1679 – 1683 : A 41 ans, l’apogée
Il fait aussi le ménage autour de lui et, en 1679, disgracie sa favorite madame de Montespan au terme de la sulfureuse mais obscure « affaire des poisons ». A 45 ans, il se « range » de sa tumultueuse vie « amoureuse » pour épouser, en secret, madame de Maintenon après le décès de la reine Marie-Thérèse.
1685 : A 47 ans, le début d’un déclin jamais avoué
Pour ce qui est de la politique intérieure, Louis XIV affiche une hostilité grandissante à l’égard des Protestants et, après moult vexations, finit par révoquer, en 1685, l’Edit de Nantes (de tolérance) de la « Religion Prétendument Réformée » autrefois rédigé, dans la liesse populaire, par le bon roi Henri IV. Il ne fait pas bon non plus être juif, sous Louis XIV : 8 d’entre eux sont brûlés vifs cette année-là…
A titre personnel, à cette époque, Louis XIV commence à souffrir de sa dentition, qu’il a mauvaise, qu’il ne brosse évidemment jamais et que son alimentation attaque sérieusement. Pour soigner les maux de dents souvent violents ? Daquin prescrit de l’essence de girofle ou de thym… La gloutonnerie du roi et ses indigestions à répétitions lui valent naturellement aussi des cauchemars (du somnambulisme qui inquiète), des vapeurs, des « chagrins et mélancolies » des suées nocturnes et des délires. Pour ce qui est des causes de ses faiblesses et malaises divers, on diverge. Pour Antoine Vallot, le précédent archiatre, c’est « une délicatesse de poitrine et une faiblesse d’estomac » qui en étaient la cause ! Mais, à l’instar d’Antoine Daquin, on affirme aussi que Louis XIV était « dès sa naissance, d’un tempérament extrêmement chaud et bilieux »…
Pour faire face à ces chaleurs excessives, Daquin prescrit donc, au lever, un verre d’eau au « rossolis » (de l’eau-de-vie d’Espagne dans laquelle ont macéré diverses graines ou plantes telle de la carotte ou du fenouil…) Mais l’on a aussi l’idée de lui faire respirer des sels ammoniaqués ou de lui frotter le visage avec de l’eau de Hongrie…
Outre ces affections, Louis XIV souffre de rhumes à répétition, qu’il attrape souvent durant ses chasses et bien qu’il se couvre la tête de perruques, qu’il commence à porter à partir de l’année 1673 (il a 35 ans). Qu’importe, si le roi donne ses maux en spectacle, il ne veut pas montrer qu’il y cède mais, plutôt, qu’il s’en accommode et y fait face avec un stoïcisme qui doit forcer, qui force réellement, l’admiration. Etre intraitable avec la douleur est, aussi, un des axes de la communication royale. Et les courtisans, eux, se sentent bien faibles aux côtés de leur roi lorsque celui-ci impose à ses ministres des séances de travail avec la fenêtre ouverte en hiver ou quand, en carrosse, il refuse une halte permettant aux dames qui l’accompagnent de soulager leur vessie…
Car Louis XIV n’aime pas plier ni montrer qu’il le fait. Il sourit et fait bonne contenance. Et il impose aussi à son entourage pareil comportement : il n’aime pas qu’on se plaigne, qu’on ait l’air malade ou souffrant et chacun sait qu’en présence du roi, il faut être fardé, maquillé, souriant, aimable. Louis XIV résiste donc et il le montre. Et chacun est invité à en faire autant.
Mais cette contenance va être de plus en plus difficile à porter car, en réalité, l’année 1685 marque un tournant dans sa santé. Louis XIV a 47 ans (seulement) mais toutes ses dents du haut (sauf une) sont tombées et toutes ses dents du bas sont désormais cariées. Il n’y a, à cette époque, pas de dentiste à proprement parler et les arrachages de dents sont du ressort des… barbiers. Hélas, ceux du roi ont été, jusque-là, fort maladroits : leurs « opérations » successives ont arraché… plusieurs morceaux de palais au malheureux patient et, quand le roi boit, l’eau lui coule par le nez « comme une fontaine » en raison du trou entre ces deux parties du visage !
Pis : la peau de ce trou béant, restée à vif, commence à sécher et se racornir, entrainant des… odeurs fortement désagréables. Que faire ? On se concerte, on décide qu’il faut cautériser au plus vite pour cicatriser cette vilaine ouverture.
C’est le Premier chirurgien Charles-François Félix de Tassy, fils et petit-fils de chirurgien, assisté du chirurgien-dentiste Dubois, qui vont officier pour traiter ce qu’on appellerait aujourd’hui une « fistule naso-faciale ». Le 10 janvier 1685, ils appliquent (sans anesthésie et par dix fois) un fer chauffé au rouge sur les plaies afin de les cautériser. Simple, efficace et tellement brutal que Dubois, même, semble après coup réellement exténué par l’émotion tandis que Louis XIV, à l’inverse, affecte de soutenir stoïquement l’intolérable douleur.
Dans l’intervalle, c’est en 1685, que le roi est victime des premières attaques de « goutte » : la goutte est une maladie qui se traduit par un excès d’acide urique, lequel se cristallise et se dépose prioritairement dans les reins, la peau, les articulations et, c’est curieux, spécialement l’articulation du gros orteil. Le malade, qui subit une inflammation aigue et très douloureuse, est ainsi souvent contraint à du repos forcé, la jambe tendue et le pied surélevé. Les hommes y sont plus sensibles que les femmes. Si l’on suspecte des causes génétiques à cette affection encore mal connue aujourd’hui, l’hygiène physique et alimentaire joue évidemment un grand rôle : surpoids, excès de viande rouge et d’alcool, manque d’exercice physique ne peuvent être que des facteurs lourdement aggravants… A cet égard, la nourriture toujours surabondante de Louis XIV ne peut que jouer un rôle majeur.
Car, nul ne s’avise que cet appétit excessif puisse être la cause de cette goutte qui le cloue régulièrement dans sa chaise. Au lieu de se faire saigner comme un porc et purger comme un nourrisson, le roi gagnerait certainement par exemple à délaisser le vin de muscat du Roussillon (dont il raffole) et se mettre à un régime carottes râpées – haricots verts à l’eau en sus de promenades à pied autour du Grand Canal !
Mais, naturellement, personne ne songerait à lui faire ces recommandations.
En matière de recommandations, celles que Louis XIV édicte, lui, pour la gestion des colonies sont particulièrement brutales : en plus de l’expulsion des Juifs des Antilles, 1685 voit la promulgation du « code noir » qui organise de façon systématique les questions relatives au métissage et à l’esclavage sur cette zone. Dis-moi quelle était la couleur de ta peau et celle de tes parents et je te dirai quel est ta place dans la société : libre ou servile…
1686 : imposition pour les scrofules, incision pour la fistule…
C’est en 1686 que va avoir lieu l’alerte la plus sérieuse du règne de Louis XIV, pour ce qui est de sa santé. Cette année-là, Louis XIV a 48 ans et, à partir de ce moment, cet homme que nous pourrions croire encore jeune, vu d’aujourd’hui, entre dans une période de déclin physique palpable. Dès cette année, il commence à utiliser une « roulotte » : un fauteuil roulant luxueux et confortable dans lequel il prend l’habitude de se déplacer aussi bien dans ses jardins que dans ses appartements (on le pousse, évidemment). Ce spectaculaire attelage reste, pour lui, humiliant : il ne monte plus à cheval ni ne chasse et porte une chaussure ouverte (« mouchetée ») pour ne pas compresser sont orteil douloureux…
Déjà privé de dents, Louis XIV souffre aussi chroniquement de coliques néphrétiques, de vers solitaires, d’embarras gastriques à répétition et de rhumatismes (notamment à l’épaule droite). Mais il y a pire : une affection insidieuse commence à le ronger dès le début de l’année 1686.
Au début de 1686, le roi se plaint à son médecin d’une petite tumeur au bord de l’anus, vers l’intérieur, sans rougeur ni pulsation et peu sensible au toucher. Cette tumeur ne l’empêche pas de marcher ou de monter à cheval (quand il n’est pas dans son fauteuil roulant) mais elle se met à grossir et à durcir. On s’avise bientôt qu’il se forme un abcès sous la peau.
Daquin ne s’inquiète pas et prescrit des cataplasmes et emplâtres (préparations épaisses) à base de seigle, de fèves, d’orge, de graines de lin, de céruse cuite ou de ciguë (des poisons violents si on les ingère !) enveloppées dans un linge ou un sparadrap (enduit d’essence de térébenthine ou de baume liquidambar) et appliquées sur l’endroit à traiter (c’est-à-dire dans l’anus).
Ces joyeusetés anales expliquent naturellement que le roi soit parfois obligé de garder le lit, ce qui est inhabituel et commence à alarmer son entourage…
Vous vous en doutez, aucun de ces remèdes ne fait effet mais, par extraordinaire, dans un premier temps, l’abcès crève et l’on s’imagine que les remèdes de Daquin produisent réellement de l’effet. Pas pour longtemps car le roi continue de souffrir cruellement. Le 30 mars 1686, le chirurgien Félix de Tassy procède à plusieurs incisions à la lancette (un petit instrument de chirurgie également employé pour les saignées)… Des opérations timides qui ne soulagent en rien le monarque et n’empêchent nullement l’abcès de se reformer.
On s’avise bientôt que l’infection qui gagne en ampleur pourrait mettre en danger la vie du roi qui, plusieurs fois, doit garder la chambre. Face à la menace des rumeurs, Louis XIV se montre alors ostensiblement aux fêtes, accordant une attention spéciale à recevoir les ambassadeurs. Le 13 avril 1686, le roi s’en va « toucher les écrouelles » (les infections purulentes des ganglions). Ce rite très ancien et présent, du reste, ailleurs en Europe (Angleterre, Allemagne) remonte aux premières heures de la monarchie carolingienne. Ce « toucher » frappe l’imagination du bon peuple. Car le roi de France, qu’on se le dise, n’est pas un monarque comme un autre : la cérémonie du « sacre » lui a donné (par l’opération du Saint-Esprit) une dimension surnaturelle. Il est l’homme que l’Eglise (et donc Dieu) a, en quelque sorte, « validé » pour gouverner les hommes. Par le sacre, le roi est censé ne plus être un simple mortel comme un autre. Corps intermédiaire entre la volonté divine et le gouvernement des hommes, il dispose, par construction, de pouvoirs prodigieux : il guérit les « écrouelles », également appelées (c’est leur étymologie première) « scrofules ».
Pendant des siècles, la formule qui accompagne cette imposition des mains est très affirmative : « Le roi te touche, Dieu te guérit ». Avec le développement des sciences à partir du XVIème siècle, il apparait clairement, à l’examen, que cette formule incantatoire satisfait certes les esprits crédules mais ne garantit en rien le recul de l’infection tuberculeuse (car il s’agit d’elle, en réalité). On adopte donc une formulation plus prudente : « Le roi te touche, Dieu te guérisse… » Comme cela : pas de risque avec le service après-vente… Et quoiqu’il arrive, l’Etat doit se maintenir et la marche du royaume se poursuivre.
L’affection de Louis XIV, de son côté, elle, même si elle connait des périodes de rémission, ne faiblit bien sûr pas.
On comprend alors que cet abcès, qui dégénère en ulcère, a maintenant pour conséquence une « fistule » anale. De quoi s’agit-il ? D’un canal artificiel provoqué par l’infection, qui se situe sous la peau, se développe parallèlement au canal anal et débouche dans celui-ci en provoquant des écoulements malodorants et, surtout, très douloureux.
Cette affection, en fait, n’est pas propre à Louis XIV, il y a, dans le royaume (qui compte 20 millions d’habitants), beaucoup de « fistuleux ». Les médecins pensent que cette affection (qui touche quasi-exclusivement les hommes) est provoquée par les courses à cheval, les voyages en carrosses et les débauches… Evidemment, ce type de diagnostic ne vaut que pour les sujets du royaume qui sont suffisamment fortunés pour ce type d’activité (pour les gueux qui vont à pied, on ne s’intéresse guère à la cause de leur affliction) : à titre de thérapie, on conseille alors d’aller faire… une cure à Barèges, petit village de montagne des Pyrénées, au pied du Pic du Midi et du Col du Tourmalet !
Ce bon air pur, les médecins du roi lui conseille donc pour faire disparaître sa fistule… Or un tel voyage est long, demande des préparatifs et fait courir le risque d’une vacance du pouvoir durant une agitation politique dans cette ville de Paris qui est (Louis XIV le sait mieux que personne) toujours imprévisible. Le roi refuse donc cette perspective.
Nous sommes maintenant à l’été 1686.
Louis XIV privilégie l’organisation de fêtes et de spectacles auxquels il se montre autant que les rémissions temporaires de son mal le lui permettent. Mais, forcément, le mal empire et la douleur s’accroît.
Dans ces conditions, toutes les idées sont les bienvenues pour soulager le roi et l’imagination prend, là, réellement le pouvoir : un moine jacobin (c’est ainsi que l’on nomme alors les religieux de l’ordre de saint Dominique, on dirait aujourd’hui un Dominicain) propose une eau miraculeuse de son invention, d’autres apportent des onguents. Tous les charlatans et les « docteur Diafoirus » possibles et imaginables sont scrupuleusement entendus, scrutés puis renvoyés par Louvois. François Michel Le Tellier, marquis de Louvois (1641 – 1691) est en effet un ministre zélé de Louis XIV. Il a succédé au besogneux Colbert en 1683 et, grâce à des talents d’organisation indéniables et à une brutalité efficace, il a mené à bien le chantier de Versailles et diverses missions diplomatiques et militaires au bénéfice du royaume de France.
Louvois est un homme pratique : avant d’administrer de quelconques remèdes au roi, il convient de les essayer préalablement sur d'autres fistuleux. Il fait donc venir un grand nombre de gueux affligés de ces maux à la cour, ce qui permet d’observer in situ... l’inefficacité de toutes les solutions proposées jusque-là.
Que faire alors
Il n’y a plus à tortiller (si l’on peut dire…) : il faut opérer, conclut Bessières, un (énième) chirurgien de renom que l’on a consulté. Mais une opération présente des risques importants et, c’est logique, on hésite. On tergiverse notamment quand un dénommé Lemoyne, médecin à Paris, propose une crème… corrosive qui approfondirait la plaie en creusant progressivement les chairs jusqu’à l’abcès (durée estimée : 4 à 6 semaines), évitant ainsi une incision délicate, douloureuse et risquée. Sa proposition jette le doute dans les esprits.
Louvois, en individu expéditif, fait finalement prévaloir ses vues auprès du monarque avec un argument simple : quitte à souffrir, mieux vaut une opération rapide qu’un traitement long ! La question (sinon l’abcès) est désormais tranchée : ce sera l’incision. La décision est cependant du domaine du secret d’Etat : seul un cercle restreint du plus haut niveau est informé : Louvois (le plus proche collaborateur de Louis XIV), la marquise de Maintenon (son épouse), Louis le Grand Dauphin (son fils aîné), Antoine Daquin (son médecin), Charles-François Félix de Tassy (son chirurgien) et enfin (si ça tournait mal) le père La Chaise (son confesseur).
Inciser un abcès pour mettre un terme à une fistule est une opération courante aujourd’hui, même si elle reste délicate. A l’époque de Louis XIV, elle est rarement couronnée de succès et est donc redoutée : on l’appelle « la grande opération ». Les chirurgiens utilisent pour cela un « syringotome » : un bistouri courbe comme un croissant et dont la pointe est flexible. Mais l’instrument n’est pas très fiable : il provoque de gros dégâts et favorise les infections et les septicémies qui s’ensuivent. De surcroît, le chirurgien Félix de Tassy, qui est désigné pour officier, n’a jamais pratiqué de « grande opération » et n’est pas du tout familier avec le maniement du bistouri qu’il doit utiliser !
Félix, avant toute chose, décide donc de procéder à une amélioration de l’instrument selon ses propres estimations. Afin de minimiser encore les risques pris sur le roi, il fait venir environ 80 fistuleux de tout le royaume : il s’agit de s’exercer d’abord sur eux ! Ces gueux, de toute façon, ne seraient pas soignés et sont voués aux souffrances et à l’infection : ils acceptent donc de servir de cobayes à Félix, lequel finit par acquérir une certaine dextérité.
Dès lors que Félix maîtrise désormais bien son nouvel instrument, il faut fixer une date à l’opération (sans anesthésie, évidemment) : ce sera le 18 novembre 1686.
Jusque-là, si la fistule suinte, l’information, elle, ne doit pas transpirer… La veille même, le roi monte à cheval dans le parc de Versailles en compagnie de ses courtisans et visite divers chantiers en donnant des instructions : business as usual, donc.
L’opération a lieu tôt le matin. Pour ne pas attirer l’attention et éveiller les interrogations du personnel du palais, les chirurgiens Félix de Tassy, et Bessières ainsi que le médecin Daquin se rendent à la chambre du roi par des chemins séparés. Il est 7 h 00 du matin, le roi ne s’est pas encore « levé » officiellement.
Félix est assisté d’un aide nommé Laraye (nous ne tenterons là aucun calembour facile et par ailleurs de mauvais goût). Autour du lit, il y a aussi Madame de Maintenon et Louvois. Après une prière, Louis s’en remet à Félix, chargé de l’opération la plus importante de sa vie. Il fait placer le roi sur le bord du lit, à plat ventre, un traversin sous l’abdomen pour mieux écarter les fesses. Louis XIV sert la main de Louvois. Tout va se jouer maintenant.
A vif, Félix introduit son bistouri et charcute… Louis XIV sert les dents et souffre en silence, à peine laisse-t-il échapper par deux fois « ah, mon Dieu ! ». Félix sue à grosses gouttes. Au bout de plusieurs minutes qui semblent une éternité, Félix juge l’ouvrage achevé. Et pour terminer l’opération, il pratique une bonne saignée !
Dangereuse époque où, décidément, l’on risque de mourir plus sûrement encore des thérapies infligées que des maux dont on est affligé !
Pour l’heure, ça y est, le « lever » protocolaire du roi peut avoir lieu. Louis XIV autorise la divulgation de la nouvelle, qui stupéfie son entourage et il exige de tenir le Conseil, comme à l’habitude.
La plaie, toutefois, se cicatrisera trop vite et il faudra inciser légèrement, toujours en secret, le 7 décembre 1686. Cinquante-six jours après l’opération du 18 novembre 1686, soit le 13 janvier 1687, le roi est déclaré définitivement guéri. Pour Félix, c’est la fortune et la gloire : Louis XIV lui alloue le fief des Moulineaux à Bailly et toute la cour se presse pour avoir l’honneur de se faire inciser avec le « bistouri à la royale » ! Félix, éberlué, expliquera même qu’il fut obligé de refuser d’opérer une trentaine de personne qui tenaient, elles aussi, à être incisées « à la royale » (c’est tellement chic) alors qu’elles n’avaient en fait aucun fistule !
On raconte aussi que le Te Deum de Lully, composé en remerciement de la guérison du roi, sera ensuite exporté par Haendel en Angleterre où, les paroles transformées, il deviendra le fameux God save the king (ou queen) : l’hymne national britannique.
Pour l’heure, tout le monde respire mais Louis XIV, quoique guéri de sa fistule, n’en a pas fini avec ses autres maux.
En mai 1689, par exemple, le roi va de nouveau « toucher les écrouelles ». On ignore si la cérémonie guérit miraculeusement les scrofuleux tripotés à cette occasion mais, ce que l’on sait par Daquin, c’est que ce jour-là, c’est un Louis XIV, très affaibli et suant comme un bœuf car il a contracté une forte fièvre qui est cloué au lit dès le soir même.
1692 – 1711 : L’archiatre Guy-Crescent Fagon et le crépuscule du Soleil
1692 : Le dénommé Guy-Crescent Fagon devient Premier médecin de Louis XIV, en remplacement d’Antoine Daquin. Sans doute Daquin a-t-il été victime de ses agissements jugés incompatibles avec la dignité d’archiatre (ses habitudes de favoritisme). Sans doute aussi la faculté de Paris (dont Fagon est issu) tient-elle (enfin) sa revanche sur la Faculté de Montpellier (d’où venaient Daquin et, avant lui, Vallot).
Fagon fait, durant tout son mandat (jusqu’en 1711, soit une durée de 20 ans), l’objet de commentaires les plus élogieux de la part de l’entourage royal. Il faut dire qu’il entretient avec Louis XIV une relation de proximité (son médecin ne le quitte jamais de chaque jour) et de confiance due à leur âge (Fagon et Louis XIV ont tous les deux 53 ans).
Les médecins ne sont pas seuls, toutefois, à parler de la santé du roi : la belle-sœur de Louis XIV, femme de son frère Philippe et originaire de Bavière (la « princesse Palatine ») en parle aussi au long de ses (nombreuses) lettres. Ainsi décrit-elle le roi en 1694 (le monarque a 56 ans) : « Le roi parait gros et vieux (...) A peine est-il reconnaissable de jour en jour ». Elisabeth-Charlotte a l’expression lourde et directe de la Teutonne qui ne prend pas de gant pour constater avec un certain effarement le déclin rapide qui frappe le sommet de l’Etat.
Affecté, Louis XIV n’en continue pas moins de manger avec gloutonnerie et, comme à l’habitude, jusqu’à l’indigestion : le 14 février 1701, Fagon note le ventre gonflé du roi et ses troubles du sommeil. La purge qui s’ensuit donne lieu à 12 selles (répartis pour moitié entre « excréments bouillonnants » et « sérosités âcres »).
Il continue à être sujet aux fièvres : celle du printemps 1705 (il a 67 ans) l’handicapent terriblement : il est tellement souffrant qu’il ne peut même pas quitter son lit pour aller à la messe et préside le Conseil assis dans ses oreillers. La permanence de l’Etat est en effet un souci constant de la part de Louis XIV : le Conseil doit être tenu, quoiqu’il arrive et l’on ne mentionne qu’une seule interruption de séance (dûment notée par Fagon) en octobre de la même année. Ayant abusé, la veille, de sardines et d’esturgeons, Louis doit interrompre la séance pour aller se soulager…
A partir de 1711, le roi est atteint de terribles crises de coliques néphrétiques. Ces douleurs sont causées par des cailloux expulsés depuis les reins vers la vessie puis vers l’extérieur et qui, en passant avec difficulté dans les divers tuyaux (en raison de leur taille) causent des irritations et des douleurs bien souvent intenses. Et Fagon, imperturbablement, note les présences de ces graviers dans les royales urines (« quatre pelotons [le 4 juillet 1711] ») ainsi que le volume (« une grande chopine ») et l’aspect de ceux-ci (« louche ») le lendemain.
1715 : Louis XIV meurt le 1er septembre 1715 à 8 h 15 du matin. L’autopsie pratiquée révèle, évidemment, une « dilation anormale du gros intestin » : une affection consécutive à des décennies passer à banqueter et à s’empiffrer sans retenue.
En dépit de cette hygiène de vie catastrophique et d’une succession de maux récurrents bien souvent très handicapant, Louis XIV aura fait preuve d’une vitalité hors normes lui permettant de vivre très longtemps. Ainsi aura-t-il vu mourir autour de lui les 6 enfants qu’il avait eu avec Marie-Thérèse et presque tous ceux qui auraient pu lui succéder :
- Ses trois fils (d’abord Philippe-Charles, le cadet, mort en 1671 sans postérité puis Louis-François, né et mort en 1672 puis enfin Louis, l’aîné (dit le « Grand Dauphin »), mort lui-même à quarante ans en 1711 de la petite vérole
- Ses trois petits-fils (les enfants du « Grand Dauphin ») :
- l’aîné (encore dénommé Louis) mort en 1712 de la rougeole, laissant à son tour deux fils derrière lui (dont le seul cadet, arrièrepetit fils et futur Louis XV, survivra)
- le cadet (Philippe) monté sur le trône d’Espagne en 1710 après avoir renoncé à celui de France (l’actuel Juan Carlos en est le descendant)
- et le benjamin Charles, mort en 1714 (ses 4 enfants étant tous eux-mêmes décédés en bas âge)
De ses amours extraconjugales avec Louise de la Vallière (1661 – 1667) seront nés 4 enfants dont 2 seront aussi décédés avant lui.
De ses adultères avec madame de Montespan (1667 – 1679), Louis XIV aura eu 7 enfants dont 4 aussi décèderont avant lui.
1715 : De l’Histoire du roi à l’histoire d’un homme
Avec l’année 1715 et la mort de Louis XIV, s’achève donc le « journal de santé » du roi : un gros registre divisé en deux tomes qui aura couvert 68 ans d’afflictions louis-quatorziennes. Que va devenir cet ouvrage, au contenu confidentiel ?
Il va d’abord rester entre les mains des descendants de l’archiatre Guy-Crescent Fagon (qui fut « Premier médecin » entre 1692 et 1711). Puis, en 1744, ceux-ci le confieront discrètement à la Bibliothèque royale et le journal sera conservé à Versailles.
Il ne sera exhumé et publié que plus d’un siècle plus tard, en 1862, la monarchie ayant, entre-temps, été renversée par la République (1792) puis remplacée par l’Empire (1804) avant d’être restaurée (1814) puis d’être de nouveau renversée (1848) par une (Seconde) république, elle-même supplantée par le Second Empire en 1851… (et après cela, soit dit en passant, on s’étonne que des pays africains ou moyen-orientaux qui n’ont connu pendant des siècles que le califat, la colonisation puis la dictature, ne sortent pas plus vite de leur arriération pour rejoindre le club bien-pensant des démocraties parlementaires…)
Mais bref.
A partir de 1862, donc, les érudits s’étonneront de découvrir un Louis XIV étonnamment humain, alors qu’il avait été jusque-là présenté par toute l’historiographie, aussi bien contemporaine qu’ultérieure comme une force de la nature, indestructible et rayonnante jusqu’à son dernier jour. Certainement doté d’une constitution favorable, Louis XIV aura également été, toute sa vie durant, un simple malade, affecté comme n’importe qui par des maux récurrents bien souvent terriblement douloureux et même parfois handicapants, des maux qu’il aura supporté, pour la plupart, sans broncher.
Etre un être humain qui souffre, tout simplement : cela, aussi, fit partie du métier de roi.
Bonne journée à tous et à toutes.
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