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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1792 : La bataille de VALMY, mystère autour d'un mythe républicain (1)

Publié par La Plume et le Rouleau sur 19 Septembre 2010, 23:02pm

Catégories : #Histoires extraordinaires & énigmes

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,

 

Où va se nicher l’étrange, l’inattendu ? Parfois derrière les sujets les plus rebattus, les plus communs, les questions « bateau » des étudiants et les « marronniers » des journalistes. Là où il faut aller le chercher. C’est ce que j’ai fait aujourd’hui pour vous.

 

Résumons, à cet égard, en quelques mots la « bataille » de Valmy : le 20 septembre 1792, autour de 30 000 Français dépenaillés, inorganisés mais enthousiastes y font face avec succès à  environ 90 000 soldats principalement prussiens et autrichiens, professionnels, bien entrainés et équipés mais... qui finissent par se replier ! C'est la victoire.

La « victoire de Valmy » ! 

Valmy bataille1

 

Valmy : une victoire mythique, tellement inattendue qu'elle en suscite la perplexité...

 

Valmy ! La bataille à propos de laquelle l'allemand Goethe (qui y était) écrit, le jour même, que « de ce lieu et de ce jour date une nouvelle ère dans l'histoire du monde ». Valmy : la bataille où, nous dit Le Moniteur (Journal officiel du gouvernement), avec exaltation, le 1er décembre suivant, qu'on y vit « l'étendard de la liberté, qui est toujours celui de la victoire ». Valmy : la bataille où l'historien du XIXème siècle Jules Michelet voit « la naissance d'une France transfigurée par l'enthousiasme révolutionnaire ».

 

Valmy serait donc le fait d'armes aussi fondateur pour l'identité de la France de la République, résistant à l'invasion impériale prussienne, que le fut pour la Grèce la bataille du « défilé des Thermopyles » (480 av. JC) où les 300 spartiates du roi Léonidas 1er moururent jusqu'au dernier pour faire reculer 200 000 Perses.

 

Valmy, cependant : des moulins sur une colline, environ 100 000 hommes engagés, une matinée de canonnade, aucune charge de cavalerie, aucun combat d'infanterie, rien.

 

Valmy, finalement : 184 morts côté prussien, 300 morts côté français mais, pourtant, des Prussiens qui plient bagages.

 

Valmy...  Un « combat d'opérette » s'étonnent déjà certains contemporains, sceptiques. Une victoire à laquelle Napoléon Bonaparte dira ensuite qu'il ne voit « aucune raison logique ». Valmy : le succès improbable d' « une troupe de comédiens ambulants, un pitre à leur tête » dit méchamment l'Anglais Edmund Burke

 

A l’enthousiasme succède donc la perplexité. « Valmy » : pourquoi ? comment ?

 

Voyons donc, au long des lignes qui vont suivre, quelles circonstances politiques et sociales conduisirent à cette bataille avant d'observer brièvement son déroulement puis de passer une revue les différentes thèses expliquant cette victoire incompréhensible. Car, vous l'avez compris, la bataille de Valmy n'est pas qu'un simple fait d'armes et à peine un engagement militaire. Elle est évidemment le produit d'une conjonction d'évènements dont l'étonnant enchainement va conduire à la Révolution française et à l'aventure républicaine que la France, d'une certaine manière, poursuit encore aujourd'hui.

 

Et cette époque mérite bien quelques explicitations, dont les moins académiques n’en présenteront sans doute que davantage d’intérêts…

 

La France des années 1780 : prête pour l'implosion...

 

Brossons un rapide tableau de la France des années 1780, dite d' "Ancien régime" : pas vraiment brillant mais passionnant. Une France où ces éléments vont se conjuguer pour accélérer brutalement le cours de son Histoire. 

louis16france.jpg

Politiquement, la France est, depuis treize siècles, une monarchie de droit divin qui s'incarne dans la cérémonie du « sacre » du roi lors de son accession au trône. Louis XVI, à ce titre, est souverain depuis 1774, date à laquelle il avait 20 ans. On a peine aujourd'hui à se représenter l'importance du surnaturel dans les comportements et les croyances de l'époque : le fait est pourtant que le roi apparaît comme un personnage « sacré », intercesseur entre les forces divines et le pays en même temps que figure tutélaire et unificatrice de la France. Le monarque français partage cependant avec divers corps dits « intermédiaires » (corporations, assemblées diverses) et pour des raisons coutumières, diverses attributions et prérogatives. Toutefois, depuis Louis XIII, le pouvoir royal a  souffert d'une contestation de plus en plus agressive de la part de la noblesse et, en réaction, Louis XIV a rendu la monarchie française plus « absolutiste ». En France, le roi est censé incarner l'unité du royaume, ce qui n'a rien d'évident...

 

Car le royaume de France n'est pas un territoire unifié et cohérent, loin de là. Pour Mirabeau, « la France apparaît comme un agrégat inconstitué de peuples désunis ». C'est en effet que l'Ancien régime repose sur une organisation fragmentée en particularismes appelés « privilèges » qui sont essentiellement d'origine coutumière. La pratique, le temps, ont consacré des usages administratifs, judiciaires, fiscaux, mis en place de façon souvent purement opportuniste ou ponctuelle au fil des rattachements de territoires acquis ou rattachés à la suite des multiples guerres.

 

Il y a ainsi dans le royaume environ 2 000 systèmes de mesures (taille et poids) différents qui coexistent au sein d'une quarantaine de « provinces » : des circonscriptions territoriales de moult catégories (métropole, diocèse, duchés, baronnies, gouvernements, états, élections, généralités,  bailliages, intendances, pays, parlements...) qui coexistent et parfois se recoupent entre eux. Concrètement, un même territoire peut porter le même nom mais avoir une superficie différente pour ce qui est de son administration fiscale, militaire ou religieuse. Ainsi le ressort (judiciaire) du « parlement » - la cour de justice -  d'Artois ne correspond pas au même territoire que le « gouvernement » (militaire) d'Artois ou que l' « intendance » (zone fiscale) d'Artois. Il y coexiste, donc, plusieurs autorités dont les prérogatives, parfois, se télescopent entre elles ! Ce n'est plus de la décentralisation, c'est un vrai bazar impossible à réformer où, compte tenu des « frontières » fiscales intérieures, la contrebande et l'évasion fiscale sont endémiques.

 

Simultanément, depuis les années 1780, la France connait des difficultés financières graves : les intérêts de la dette (300 millions de livres), contractée pour financer le train de vie croissant de la Cour (36 millions) ainsi que la guerre en Amérique, absorbent la moitié du budget de l'Etat (dépenses : 600 millions de livres / recettes : 500 millions) ! Des réformes urgentes et drastiques sont donc nécessaires mais Louis XVI, confronté à l'opposition intransigeante de la haute noblesse et du haut clergé, n'ose pas les imposer.

 

Impôt, ça va, trop d'impôts, bonjour les dégâts...

 

Car ces deux ordres tiennent évidemment à leurs privilèges : le clergé (clergé « séculier » = évêques, curés et clergé « régulier » = abbés, moines) compte au total 150 000 membres (à comparer à 20 000 prêtres en 2010, hors communautés monastiques) et ne paie aucun impôt. Pourtant, l'Eglise possède, au plan immobilier, de l'ordre de 10 % du territoire (et perçoit les revenus qui vont avec, soit environ 100 millions de livres / an : le montant du... déficit budgétaire de l'Etat !).

 

La noblesse, elle, compte 350 000 membres, tous propriétaires fonciers (donc en percevant des revenus) ou détenteurs d'« offices » (= professions permettant de percevoir des droits : notaires, avoués, etc...). La noblesse, quoique très hétérogène, est également exonérée d'impôt.

 

Alors qui paient des impôts en France (et notamment le principal, la Taille) ? Tous les autres : les 25 millions de Français restant, évidemment ! Les paysans, laboureurs, commerçants, changeurs, « bourgeois » qui gèrent des villes, des communautés de communes, des guildes de marchands et qui travaillent d'arrache-pied en attendant de prendre un ascenseur social qui ne descend jamais jusqu'à leur étage... Alors, forcément, ce Tiers état, ces millions de sujets de la France qui se lève tôt, est de moins en moins disposé à être le seul à payer à la place d'une minorité oisive protégée à l'utilité sociale contestable.

 

L'abbé Sieyès le dira quelques mois plus tard : « Qu'est-ce que le Tiers état ? Tout. Qu'a-t-il été jusqu’à présent ? Rien ! »

voltaire.jpg

 

Penser, c'est déjà contester...

 

C'est aussi pourquoi, dans ce contexte de difficultés et d'immobilisme, de nouvelles idées, contestataires de l'ordre établi, émergent et trouvent des relais. Les élites (philosophes, encyclopédistes, écrivains, poètes, dramaturges...) mettent en avant le modèle anglais de monarchie constitutionnelle, où l'autorité du monarque est tempérée par une assemblée élue. Voltaire, lui, défend le « despotisme éclairé » : un pouvoir certes fort mais reposant sur la « raison » (la rationalité) et non sur la collusion avec la religion. De manière plus large, aux « devoirs » des « sujets », on commence à opposer les « droits » du « citoyen » et Rousseau défend l'idée que le pouvoir suprême réside dans l'idée abstraite de « nation » et non dans un homme placé au-dessus des autres (le roi). Beaumarchais, lui, choisit l'humour pour stigmatiser l'absurdité de l'organisation sociale et des comportements de ses contemporains dans des pièces insolentes à l'humour endiablé.

 

Voilà pour les idées exprimées ouvertement. Mais d'autres formes de rébellion, davantage cachées, existent également : il s'agit des sociétés secrètes diverses et autres « loges » maçonniques qui suscitent un véritable engouement à la veille de la Révolution : disons-en quelques mots, qui ne seront pas inutiles pour notre propos ultérieur.

 

En Angleterre, a été fondée, en 1717 la « Grande Loge de Londres » : de quoi s’agit-il ? C’est une association (une « société ») secrète qui revendique une filiation avec les « loges » (= associations professionnelles) des maçons médiévaux, bâtisseurs de cathédrales. Elle en reproduit ainsi la hiérarchie stricte, le cloisonnement et le culte du secret. Les maçons formaient en effet une corporation jalouse de son savoir-faire à une époque où il n’existe aucune école d'architecture ou d'ingénieurs et où tout s'apprend sur le tas (de pierres). Mais le propos de cette loge d’un nouveau genre n'a cependant rien d'architectural. Il est énoncé en 1726 par Francis Drake : « la vérité, la bienfaisance et l'amour fraternel ».

 

Nous entrons là dans l'ère de la « maçonnerie spéculative » ou Franc-maçonnerie, à vocation philosophique, sociale et, naturellement, politique.

 

Des sociétés secrètes où tous ne sont pas logés à la même enseigne...

 

Dès cette époque (où Louis XV est sur le trône), des « loges » apparaissent aussi en France. A la fin des années 1730, elles sont déjà au nombre d'une quarantaine et excitent la curiosité du public comme des autorités. Dans une France d'Ancien Régime où le droit de réunion n'existe pas et où toute publication (livre, journal, libelle, bulletin) doit être préalablement soumise à la censure administrative, « toute discussion tenue à l'abri des regards et des censures apparaît nécessairement subversive à l'égard de l'ordre religieux et politique établi » (Daniel Roche).

 

Dès 1738, le pape Clément XII lance une bulle d'excommunication (« In eminenti ») contre les « maçons » mais en France, les Parlements régionaux et l'Église elle-même s'opposent à sa mise en œuvre. Car il faut dire que, très tôt, l'engouement pour cette forme d'association secrète a déferlé sur les élites du royaume de France. « parcourue(s) d'une intense curiosité pour (des) mystères (…) mêlant distraction, convivialité, banquets, libations et chansons à des activités plus mystérieuses » (Daniel Roche).

 

Ainsi, à la fin des années 1780, le succès de ce tissu associatif d'un nouveau genre (jusque-là, on ne voyait que des associations professionnelles ou des ordres religieux) est-il énorme : près de 1 000 loges dans le royaume de France. Des loges qui se créent, se dissolvent, se querellent, s'opposent, se concurrencent, se regroupent ou font scission. Elles se veulent chrétiennes, agnostiques, déistes, utopistes, mystiques, rationnelles ou irrationnelles. Elles s’unissent rassemblent environ 20 000 personnes en France

 

Qui sont ces 20 000 « maçons » ? Essentiellement des membres du Tiers état : 75 % de bourgeois bloqués dans leur ascension sociale et issus principalement d'activités économiques, commerciales, financières, et artistiques. Mais il y a aussi 5 % d’ecclésiastiques : essentiellement des membres du clergé « régulier » cultivé, des curés et des chanoines aisés qui passent outre l'interdiction papale. Il y a enfin 20 % de nobles, fascinée par le courant d'idées nouvelles, principalement des militaires et des courtisans : une noblesse plutôt « haute », soit ancienne ou proche du pouvoir. En 1771, c'est même le duc de Chartes, prince du sang (et ancêtre de l'actuel « comte » de Paris, prétendant « orléaniste » au trône de France) qui est élu à la tête d’un ensemble de loges qui, sans fusionner, entame un processus de rapprochement ! 

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Et ce goût pour le secret, la libre pensée et l'entraide mutuelle, les élites européennes le partagent. Mozart est « initié » (= il devient membre) à la loge « La Bienfaisance » en 1776. George Washington appartient à celle dite « Alexandrie n°22 ». Voltaire est membre de celle des « Neuf Sœurs ». Le poète allemand Goethe, déjà initié depuis 1780, adhère en 1783 à l'étrange ordre des « Illuminés de Bavière », la même année que le duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick (sous le pseudonyme d'Aaron) : un général prussien que nous allons retrouver un peu plus loin.

 

Mais pour l'heure, foin d'occultisme et de cérémonies pompeuse destinées à impressionner les esprits faibles : de l'action !

 

Et il va y en avoir, dans l'Hexagone. 

 

1789 : L'accélération de l'Histoire

 

Il n'est pas question ici de refaire un cours sur l'intégralité des débuts de la Révolution Française mais de simplement planter les principaux jalons qui mèneront au cœur du sujet de cette chronique : la bataille de Valmy de 1792 entre les Français et les Prussiens.

 

Août 1788 : Le royaume de France est en crise de trésorerie. Le 8 août 1788, Louis XVI décide de convoquer les Etats généraux du royaume pour le 1er mai suivant (1789). La situation est grave et il faut en débattre. Les Etats généraux doivent réunir 1 139 députés (270 nobles, 291 clercs et 578 représentants du Tiers état).

 

Fin 1788 / début 1789 : On rédige les « cahiers de doléances », le peuple exprime une volonté de changement et de réformes mais aucune hostilité envers le roi, considéré encore comme une figure tutélaire bienveillante. Puis on élit les députés.

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5 mai 1789 : Séance inaugurale des Etats généraux à Versailles. D'emblée, le Tiers exige le vote « par tête » et non « par ordre ». Le 17 juin, il se proclame « assemblée nationale ».

 

20 juin 1789 : Trouvant leur salle de délibération fermée, les députés du Tiers se réunissent à la salle du Jeu de Paume (sorte de tennis sans raquette de l'époque) et font le serment de « ne pas se séparer avant d'avoir donner une constitution à la France ». Après quelques hésitations, Louis XVI accepte la réunion des trois ordres en une assemblée unique.

 

12 – 14 juillet 1789 : Paris connait des troubles populaires, la forteresse de la Bastille, prison et dépôt de munitions, est assiégée et envahie. Une milice populaire est créée, la Garde Nationale, dont le commandement est donnée au marquis de La Fayette.

 

17 juillet 1789 : Le propre frère du roi, le comte d'Artois (futur Charles X de 1824 à 1830) quitte le pays (c'est le premier des « émigrés »). Des troubles secouent le pays et l'anarchie menace. Un sentiment d'insécurité règne dans les campagnes, c'est la « Grande peur ».

 

4 août 1789 : Des nobles libéraux, le duc d'Aiguillon et le vicomte de Noailles, proposent la suppression des privilèges, l'égalité fiscale entre les ordres et la suppression, avec compensation, des droits (= taxes) seigneuriaux, toutes dispositions votées dans la nuit.

 

26 août 1789 : proclamation de la « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ».

Declaration-droits.jpg 

Septembre 1789 : D'intenses discussions ont lieu entre les députés et le roi quant à l'équilibre des pouvoirs à trouver. Le pays est en proie à de violentes émeutes qui sont difficilement réprimées.

 

5 octobre 1789 : Des milliers de femmes se dirigent vers Versailles et, sous la pression populaire, le roi et sa famille rentrent habiter à Paris, au palais des Tuileries, le lendemain. Paris rassemble donc tous les pouvoirs puisque l'Assemblée y siège déjà.

 

2 novembre 1789 : Les biens du clergé sont réquisitionnés et mis à la disposition de « la nation ».

 

1790 : De la Bastille vers la Nation

 

26 février 1790 : La France est profondément réorganisée, les régions et les frontières intérieures entre « provinces » historiques sont abolies. On crée, de façon arbitraire mais rationnelle, 83 départements de superficie homogène au centre desquels on place un « chef-lieu », l'objectif est de permettre à chacun de ceux-ci de se trouver à environ 1 journée de cheval les uns des autres afin de faciliter la diffusion dans les campagnes de l’information et des décisions prises à Paris. Nos « départements », que le conservatisme franco-français prétend aujourd’hui ancrer dans le patrimoine national, ne sont en réalité que des créations administratives ex nihilo, étroitement liés aux vicissitudes d’une époque révolue. Créés de toute pièces, ils pourraient donc (et pourquoi pas ?) être aujourd’hui purement et simplement supprimés. Mais ceci est un autre débat.

 

En 1790, on décide aussi d'unifier le système des poids et mesures avec la mise en place d'un système universel fondée sur une longueur jugée incontestable : le « mètre » linéaire qui vaut la dix-huit millionième fraction du quart du méridien terrestre. Ce mètre « cube », s’il est divisé par 1000, vaut 1 « litre ». Lequel litre pèse 1 « kilogrammes ». Et voilà comme longueur, volume et poids sont, de façon intangible, liés aux dimensions terrestres…

 

14 juillet 1790 : La « fête de la Fédération » rassemble à Paris des délégations de « Gardes nationaux » (milices populaires) de tous les départements autour de l'Autel de la patrie dressé sur le Champ de Mars. Cette fête grandiose (une messe célébrée par l'évêque d'Autun, Talleyrand, 22 000 couverts et un souci d'organisation allant jusqu'à l'encadrement des tarifs des prostituées !) traduit l'aspiration nouvelle du pays à l'unité : c'est cette fête, et non la prise de la Bastille, qui est à l'origine de l'actuelle fête nationale française du 14 juillet. Le corps législatif et La Fayette jurent fidélité « à la nation, à la loi et au roi ». Louis XVI, lui, prête serment à la « Constitution » (qui n'a pas encore été proclamée).

 

En fait, le roi reste opposé aux réformes qui sont décidées par le Corps législatif (et notamment le contrôle que le gouvernement tente d'imposer à l'Eglise à travers une « constitution civile »). Il tente, par diverses manœuvres dilatoires, de résister aux décrets que l'Assemblée lui présente régulièrement mais que, in fine, il est conduit à signer.

 

1791 : La rupture entre le peuple et le roi

 

Les Constituants continuent de siéger quotidiennement et de réformer le pays. Trois tendances se dessinent :

·         les monarchistes (partisans du maintien du roi et de réformes très limitées du mode de gouvernement) : ils représentent l’opinion majoritaire du peuple

·         les monarchistes « constitutionnels » (tel La Fayette, partisans d'un système à l'anglaise où le monarque serait largement dépossédé de prérogatives au bénéfice d'une assemblée représentative élue) : ils représentent l’opinion majoritaire des élites du royaume en faveur d’un compromis moderne

·         les « patriotes » radicaux (partisans d'une « république » sans roi, très minoritaires).

Un événement inattendu va faire basculer la situation : la tentative de Louis XVI de fuir Paris le 21 juin 1791.

 

Tôt dans la nuit, ce jour-là, aidé par diverses complicités, l'ensemble de la famille royale s'évade discrètement du palais des Tuileries. La fuite est découverte à 7 h 30. Apparemment, il s'agit pour Louis XVI, sa famille, sa sœur Élisabeth et le comte de Provence (frère du roi, futur louis XVIII de 1815 à 1824) de rejoindre Montmédy, place forte de la Meuse fortifiée par Vauban et proche à la fois du Luxembourg et des Pays-Bas. A Paris, c'est l'affolement.

 

Mal préparé, retardé par moult évènements fortuits, le voyage ne se déroule toutefois pas comme prévu et Louis XVI est reconnu lors d'une étape à Varennes, en début de soirée. Le lendemain, 22 juin 1791, il est de retour à Paris, sous escorte. Sur son passage, une foule immense et réprobatrice le regarde passer « dans un silence de sépulture » (Michel Winock). Cet acte de désertion du monarque déchire le contrat moral qui le liait au peuple de France depuis dix siècles. La crédibilité de Louis XVI ne s'en relèvera pas. Son acte ruine désormais tout espoir des constituants modérés de faire aboutir une monarchie constitutionnelle. Les idées radicales des « républicains » gagnent facilement du terrain.

 

Dans les cours européennes, on s'inquiète. Jusqu’à présent, on avait suivi avec attention, avec discrétion et avec une certaine satisfaction les tribulations de Louis XVI et, partant, l’affaiblissement de la France sur la scène européenne. « L’intérêt des puissances européennes est que la France s’enlise dans la sa révolution », que ce pays (…) soit mis à l’écart des grandes affaires de l’Europe et du monde » (Jean-Michel Gaillard). Mais la situation dégénère : ce n’est plus tant Louis XVI intuitu personae qui est en cause (le peuple anglais s’est bien débarrassé de quelques uns de ses rois), mais c’est l’institution monarchique elle-même. Et si d’autres peuples s’avisaient de suivre cet exemple ?

 

Alors, le 27 août 1791, par la « déclaration de Pillnitz », l'Autriche et la Prusse présentent la France « révolutionnaire » comme un danger pour l'Europe. On comprend donc que les souverains d’Europe s’arment et s’emploient à se coordonner pour renverser le nouveau système politique français.

 

1792 : La France tourne en direction de République

 

Dès le 9 février 1792, un décret de l’Assemblée Législative confisque les biens des aristocrates qui ont fui le pays (principalement pour l’Angleterre) et dont on sait qu’ils y complotent, à l’abri, au renversement du gouvernement français actuel. Le roi, quoique n’étant plus associé aux décisions, disposent cependant de prérogatives du fait de la constitution. Et il en use et en abuse, notamment pour freiner toutes les initiatives auxquelles il s’oppose (il a un droit de veto).

 

Le péril d’une invasion extérieure grandit. Dans la constitution de 1791, les hommes des Lumières ont écrit « La Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ». Mais là, c’est la liberté de la France elle-même qui est menacée par l’étranger. Alors, dans un élan fou et certainement imprudent et malgré la vive opposition de Robespierre, la France, le 20 avril 1792, déclare, préventivement, la guerre à l’Autriche et à la Prusse (« au roi de Hongrie et de Bohême ») ! L’engrenage est lancé.

 

Mais la France est-elle prête à un conflit ? Rien n’est moins sûr. Les troupes (300 000 hommes dont un tiers de volontaires) sont mal équipées et peu formées, les officiers sont majoritairement royalistes. Côté politique, à l’Assemblée, les luttes intestines font rage entre « Jacobins », « Girondins » et autres tendances réunies, en ville, en divers « clubs ».

 

Ainsi, le 29 avril 1792, les premiers engagements face aux Autrichiens dans le Nord de la France tournent-ils rapidement à la déroute pour les Français. Pourtant, les Austro-prussiens, dirigés par le général-prince et duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick, ne poussent pas leur avantage. Ils restent à la frontière et n’avancent pas sur Paris.

 

Sans doute les puissances européennes sont-elles inquiètes devant le désordre politique français… Mais de là à intervenir plus avant… Elles hésitent, malgré les exhortations des « émigrés », proches de la famille royale, lesquels font un « lobbying » intense en faveur de cette guerre « préventive ». Et puis intervenir jusqu’où ? Et pour faire quoi ? Pour rétablir l’autorité d’un roi dont une partie des Français ne veut plus ? Et pour occuper ensuite la France en y mobilisant des troupes d’occupation dans un pays en guerre civile ? L’empereur d’Autriche François 1er (neveu de la reine Marie-Antoinette) reçoit ainsi une lettre fort directe de son frère, l’archiduc Charles-Louis, engagé sur le front français : « A mesure que nous nous sommes avancés en France, nous avons trouvé les paysans de plus en plus épris de la nouvelle Constitution (…), le pays tellement prévenu contre l’Ancien Régime et pour le nouvel ordre des choses qu’il faut regarder comme absurde et impossible le projet des émigrés français de tout rétablir sur le pied d’autrefois ». 

Valmy Frederic-Guillaume II de Prusse

Une guerre, donc… Une victoire, peut-être… Et pour quoi faire, au final ? peut se demander le roi Frédéric-Guillaume II de Prusse.

 

De son côté, Louis XVI utilise son droit de veto pour bloquer les décisions de l’Assemblée qui permettraient d’organiser la défense, telle l’installation près de Paris d’un camp militaire destiné à rassembler 20 000 « fédérés » (des soldats volontaires venus de tout le pays) pour suppléer les troupes régulières qui se sont débandées devant les Austro-prussiens à Mons et à Tournai. Il joue aussi la division entre ses adversaires politiques, favorisant par exemple les « Feuillants » au détriment des « Girondins »...

 

Ajoutez à cela la populace qui manifeste dans les rues, envahissant les Tuileries le 20 juin 1792 et vous conviendrez avec moi que ce que les historiens appellent le « climat insurrectionnel » de la mi-1792 est, dans les faits, une situation anarchique où les « pouvoirs publics » ne maîtrisent plus la situation.

Qu’importe. Puisque la menace est partout, le 11 juillet 1792, les députés déclarent la « la Patrie en danger » et organisent la levée nationale officielle des volontaires. Si les Prussiens semblent hésiter à avancer sur Paris, on croit dur comme fer à cette perspective. C’est la psychose. Il y a de quoi.

A suivre

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A
Bref résumé :<br /> Avant la révolution française, la france est la première puissance mondiale.<br /> Après la révolution française et l'empire, l'angleterre est la première puissance mondiale.<br /> L'angleterre n'a rien fait pour cela ?<br /> C'est juste que les français étaient des ânes ?
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D
DROIT de réponse : il s'agit de mon aïeul JACQUES MARGUERITE PILOTTE de LA BAROLLIERE qui a gagné la bataille le 20 septembre 1792 , au début de la guerre il était lieutenant-colonel , il a été nommé maréchal de camp par le général DUMOURIEZ a la tête des troupes légères de l'armée de Lorraine , voir mon compte overb'og au nom danielpilottedelabarolliere.over-blog.com merci de vôtre compréhension .
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D
Droit de réponse : il s'agit de mon aïeul JACQUES MARGUERITE PILOTTE de LA BAROLLIERE qui a gagné la bataille de VALMY le 20 septembre 1792 , au début de la guerre il était lieutenant-colonel , il a ete nommé par le général DUMOURIEZ a la tête des troupes légères de combat de Lorraine , voir compte overblog au nom danielpilottedelabarolliere.over-blog.com , merci de vôtre compréhension , mes sincères salutations .
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G
3<br /> La Révolution de Beethoven<br /> Selon le musicologue Georges Kan, la Sonate pour piano No 22 de Ludwig van Beethoven serait la représentation musicale de la Fuite de Varennes et de la Bataille de Valmy. Sur la couverture de la première édition (A Vienne au Bureau des arts et d’industrie) on peut lire LI me SONATE. La typographie utilisée (un gras renforcé) crée l’illusion d’un « LI » gravé dans le marbre. Il ne peut s’agir de la 51e Sonate car Beethoven d’une part n’en aura composé que 32 en tout, et que d’autre part s’il numérote effectivement ses œuvres (l’op. 54 en l’occurrence), il ne comptabilise jamais sa production par genre. « LI » serait une double référence cachée à Louis XVI et à Valmy : le produit de X et V ajouté au I donne LI, et les lettres VY entrelacées créent un V barré (ancêtre du L) et un I.<br /> Concise, la sonate est composée de deux mouvements dont voici les titres, accompagnés de propositions métronomiques :<br /> 1. In Tempo d'un Menuetto (sic) 40 MM la mesure<br /> 2. Allegretto 60 MM la mesure – piu allegro 80 MM la mesure<br /> A noter dans la première partie, mesures 3 et 7 à la main gauche, la citation des 6 croches du Menuet d’Exaudet (fa-la-do-la-si-sol-fa) sous lesquelles venaient se placer les paroles révolutionnaires Imagine, un beau matin dans la Parodie « Sur l’inimitable machine du médecin Guillotin propre à couper les têtes et dite de son nom Guillotine ».<br /> Le jeu de mots du titre In Tempo d'un Menuet tô(t), confirme que la Guillotine, objet de cette parodie très populaire pendant la Révolution française, est bien le sujet central de cette Sonate de Beethoven. En voici le premier couplet :<br /> Guillotin,<br /> Médecin,<br /> Politique,<br /> Imagine, un beau matin Que prendre est inhumain Et peu patriotique.<br /> Et sa main<br /> Fait soudain<br /> Une machine Humainement qui tuera,<br /> Le menuet du 1er mouvement décrit les idées sombres de Louis XVI (mes. 1-24, 69-93, 105 et suiv.) face à la menace des Sans-culottes (thème de triolets en octave), puis la Fuite de Varennes (mes. 126-136) et l'emprisonnement (mes. 137-154) consécutif à la Prise des Tuileries. Les sforzando dans les triolets du premier mouvement génèrent un thème d'allure révolutionnaire réutilisé en mode rétrograde dans le Finale de la Neuvième Symphonie, mes. 822-824, sur les paroles was die Mode streng geteilt [Ce que, sévèrement, les modes divisaient] de l'Ode à la Joie. D’ailleurs, la main gauche n’est pas sans rappeler, mes. 40-41, l’hymne lui-même ou sa variation ternaire dans la 9e Symphonie (mes. 656).<br /> Le plus stupéfiant dans ce mouvement reste que deux fois, mes. 38 et 54, la chaîne dansante de triolets s’interrompt brutalement sur trois notes dans le grave, après une série d’accents dans l’aigu illustrant une forme de bousculade. Il s’agirait de la première description sonore connue d’une exécution publique, le supplicié marchant env. 20’ de la charrette à la guillotine<br /> <br /> (40 et 46 triolets respectivement). Le triolet conclusif, fait d’une tierce diminuée descendante suivie d’une seconde mineure ascendante, est repris comme une obsession dans tout le mouvement.<br /> L'Allegretto du 2e mouvement décrit, lui, le champ de bataille de loin (mes. 1-36), puis de près (mes. 37-44), la charge (mes. 45-64), le grondement de la canonnade [peut-être les explosions des deux chariots de munitions français] (mes. 65-74), le sifflement des obus (avec l’effet Doppler, soit un chromatisme de 3 notes vers le grave - mes. 36, 64, 126, 129), la clameur (mes. 115) , les cris révolutionnaires (motif plus lent du triolet du 1er mouvement) et l’issue victorieuse (piu Allegro). Les deux dernières croches, comme deux rebonds vers le grave, évoquent peut-être la décapitation de Louis XVI, procédé repris par Hector Berlioz dans sa Symphonie fantastique (toute fin de la Quatrième Partie : Marche au supplice).
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