’actuelle Trump tower…)
Lieu emblématique du New York underground, branché et d’une décadence jubilatoire, la discothèque va acquérir rapidement la réputation d’être la plus grande boîte de nuit de tous les temps avec 5000 danseurs en même temps sur la piste. Des foules innombrables se massent à l’entrée chaque soir, dans l'espoir de pouvoir y entrer pour se déhancher au son de la musique emblématique des années 70 : le disco.
Et le studio 54, c’est le lieu de tous les excès.
Si les décibels s’y déversent jusqu’à épuisement des danseurs, la cocaïne et toutes les drogues y circulent ouvertement pour y être consommées sur place. Et quand, sur la piste, les corps en ont assez de s’adonner aux rythmes psychédéliques ou aux produits stupéfiants dans le carré VIP, ils montent alors au dernier balcon pour plonger sans retenue dans une frénésie sexuelle sans frein ni tabou. Et cela va durer 9 ans, jusqu’en mars 1986…
Pour le reste, la ville de New York va continuer à connaitre un destin chaotique pendant encore quelques années encore. L’amélioration sera lente, jusqu’à l’arrivée à la mairie de Rudolph Giuliani en 1994, l’homme qui nettoiera la ville comme jamais, allant même jusqu’à louer à la Royal Navy britannique des navires-hôpitaux inutilisées et stationnés au Iles Malouines (large de l’Argentine) afin d’y loger en urgence les malfrats arrêtés par milliers et que la prison de Rikers Island, surpeuplée, a du mal à accueillir...
Les touristes qui visitent New York de nos jours bénéficient donc des fruits de la (vraie) politique de « tolérance zéro ». Rappelons qu’en 1975, 2000 meurtres étaient commis par an à New York, dont 1000 autour ou dans Central Park. En 1990, ce chiffre avait été atteint dès le mois de novembre et on avait même, de guerre lasse, cessé de recenser les simples vols. En 2015, le nombre de meurtres à New York atteignait seulement 348… Quant à Central Park, la « criminalité » s’y limite désormais à environ 100... simples vols / an (pour 48 millions de promeneurs).
Dans tous les domaines, New York, 40 ans après l’incroyable année 1977, n’a toujours pas fini de nous étonner…
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