Chèr(e)s ami(e)s et habitué(e)s des Chroniques de la Plume et du Rouleau,
De quoi allons-nous parler aujourd’hui ? De guerre, d’amour, d’acteurs et de cinéma. Et nous verrons, ce faisant, combien ces sujets, quoiqu’assez éloignés, peuvent être, parfois, intimement liés…
La guerre : nous allons voir qu’elle ne se fait pas toujours uniquement à coups de canon mais, aussi, par l’influence, la propagande ou le dénigrement...
L’amour, nous allons en parler, tant il est plaisant de mettre un peu de délicatesse dans des chroniques qui, trop souvent, nous font surtout plonger dans les soubresauts passés et présents de ce monde de brutes.Les acteurs, quant à eux, ne se trouvent pas toujours où l’on croit et, notamment, pas seulement au cinéma, univers que nous allons par ailleurs évoquer.
Et pour tout cela, nous allons prendre comme point de départ une ville de la côte marocaine, inondée de soleil et ouverte à l’océan : CASABLANCA.
Casablanca. « Casa » comme l’appelle affectueusement ceux qui y ont vécu : habitée depuis plus de 400 000 ans mais plus que jamais tournée vers l’avenir, gardienne d’une longue tradition d’innovation architecturale, Casablanca est aujourd’hui la plus importante ville du Maroc. Elle est peuplée de plus de 3 millions d’habitants (les « Casablancais » si vous avez la nostalgie coloniale, les « Bédaouis » si vous parlez arabe et, mieux, les « Casaouis » si vous parlez le dialecte local). Casablanca est la ville la plus internationale du Maroc, la plus joyeuse et la plus exubérante, bien qu’elle ait été, hélas, secouée par des émeutes en 1981 et meurtrie par des attentats islamistes en 2003 et en 2007.
Casablanca : une ville, donc, qui semble faite pour que des acteurs s’y réunissent… Alors, pour cette nouvelle chronique historique, je n’aurai donc qu’un mot : Moteur !
1939 : La France, prête à la guerre… précédente
Avant de faire de nous plonger dans les décors de cinéma, plantons brièvement le décor historique réel de la vraie vie des vraies gens de la Seconde Guerre Mondiale. Osons, ce faisant, un parallèle entre l’évolution de la France et des Etats-Unis de 1939 à 1942, puisque le thème de Casablanca concernera ces deux pays.
La France, d’abord : patrie des grandes idées, des bons sentiments, des illusions impérissables, terre de 400 fromages et théâtre ingouvernable d’un éternel psychodrame national.
A partir des années 30, la France pratique le déni de réalité du réarmement allemand, pourtant engagé dès l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir (1933). Si elle se prépare à un éventuel nouveau conflit, ce n’est qu’avec réticence et en envisageant une posture strictement défensive. De 1928 à 1932 et sous l’impulsion du ministre de la guerre André Maginot, on construit ainsi une ligne de fortifications impressionnante courant du Jura aux Ardennes (la « ligne Maginot ») et réputée infranchissable. Souvent moqué, l’ouvrage tiendra, en réalité, toutes ses promesses : les Allemands ne parviendront jamais à le percer. Ils n’essaieront d’ailleurs pas, préférant… le contourner par la Belgique !
La Seconde Guerre Mondiale débute par l’invasion-surprise de la Pologne par les troupes allemandes, le 3 septembre 1939.
La France entre alors en guerre. Une « drôle de guerre », cependant, comme on l’appelle. Une guerre sans combat, tant Hitler est occupé à l’Est et ne prête aucune attention à son flanc ouest. Son état-major, d’ailleurs, s’en inquiète : et si la France en profitait pour envahir l’Allemagne ? Le Führer n’y croit pas : pour lui, les Français n’ont aucune intention de profiter de cette carence tactique pour mener une guerre-éclair préventive. Il a raison. Ainsi si, le 6 septembre 1939, le « généralissime » Gamelin lance une offensive prudente en pénétrant de 8 kilomètres en territoire ennemi et en occupant 20 villages teutons, il rebrousse chemin dès le 12 septembre et regagner les positions derrière la frontière. « On s’enterre et on les attend » est le mot d’ordre général.
On va effectivement attendre les Allemands assez longtemps : ils ne passeront à l’offensive que le 10 mai 1940.
Ce jour-là, le 19ème corps blindé du général Hans Guderian (surnommé par ses troupes « Hans le pressé »), appliquant le plan du général Von Manstein, contourne alors la ligne Maginot et effectue une percée par les Ardennes.
En face, « La France se bat avec les armes, avec les stratégies et même avec les généraux de… la guerre précédente » (François Kersaudy). Elle est également pénalisée par une incroyable incurie gouvernementale (le Président du Conseil, Paul Reynaud est… démissionnaire depuis la veille, 9 mai 1940), des erreurs tactiques (étirement excessif des lignes françaises et dispositif trop concentré en Belgique du nord et pas assez dans les Ardennes, une dispersion des centres de décisions et une coordination quasi-nulle) et par une chance insolente de l’Allemagne (les militaires allemands parleront après coup eux-mêmes du « miracle français » !).
En dépit d’une résistance individuelle acharnée (à Saumur, dans la Meuse, à Montcornet, à Boulogne-sur-Mer…), les Allemands progressent vers Paris de façon continue au long du mois de mai 1940.
Le 10 juin 1940, un mois après le déclenchement des hostilités, le gouvernement français quitte Paris pour Tours. Le 12 et le 13 juin 1940, les gares de la capitale sont envahies et les axes menant vers le sud sont engorgés par des embouteillages monstres : 2 millions de Parisiens (sur 3 millions d’habitants intra muros) fuient dans une atmosphère de chaos et de panique.
Le 14 juin 1940, les Allemands entrent dans Paris déclarée « ville ouverte » (il n’y aura pas de résistance). C’est… l’ambassadeur des Etats-Unis en France, William C. Bullitt qui, après avoir négocié avec eux qu’ils ne bombardent pas la ville, les accueille !
Le 17 juin, le Président du Conseil Paul Reynaud démissionne et est remplacé par le maréchal Pétain (83 ans, héros de la guerre de 14-18).
Le 18 juin, le général (à titre temporaire) De Gaulle, sous-secrétaire d’Etat à la guerre, qui a quitté son poste pour rallier Londres, lance un appel à la poursuite de la guerre depuis la radio britannique.
Le 22 juin 1940, la France signe un armistice avec l’Allemagne, laissant déjà l’Angleterre seule face à Hitler.
Le 10 juillet 1940, les parlementaires (hors 80 récalcitrants) sabordent la IIIème république et confient les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. La France entre dans l’ère de l’« Etat français ». Dans l’immédiat, le pays est divisé entre une « zone occupée » (administrée par les Allemands, le nord et toute la côte atlantique jusqu’au pays basque, soit 3/5ème du territoire métropolitain) et une « zone libre » regroupant le sud de la France, l’Algérie (3 départements français) et le Maroc (protectorat administré par le gouvernement français installé à Vichy).
La situation ne se modifiera pas substantiellement jusqu’en novembre 1942.
En juillet 1942 (au moment où débute, à Hollywood, le tournage du film Casablanca), c’est donc cette situation qui est dépeinte par le scénario : une administration française coloniale « libre » (sous l’autorité du gouvernement de Vichy) mais évidemment surveillée par les Allemands. Car ce qui intéresse les Allemands, ce sont les colonies nord-africaines où stationnement, inemployés :
- 100 000 soldats d’active, Français de métropole
- 200 000 soldats indigènes
- de nombreux bâtiments de guerre.
Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, la situation des Etats-Unis n’a évidemment rien à voir.
1940 : Les Etats-Unis, un pays réticent à la guerre…
Dans le cadre « d’un de ces grands mouvements d’opinion dont ils sont coutumiers » (François Kersaudy), l’Amérique des années 20 s’était persuadée qu’elle n’était entrée en guerre en 1917 aux côtés de la France et de l’Angleterre qu’en raison de décisions politiciennes inspirées par divers profiteurs de guerre et autres marchands de canon en tous genres. Impérialiste, l’Amérique ? Ce serait un tort de le croire.
En 1930, l’air du temps est au contraire à l’ « isolationnisme ». « America first ! » : on ne veut plus se préoccuper du reste d’un monde composé de puissances colonialistes décadentes et belliqueuses ou bien de pays sous-développés dépourvus d’intérêt. L’Amérique veut faire du commerce et se développer tranquillement, c’est tout.
En 1935, avec 130 000 hommes et aucune division blindée les Etats-Unis n’ont donc que la… 16ème armée du monde, derrière la Roumanie ! Et le président F.D. Roosevelt, dans un discours prononcé le 11 novembre 1935, le martèle : « La priorité pour les Etats-Unis d’Amérique, c’est d’éviter d’être entrainés dans la guerre ».
Mais F.D. Roosevelt, s’il dit aux Américains ce qu’ils veulent entendre, est aussi un pragmatique qui a le sens des réalités. S’il parle de la guerre, c’est parce qu’il craint bien qu’elle va survenir. Deux ans plus tard, en 1937, il prévient alors ses compatriotes : « Si la violence et le non-droit peuvent se déchainer sans entrave, personne ne peut imaginer que l’Amérique y échappera ». Incapable de faire voter aux Etats-Unis aucun crédit militaires, mais inquiet des évolutions en Europe, F.D. Roosevelt tente d’inciter la France et l’Angleterre à se réarmer. Sans succès : les Anglais sont pacifistes et les Français sont défensifs.
Lorsque surviennent « les accords de Munich » (septembre 1938, où la France et l’Angleterre acceptent qu’Hitler envahisse la Tchécoslovaquie) Roosevelt vient d’être réélu sur la base d’un discours qui reste habilement… pacifiste. Pourtant… Pourtant, sitôt réélu, il prend un virage sans ambigüité : un effort budgétaire (très peu médiatisé) est fait en faveur du réarmement aérien (on dégage un budget pour construire 10 000 avions en 1939 et 20 000 en 1940). Roosevelt pense en effet que la guerre est désormais inévitable, même s’il croit qu’il a encore un peu de temps devant lui.
Pour une fois, il a tort. Le cours des évènements va au contraire brutalement s’accélérer.
L’ Amérique des années 20 s’était persuadée qu’elle n’était entrée en guerre en 1917 aux côtés de la France et de l’Angleterre qu’en raison de décisions politiciennes inspirées par divers profiteurs de guerre et autres marchands de canon en tous genres. En 1930, l’air du temps est alors à l’ « isolationnisme ». « America first ! ». Pourtant, F.D. Roosevelt est un pragmatique et, lorsque surviennent « les accords de Munich » (septembre 1938, où la France et l’Angleterre acceptent qu’Hitler envahisse la Tchécoslovaquie) il engage un effort budgétaire discret en faveur du réarmement.
Effort insuffisant : quand la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne, le 3 septembre 1939, les Etats-Unis ne sont prêts, ni moralement ni militairement, à un conflit : ils déclarent donc leur neutralité dès le 5 septembre 1939 !
Dès le début de l’invasion de la France par les troupes allemandes, le 10 mai 1940, Roosevelt s’alarme de l’invraisemblable confusion dans laquelle le gouvernement français se débat. Il infléchit de nouveau sensiblement le ton. Dès le 16 mai 1940, il demande au Congrès un budget de USD 1 Md afin de construire, cette fois… 50 000 avions par an, notamment pour en livrer une partie à l’Angleterre. Mais l’Amérique est réticente et divisée : un fort courant isolationniste populaire s’oppose à toute intervention en Europe, tandis que les militaires, eux, privilégient le réarmement du pays plutôt que les livraisons d’armes à l’étranger.
Roosevelt est fortement dépité par l’armistice (22 juin 1940) que son conseiller Cordell Hull lui présente, avec réalisme, comme une « capitulation totale » des autorités française ainsi que par le vote par les parlementaires des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Pour autant, les Etats-Unis conservent leurs relations diplomatiques avec la France, cherchant une voie étroite qui permettra, espèrent-ils, au gouvernement de Vichy de basculer dans leur camp. Dès le départ et pour la suite, Roosevelt n’a, envers le rebelle général De Gaulle, que méfiance et distance.
Pour autant, même si les Etats-Unis paraissent se cantonner, pour l’heure, dans une stricte neutralité, le président Franklin D. Roosevelt reconnait en privé que les Américains devront, à terme, entrer en guerre. Ce n’est qu’une question de temps et, désormais, l’écrasante machine industrielle américaine se tourne vers la production de guerre. A partir de 1940, F.D. Roosevelt prépare progressivement ses compatriotes à rompre avec leur isolationnisme.
Le 7 décembre 1941, l’attaque japonaise sur l’île de Pearl Harbour balaie définitivement les hésitations qui subsistent : les Etats-Unis entrent de plain-pied dans la Seconde Guerre Mondiale.
Casablanca : Actor’s studio…
Or, quelques jours, précisément après l’attaque japonaise sur Pearl Harbour, le producteur hollywoodien Hal Walis reçoit le synopsis (= résumé) d’une pièce de théâtre dont le titre est Everybody comes to Rick’s. Il en trouve l’idée très bonne et décide d’en faire un film dont la réalisation sera confiée à un réalisateur d’origine hongroise, né à Budapest : un certain Mihaly Kertesz. Celui-ci est devenu citoyen américain et a fait américaniser son nom, devenant… Michael Curtiz (avec un z pour conserver une trace de ses origines slaves).
Rapidement, Curtiz rebaptise le film « Casablanca » et, au printemps 1942, il arrête le casting (la sélection des acteurs). Ce casting est particulièrement international. Voyons-en les principaux personnages.
Il y a d’abord Rick : un Américain égaré au Maroc et qui y dirige un bar (le Rick’s) où se rassemble tout ce que la ville trouve de personnages louches et de notables plus ou moins véreux. Pour incarner le héros tourmenté à la morgue désabusée, c’est l’américain Humphrey Bogart qui est choisi : une décision qui ne fait pas l’unanimité. Bogart a 43 ans mais reste peu connu malgré une dizaine de films à son actif. En fait, Casablanca va lui offrir son premier grand rôle romantique et va véritablement lancer sa carrière.
Il y a ensuite Ilsa : une suédoise élégante à la plastique un peu glaciale qui arrive par hasard en compagnie de son mari dans ce bar. On a choisi pour l’incarner, précisément, une suédoise de 27 ans : Ingrid Bergman. Ce choix n’avait rien d’évident au départ car la compétition était rude : l’autrichienne Hedy Lamarr, la française Michèle Morgan et la géorgienne (de Géorgie soviétique) Tamara Tourmanova étaient également pressenties. C’est Ingrid Bergman, outsider, qui est finalement sélectionnée malgré un handicap… de taille (c’est le cas de le dire) : elle mesure 1.80 m tandis qu’Humphrey Bogart, lui, n’affiche qu’un modeste 1.60 m.
Il y a aussi le capitaine Renault : c’est le préfet français qui administre la ville de Casablanca au titre du gouvernement de Vichy (pour que le public américain comprenne bien, on a sans doute choisi un nom bien français). Là, c’est à un britannique de 53 ans que l’on confie le rôle : Claude Rains. Renault n’affiche ni ardeur collaboratrice ni esprit résistant. Il reconnait « aller en fonction de la direction du vent » et profite largement des soirées du Rick’s où il boit gratuitement (« On me présente la note… et je la déchire : c’est simple ! ») et où il gagne régulièrement à la roulette (évidemment truquée).
Il y a enfin le résistant tchèque Victor Laszlo, jouée par l’acteur américain d’origine autrichienne Paul Henreid, au caractère moins marqué.
Si Casablanca se déroule au Maroc et met essentiellement en scène des Français, le film est entièrement tourné dans les studios d’Hollywood : l’on y reconstitue donc un Maroc de carton-pâte, exotique et colonial à souhait et, pour faire « couleur locale », divers seconds rôles sont confiés à des acteurs français s’exprimant dans la langue de Voltaire. C’est donc non sans un certain pittoresque que Paul Henreid (qui ne parle pas français) entonnera, dans une scène poignante, un vibrant « Allons enfants de la patrwie… » !
Voyons le déroulement du film qui, je l’espère, vous donnera envie de le visionner.
Casablanca : « De tous les bars de toutes les villes du monde… »
L’intrigue de Casablanca est simple. L’atmosphère est prenante. Les personnages sont bien campés, même s’ils sont (parfois très) stéréotypés. La fin est poignante, inattendue et moralisatrice. Peu de coups de feu, quasiment aucun coup de poing, aucun scène intime : Casablanca est un film d’action sans scène d’action, un film de guerre sans coup de fusil, un film d’amour (presque) sans baiser.
Et pourtant, quel film… ! Je vais vous donner envie de le voir.
Si le film est tourné à partir du 17 juillet 1942, l’action, elle, se situe à la fin de l’année précédente, soit au début du mois de décembre 1941, soit juste avant l’attaque japonaise sur Pearl Harbour, qui décidera de l’entrée en guerre des Etats-Unis. Respectant une quasi-unité de temps, de lieu et d’action, l’intrigue se déroule sur deux ou trois jours, essentiellement dans un bar (le Rick’s) et avec quelques scènes dans un établissement voisin (le Blue Parrot), à l’hôtel et dans la rue.
Voyons le déroulement de ce chef d’œuvre du Septième art (pour ceux qui ne l’ont plus en tête ou qui seraient trop flemmards pour chercher à se procurer le film).
Fin 1941, le protectorat du Maroc, dépendant du gouvernement français installé à Vichy autour du maréchal Pétain, est encore administré par la police française. Informée du meurtre de deux officiers allemands dans le train entre Oran (Algérie) et Casablanca (Maroc), la police française de Casablanca procède dans la rue à des contrôles d’identité (très) musclés.
Pourquoi de tels contrôles ? C’est que les officiers allemands assassinés portaient sur eux deux sauf-conduits en « blanc » permettant à tout individu, qui y inscrirait son nom, de quitter le Maroc légalement pour rejoindre le Portugal (et, au-delà, les Amériques). Or, les passeports ont disparu. Et on les recherche activement.
Simultanément, Casablanca reçoit la visite d’une escouade d’officiers de la Wehrmacht, dirigée par le major Strasser. Ce dernier est accueilli à l’aéroport par les autorités constituées, en l’espèce le préfet : le capitaine Renault.
Renault est un officier certainement discipliné avec son gouvernement mais aux convictions personnelles mal définies. Portant le képi de travers (sans doute le metteur en scène américain pense-t-il que cette désinvolture caractérise les Français), Renault exerce son humour et son cynisme, non sans provocation. Sans ambages, il invite Strasser à se rendre, le soir même, au point central des rencontres de tout poil de la ville : le « Rick’s, café américain ». « Tout le monde y vient » assure-t-il (en référence au titre de la pièce de théâtre originelle « Everybody comes to Rick’s »).
Officiers français, allemands et italiens, espions divers, résistants authentiques ou supposés, trafiquants de tout, filles de peu, individus recherchés pour rien, ainsi que ceux qui les traquent, petits escrocs ou gros malins, tout ce monde interlope et ambigu se retrouve en effet le soir dans ce bar américain…
Qui est Rick, le propriétaire du Rick’s ?
De son vrai nom Henry Blaine, Rick est un Américain désabusé dont l’unique ambition semble être de faire des affaires, ramasser de l’argent grâce à son bar et à la table de jeu illégale qui y est ouverte et puis de ne se mêler de rien d’autre. Un Américain venu au Maroc en pleine guerre ? Ce trajet étrange suscite la perplexité de Renault. « Je suis venu à Casablanca pour prendre les eaux » explique Rick. « Les eaux ? s’étonne Renault, en plein désert ? ». « C’est que j’ai été mal renseigné,… » suggère Rick sans se démonter ! Renault n’est pas dupe. Il sait que Rick a défendu, par le passé, les Ethiopiens contre les Italiens (1935) et les Républicains espagnols contre les Franquistes (1936). Il sait aussi que ce passé lui vaut l’intérêt de la Gestapo allemande. Il conclut : « Vous êtes un idéaliste… » mais Rick nie : « Je ne défends qu’une cause : la mienne ».
Et il le prouve. Lorsqu’un habitué de son établissement vient le voir et lui indique qu’il est entré en possession des deux passeports recherchés, Rick le laisse arrêter et abattre par la police tandis que la fête bat son plein… et il met la main sur les sauf-conduits. L’incident est clos et la soirée reprend.
Cynique et égoïste, Rick ? On pourrait le croire quand un couple de réfugiés bulgares vient le trouver pour l’implorer de l’aider à sortir du pays. Ils n’ont pas d’argent ? Alors tant pis : pas d’argent, pas de combine pour trouver un passeur… Comment trouver de l’argent ? Rick conseille alors à l’homme de jouer ses derniers dollars à la roulette. Et de miser sur le 22. Qui sort deux fois de suite et permet aux réfugiés de quitter la salle avec une jolie somme « honnêtement » gagnée…
Quant à la police de Renault, elle n’hésite pas à fouiller de fond en comble le Rick’s pour trouver les passeports. Sans succès.
Bref, à Casablanca, on vit de combines, de débrouille et de marché noir. Et le soir, on boit du whisky chez Rick en attendant de trouver un visa pour quitter ce bled. Tout le monde vient donc chez Rick. Et notamment, un soir, un couple qui suscite immédiatement l’intérêt des habitués.
Lui, c’est Victor Laszlo, un tchèque qui fédère des mouvements de résistants européens. Emprisonné par les Allemands, torturé, évadé, il est recherché dans toute l’Europe par la Gestapo. Il faut l’arrêter, alors, demande immédiatement le major Strasser à Renault ! Mais l’ambigu Renault tergiverse : la police française n’a pas de mandat ni d’ordre ni de charge contre Laszlo, lequel, n’est donc, au Maroc, qu’un citoyen comme un autre dans un territoire non-occupé…
Elle, c’est son épouse, Ilsa Lund, une suédoise élégante qui a épousé ce héros qui la fascine.