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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1450 : Mystérieuse AGNES SOREL

Publié par La Plume et le Rouleau sur 15 Octobre 2006, 23:00pm

Catégories : #Personnalités célèbres

Cher(e)s ami(e)s,

C’est à la découverte d’une nouvelle énigme historique que je vous convie aujourd’hui. Une énigme d’autant plus difficile à percer qu’elle se situe dans des temps relativement reculés. Je me proposerai donc de vous rafraîchir la mémoire pour mieux, ensuite, vous plonger dans un abîme de perplexité… Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, ce n’est pas tant de politique dont nous allons parler que d’amour et de beauté. Vaste et ambitieux sujet à la hauteur de l’exigence du lectorat de qualité que vous êtes mais qui, en l’espèce, se réduira modestement à l’évocation d’une personnalité au croisement des rubriques « politique », « people » et « fait divers » des gazettes (s’il y en eut) médiévales.

Politique et coups tordus, amour et intrigues (à moins que ce ne soit l’inverse…) et mort mystérieuse : voici ce que le cette chronique vous réserve aujourd’hui ! 


Retrouvons-nous donc en 1450 et remettons-nous le contexte en tête (ce n’est pas du luxe). Nous sommes alors en pleine Guerre de Cent ans contre l’Anglais. Celle-ci a commencé déjà depuis 1337. Résumons-là rapidement.

En 1328, le roi de France Charles IV le Bel, troisième et dernier fils de Philippe le Bel (ces trois-là sont les fameux « rois maudits » du livre de Maurice Druon) meurt sans héritier. C’est la fin du « miracle capétien » qui avait vu, depuis 987 et l’élection d’Hugues Capet au trône de France, une lignée ininterrompue de souverains qui avaient tous eu un héritier mâle pour leur succéder. A cette date, trois solutions s’offrent donc pour trouver le nouveau roi :

Accepte-ton une femme sur le trône de France ? Le roi pourrait alors être… une reine : Isabelle de France, la propre sœur de Charles IV le Bel : la succession est toute trouvée.

Refuse-ton une femme (quel pays de phallocrates que la France) ? Le roi pourrait très bien alors être le fils d’Isabelle de France, Edouard III d’Angleterre. Ni femme, ni Anglais (franchement, on est difficile ...) ? Alors il n’y a plus qu’à choisir le plus proche cousin de Charles IV, Philippe dit « de Valois ».

C’est ce qui sera fait : Philippe de Valois va monter sur le trône de France et sera sacré sous le nom de « Philippe VI (ci-contre). » A cette date, notons que la fameuse loi « salique » (= des Francs saliens) n’est pas encore invoquée pour justifier l’éviction des femmes du trône. Cet argutie juridique (car il s’agit d’une disposition coutumière de droit privé excluant les femmes de l’héritage de la terre) ne sera exhumé que 50 ans plus tard, pour justifier a posteriori les décisions initiales.

Quoiqu’il en soit, la solution retenue ne pouvait satisfaire Edouard III Plantagenêt qu’à condition que celui-ci reçût des compensations territoriales. Bernique. Or la radinerie des Français, peu disposés à donner des terres aux Rosbifs, était compliquée par la question de la Guyenne. Cette région du sud-ouest était un fief d’Edouard III d’Angleterre qui devait donc reconnaître Philippe VI de France comme suzerain, le second ayant autorité sur le premier dans cette zone : une situation évidemment inacceptable pour l’Anglais. Tout cela conduisit les deux rois à vider leur querelle sur le pré : c’est le début de la Guerre de Cent ans.

Le début de ce conflit (qui durera finalement 116 ans) est marquée par de nombreuses victoires anglaises. De 1337 à 1364, les Britanniques étendent leur contrôle sur une grande partie de la France par les Anglais : une situation entérinée par le Traité de Brétigny.

De 1364 à 1380 en revanche, Charles V, successeur de Philippe V entame une patiente reconquête du territoire. Il privilégie la conquête une par une des places fortes et délaisse les grandes batailles rangées où les troupes anglais sont les plus fortes. Il développe parallèlement une propagande destinée à faire émerger un véritable (et inédit pour l’époque) sentiment national.

Mais à partir de 1380 et la mort de Charles V, le jeune âge puis la folie de son fils Charles VI fragilisent le pouvoir royal français. Les ambitions personnelles des Grands du royaume se déchaînent (guerre civile entre les Ducs de Bourgogne et d'Orléans). Le nouveau roi d’Angleterre Henri V (ci-contre en bas) reprend alors du terrain sur le continent. En 1420, il obtient même de Charles VI d’épouser sa fille Jeanne, renforçant les prétentions dynastiques des souverains anglais sur le trône de France (c’est le Traité de Troyes). Le dauphin Charles (futur Charles VII, âgé de 17 ans à l’époque, ci-contre) est déshérité par Charles VI au passage.

Ouste !


Les juristes français rappellent doctement que Jeanne, fille de Charles VI et femme d’Henri V, n’a aucun droit à la couronne (et son mari encore moins !) et affirment qu’un roi ne peut déshériter son successeur légitime. Il n’empêche : ça va mal. En 1429, Henri V d’Angleterre contrôle en effet une bonne moitié de la France et fait face à des Français divisés par des luttes internes.

Mais là : paf ! Coup de théâtre immanent ! En 1429 même, Henri V d’Angleterre meurt ! Son fils n’a que quelques mois : c’est la stupéfaction et la désorganisation dans le camp anglais.

Car l’espoir va changer de camp. A cette époque, dans l’entourage du Dauphin de France (qui a , plutôt désemparé, débarque une jeune lorraine née en 1412 (elle a 17 ans), habillée en homme et qui prétend avoir entendu des voix célestes et eu des visions positives sur la légitimité et l’avenir du Dauphin : Jeanne d’Arc. L’irrationnel fait par là une entrée tonitruante dans une situation militaire où, rationnellement, le Dauphin Charles est en difficulté. Et pourtant…

Galvanisés par la victoire aussi foudroyante qu’inattendue de la Pucelle à Orléans, le Dauphin reprend confiance, lève une armée et repousse progressivement les Anglais vers le Nord. En 1429, après la bataille victorieuse de Patay, il est couronné roi à Reims sous le nom de Charles VII. L’année 1435 voit le camp Français se rabibocher enfin avec le ralliement des Bourguignons au souverain légitime. Quinze ans plus tard, l’expulsion des Anglais est imminente : ils ne contrôle plus guère que les régions de Rouen (Normandie) et Calais (Nord).

Entre-temps, Charles VII a réorganisé le royaume avec habileté et efficacité, établissant des universités nouvelles, codifiant les privilèges de l’Eglise, limitant l’autorité des grands féodaux, levant des impôts de façon plus régulière et assainissant la monnaie afin de favoriser l’investissement. Un des facteurs de soutien de Charles VII, tout au long de son règne, fut le soutien de sa riche et puissante belle-famille, celle de la reine Marie d’Anjou.

Or donc, voilà où nous en sommes en 1450 pour ce qui est de la situation militaire. Mais sur le plan personnel, quid de Charles VII et de la reine Marie d’Anjou ? Après les pages « relations internationales » puis les « pages politique » et « économie », voici venue la rubrique « people »…

Avouez que vous n’attendez que cela, hein ?  Charles VIl n'avait pas vingt ans lorsqu'il a épousé le 22 avril 1422, la reine Marie d’Anjou. Elle n'est pas très belle, les chroniqueurs de l'époque assurent même qu'elle a « un visage à faire peur aux Anglais eux-mêmes »… (merci pour elle). Qu’importe, Charles VII lui-même est décrit comme ayant peu d’allure, un nez crochu et un caractère à la volonté inhibé. Ils auront treize enfants ensemble : Louis (futur Louis XI) mais aussi Jean, Radegonde, Catherine, Jacques, Yolande, Jeanne, Philippe, Marguerite, Jeanne (encore) et sa sœur jumelle Marie, Madeleine et enfin Charles.

Marie d’Anjou, quoiqu’il en soit, de l’avis général, va être une reine aimante et fidèle. Le roi Charles VII, toutefois, ne semble pas dédaigner la bagatelle extra-conjugale.

Faisons une petite digression juridico-conjugale.

Jusqu’à Charles VII, traditionnellement, les rois ne se privent pas d’une intense activité hors-mariage. Ces relations, toutefois, prêtent si peu à conséquence que les chroniqueurs contemporains ne prennent même pas la peine de consigner le nom des heureuses ( ? ) élues. Quant à la préoccupation de l’Eglise, ce n’est pas celle de l’adultère royal en soi, contrairement à ce que laissent supposer les démêlés qu’elle avait eu au Xème siècle avec Robert le Pieux (996 – 1031, le fils d’Hugues Capet). Votre serviteur en a débattu autrefois avec l’éminent médiéviste Jacques Le Goff lors d’une empoignade épistolaire dans la rubrique « courrier des lecteurs » du numéro 247 (octobre 2000) du
magazine L’Histoire.

Cette préoccupation ecclésiastique est double : e
lle vise d’abord à assurer l’autorité morale de l’Eglise en imposant le principe de l’indissolubilité du mariage prononcée par un prêtre. A la suite d’une telle célébration, seule l’Eglise elle-même peut déclarer nulle ce mariage. Le divorce est donc exceptionnel, y compris pour le monarque qui, à titre conjugal, doit se soumettre aux prescriptions religieuse. Comme n’importe quel gueux du royaume ! Il ne lui est donc pas permis de répudier ses épouses, sinon, c’est le retour aux monarchies barbares pré-chrétiennes. Soyons civilisés : la bagatelle, oui, le divorce, non. La reine peut dormir tranquille (d’autant plus qu’elle dort seule…)

Pourquoi une telle rigidité teintée, on le voit, d’une belle hypocrisie ? Est-ce par désir de faire émerger, à travers l’exemple des droits de la reine, un nouveau statut pour la femme médiévale ? Est-ce pour faire passer celle-ci du statut de simple objet domestique à celui d’être humain respectable, ce qui ouvre la porte au culte des saintes et notamment de la vierge Marie ? C’est que qu’affirme le très catholique Jacques Le Goff, se fondant sur l’essor, à cette époque, des communautés de moniales (les « bonnes sœurs ») et de celui du culte marial.

Est-ce par désir de faire émerger, à travers l’exemple des droits de la reine, un nouveau statut pour la femme médiévale ? Est-ce pour faire passer celle-ci du statut de simple objet domestique à celui d’être humain respectable, ce qui ouvre la porte au culte des saintes et notamment de la vierge Marie ? C’est que qu’affirme le très catholique historien Jacques Le Goff, se fondant sur l’essor, à cette époque, des communautés de moniales (les « bonnes sœurs ») et de celui du culte marial. C'est inexact.

Votre serviteur a (vous vous en doutez) une vision moins poétique et plus… politique de la question. Car voici le second volet des préoccupations de l’Eglise de France en matière d’institution conjugale.  La stabilité conjugale du couple royal est surtout nécessaire pour garantir la validité des prétentions au trône des différents héritiers.

Comment et pourquoi ?

La guerre de Cent Ans a permis, on l’a vu, l’affirmation juridique des principes dynastiques de la monarchie française qui sont donc tout récents. Les prétentions politiques des souverains britanniques Plantagenêt (et notamment d’Henri V, qui a épousé Jeanne, fille de Charles VI et sœur de Charles VII) ont conduit les juristes français à clarifier les deux piliers principaux de la dévolution de la couronne française. Ces deux piliers sont la masculinité et la primogéniture. En clair : en France, c’est l’aîné des garçons qui hérite la couronne, les femmes n’ont aucun droit.

Mais ce n’est pas tout.

Car, et c’est là qu’intervient l’Eglise. Encore faut-il que ces héritiers soient légitimes. Et pour qu’ils soient légitimes, ils doivent être issus d’une union légale, consacrée par un mariage, lui-même célébré par un prêtre et, on l’a vu, quasiment indissoluble. Ce système verrouillé restreint donc fortement le risque d’éventuelles guerres de succession pour le trône de France. Il renforce clairement la stabilité de la monarchie autant que le pouvoir de l’Eglise : il n’y a qu’un souverain légitime et, pour régner, celui-ci doit en outre être sacré par un représentant de l’Eglise. Pour garantir sa propre existence (le christianisme est religion d’état), l’Eglise a intérêt à la solidité du Trône, à laquelle elle participe activement. Pouvoir religieux et pouvoir politique sont étroitement liés. Par conséquent, les « bâtards » du roi peuvent bien être tolérés, puisqu’ils n’ont aucun droit. En matière dynastique, les enfants illégitimes font tapisserie et ne constituent de menace, ni pour la stabilité du Trône, ni pour la position de l’Eglise.

D'où le laxisme de la religion à l’encontre des maîtresses des souverains et de leur éventuelle progéniture illégitime. Ceux qui espéraient que l’Eglise soit un instrument délibéré de libération de la femme en sont donc, sur ce point du moins, pour leurs frais.

Mais, après ce court intermède de droit médiéval qui vous aura, j’en suis sûr, passionné, revenons aux galipettes de Charles VII car c’est dans ce contexte (enfin éclairci) qu’apparaît une dénommée… Agnès Sorel.

Les historiens érudits divergent sur le lieu de naissance d’Agnès Sorel : Fromenteau (près de Tours) ou Coudun (Picardie) ? Elle a en tout cas quatre frères et est la fille de Jean Sorel (seigneur de Coudun et mercenaire au service du roi) et de Catherine de Maignelais (châtelaine de Verneuil-en-Bourbonnais). Elle va recevoir une éducation soignée car ses relations familiales lui permettent de briguer le poste prestigieux mais peu rémunérateur de dame de compagnie de la belle-sœur de la reine (la femme du frère de Marie d’Anjou).

En 1443, à 21 ans, elle arrive donc à la cour de Charles VII. La beauté d’Agnès Sorel, évaluée selon les canons de l’époque, frappe d’emblée ses contemporains (et sûrement aussi ses contemporaines). On lui prête une taille fine, un teint de lait, un front haut et bombé, des cheveux d’or, de grands yeux en amande. Elle est présentée au roi. Ils ont près de vingt ans d’écart mais celui-ci, moins d’un an après, en fait sa maîtresse et la présente officiellement comme telle. C’est une innovation.

Depuis 1444 (nous avons dit que c’était une innovation) la relation entre le roi Charles VII et sa maîtresse Agnès Sorel est officielle. Dédaignant ostensiblement l’infortunée reine Marie d’Anjou, Charles VII s’affiche avec elle sans complexe ni retenue.

Ce rôle effectif de « première dame » de France donne à la belle une influence à la cour dont elle ne se prive pas d’user. Elle bouleverse l’étiquette, jusqu’ici plutôt compassée en matière vestimentaire, pour mettre en valeur sa sensualité. Elle provoque le scandale mais finit par imposer, pour les dames, le port de robes à décolletés profonds ainsi que le port de chapeaux extravagants (elle les affectionne en forme de pyramides !). Des chroniqueurs de l’époque (tels Thomas Basin et Jean Jouvenel des Ursins), soucieux des bonnes mœurs de la cour, s’offusque publiquement et jugent cela « ribaudise et dissolution » ! Agnès Srel n’en a cure. Elle devient une client assidue de Jacques Cœur, le richissime argentier royal qui la fait fournir en fourrures, bijoux et étoffes précieuses. Elle s’affiche avec des atours dont la traîne est parfois démesurée (jusqu’à huit mètres pour l’une de ses robes !)

Le roi, très amoureux, dépense des fortunes pour elle. En 1444, il lui offre pour 20 600 écus de bijoux dont le premier diamant taillé connu. Il lui octroie ensuite des terres (seuls gages de revenus, à cette époque) en fief : Vernon, Issoudun, Roquesezière, Loches et Beauté-sur-Loire. Par jeu de mots, Agnès Sorel hérite alors du surnom (enviable) de « Dame de Beauté »…

Son physique va inspirer les artistes. Il nous en reste deux représentations. Le peintre Jean Fouquet la représente en « Vierge à l’enfant » offrant un sein dénudé à un petit Jésus boudeur. Le sculpteur Jacques Morel sculptera semble-t-il (il y a divergences sur ce point) un gisant pour son tombeau, qui sera restauré en 1807. Il nous en reste deux représentations. Le peintre Jean Fouquet la représente en « Vierge à l’enfant » offrant un sein dénudé à un petit Jésus boudeur. Le sculpteur Jacques Morel sculptera semble-t-il (il y a divergences sur ce point) un gisant pour son tombeau, qui sera restauré en 1807.

Mais la popularité de la belle auprès de Charles VII suscite évidemment des jalousies. Les frasques d’Agnès Sorel, l’engouement du roi pour celle-ci, l’influence qui semble être la sienne auprès du souverain suscitent la méfiance puis bientôt la réprobation. Le dauphin, futur Louis XI, est particulièrement vindicatif à son encontre car il craint l’influence politique d’Agnès Sorel sur le roi. L’on cite notamment un épisode où ce dernier poursuivra l’amante l’épée à la main, laquelle ne trouvera protection qu’en se réfugiant dans… le lit de son royal amant !

Au long de sa relation avec Charles VII (6 ans), Agnès Sorel met trois enfants au monde. Charles VII, c’est encore une innovation, les légitime (royalement). Nul ne trouve pourtant à redire. Aucune importance, au vrai, puisque ce ne sont « que » des filles : Marie, Charlotte et Jeanne n’ont (on l’a vu avant) strictement aucun droit à rien en matière dynastique.

Nous sommes donc maintenant au début de l’année 1450. A cette date, rappelons-le, seules certaines rares place fortes anglaises du nord de la France résiste encore et toujours à la poussée française. Rouen est l’une d’elles et Charles VII entend participer personnellement à l’entreprise poliorcétique (la poliorcétique est l’art d’attaquer les forteresses : un art tombé en désuétude, je vous le concède).

Le 9 février 1450, Agnès Sorel rejoint Charles VII qui, pour poursuivre le siège de Rouen où sont retranchés les Anglais, s’est installé à l’abbaye de Jumièges (Normandie). L’abbé, toutefois, constatant qu’elle est enceinte (pour la quatrième fois), l’envoie loger plus confortablement au manoir de la Vigne, à Mesnil-sous-Jumièges, non loin de là. A l’arrivée, elle y est soudainement atteinte de ce que l’on nomme à l’époque un « flux de ventre » (maux de ventre et diarrhées). qui, pour poursuivre le siège de Rouen où sont retranchés les Anglais, s’est installé à l’abbaye de Jumièges (Normandie). L’abbé, toutefois, constatant qu’elle est enceinte (pour la quatrième fois), l’envoie loger plus confortablement au manoir de la Vigne, à Mesnil-sous-Jumièges, non loin de là. A l’arrivée, elle y est soudainement atteinte de ce que l’on nomme à l’époque un « flux de ventre » (maux de ventre et diarrhées).

Deux jours après : elle est morte !

Juste avant, elle a trouvé la force de léguer ses biens à la collégiale de Loches, à l’abbaye de Jumièges (Normandie), à ses proches et au roi Charles VII. Celui-ci fait transporter son cœur à l’abbaye de Jumièges dans un tombeau de marbre et enterrer son corps à Loches (Indre-et-Loire) dans un triple cercueil de chêne, de cèdre et de plomb. Dans un élan de dévotion, on prélève sur la morte une mèche de cheveux qui sera pieusement conservée. On l’enterre en compagnie de son fœtus de sept mois, qui n’était pas viable.

Ce décès foudroyant intrigue les contemporains d’Agnès Sorel. D’emblée, on parle évidemment d’empoisonnement. Mais est-ce vraiment le cas ? Et par qui ? Le mystère reste entier.

Il va même s’épaissir car, en 1777, le corps d’Agnès Sorel est retiré du cercueil et « réduit » (on récupère les restes) : on les place dans un saloir à cochon (!) de 43 X 35 cm. Avec la Révolution et les troubles qui l’accompagnent, c’est pire. La sépulture d’Agnès Sorel à Loches est profanée : le saloir est brisé et ce qui reste du corps est directement enterré dans la terre. Quelques années plus tard, toutefois, on procède à des fouilles de l’endroit et on recueille pieusement des résidus de ce que l’on croit appartenir au corps d’origine pour le mettre alors dans un pot en grès. Mais comment savoir si cette drôle de bouillie un peu nauséabonde est bien ce qui reste du corps (charmant) de la célèbre favorite de Charles VII ?

Impossible…

Impossible jusqu’au tournant du XXIème siècle. Car avec la découverte de l’ADN (1944), la science moléculaire fait, spécialement à la fin des années 1990, des progrès de géant. Ainsi, au printemps 2004, le Conseil Général d’Indre-et-Loire décide-t-il de solliciter le CHU (Centre Hospitalier Universitaire) de Lille pour faire expertiser les soi-disant « reliques » d’Agnès Sorel. Il lui verse pour ces travaux une subvention (royale) de… 5 000 euros. Ce vont alors être au total 22 scientifiques de 18 laboratoires différents qui vont travailler (quasiment pour la gloire !) sur cette question sous la férule d’un nommé Philippe Charlier.Une des nombreuses spécialités de ce ponte français de la médecine légale est d’être, précisément, en plus, l’un des 200 seuls « paléopathologistes » mondiaux. Quid ?

C’est simple : Philippe Charlier est l’homme qui se rend sur les lieux d’une découverte archéologique lorsque les archéologues (qui ont une formation de scientifiques et d’historiens mais pas de médecins) pensent y avoir découvert des corps. L’intervention de Charlier est alors décisive. En effet, déplore-t-il (Le Point, mars 2005), « les archéologues prennent souvent pour de simples racines ce qui sont en fait les coronaires de la cage thoracique ou, encore confondent les calculs rénaux avec de simples cailloux ». Pas lui. Et grâce à ces minuscules débris, il glane des informations capitales sur la santé de l’individu mort depuis des siècles : sexe, âge, taille (suivant la dimension des os disponibles), habitudes alimentaires et sexuelles, bactéries, virus, maladie, couleur de la peau et des cheveux... « C’est fou, dit-il, ce que les morts rendent le passé vivant ! » Puis il les transmet éventuellement aux laboratoires de la gendarmerie pour reconstituer, grâce à des logiciels utilisés en matière de recherches criminelles, la physionomie du mort dans son ensemble.

Le pot en grès qui est remis à Philippe Charlier le 8 septembre 2004 contient, c’est une chance, une véritable mine de matériaux : du jus de putréfaction, des cheveux, des dents (sept), des fragments de peau desséchée, des morceaux d’os du crâne et des mandibules, des muscles, des cartilages, des sourcils et même quelques poils pubiens...

C’est plus qu’il n’en faut pour que Philippe Charlier fasse « parler » le (ou la) mort(e) et accumule des indices confondants… Mais qui prouvent quoi ? Nous l’allons voir.

Dans les débris organiques qui entourent les restes, Charlier trouve d’abord du chêne, du cèdre et du plomb : les trois matières du cercueil originel du corps d’Agnès Sorel, on l’a vu. Bon début.

Mais l’âge des os ? On utilise alors le rayonnement au « carbone 14 » : celui-ci livre une datation d’environ 550 ans soit l’année 1450. C’est bien.

Quid du sexe du mort ? Les sutures des os du crâne indiquent que c’est une femme. C’est mieux.

Son âge ? Charlier poursuit ses investigations.Très facile pour un médecin légiste : ces mêmes sutures crâniennes ainsi que l’usure des dents correspondent à une femme d’environ 30 ans (Agnès Sorel était morte à 28 ans).

La qualité des dents (une seule carie pour sept dents) indique une bonne hygiène alimentaire et leur tartre, gratté et débarrassé de leur calcaire après un passage dans un bain d’acide acétique, révèle que la morte bénéficiait d’une alimentation équilibrée avec des fibres aussi végétales que carnées.

Ce n’est pas tout, loin de là. Il y a encore du boulot.

Passons maintenant aux muscles et aux tissus.

Nettoyés, les cheveux apparaissent blonds.

Les fragments de peau contiennent très peu de mélanine (cette substance qui, activée par le soleil, nous rend bronzés). La jeune femme avait donc la peau plutôt blanche. Blondeur et blancheur : des caractéristique qui participaient de la beauté d’Agnès Sorel, selon ses contemporains.

En revanche, l’analyse d’un fragment de la cloison nasale révèle une malformation qui devait sans doute faire ronfler la belle durant son sommeil ! 

Nulle n’est parfaite…

L’analyse des viscères permet de découvrir que la jeune femme était, en outre, atteinte d’une affection parasitaire fréquente à l’époque : l’ascaridiose. Il s’agit de la présence de vers blanchâtres de 2 à 25 centimètres ( ! ) qui infectent le tube digestif et provoque chez le malade des douleurs abdominales, des diarrhées et des selles sanglantes… Comment soignait-on (de façon fort primitive) cette affection à l’époque ? Par l’ingestion de fougères mâles et des doses modérées de mercure… Gardons cela en mémoire.

Philippe Charlier en est maintenant convaincu : les vestiges qui lui ont été remis corroborent à chaque étape la description faite par ses contemporains des traits physiques d’Agnès Sorel et de ses derniers moments, caractérisés par des maux de ventre et des diarrhées.

Passons alors à l’autre mission donnée à Philippe Charlier : découvrir les causes exactes de la mort d’Agnès Sorel, puisqu’il s’agit bien d’elle. C’est pile-poil (ah ! ah ! c’est le cas de le dire !) la spécialité de ce médecin légal. Charlier va s’atteler à l’analyse du contenu des phanères (poils et sourcils) et utiliser notamment un « cyclotron » : ce n’est pas une invention du professeur Tournesol, c’est un accélérateur de particules pour isoler les substances découvertes.

Quod adveniat ?

D’arsenic, poison fréquemment utilisé à cette époque, on ne trouve aucune trace. En revanche, on découvre une dose astronomique de… mercure. Provient-il du sarcophage originel en plomb ? Non. Les débris de celui-ci ne contiennent de mercure qu’en quantités insignifiantes. La présence de ce métal lourd, alors, est-elle due aux produits utilisés pour la conservation du corps ? Non, car ses produits sont en général insérés dans les fosses nasales de la défunte lors de l’embaumement : en l’occurrence, les tissus retrouvés n’en contiennent pas. A l’évidence, ce mercure provient de la médication administrée à Agnès Sorel pour ses douleurs de ventre. On l’a vu : le mercure était habituellement utilisé comme vermifuge, pour soigner l’ascaridiose, ce dont Agnès Sorel était précisément atteinte.

A l’examen de la quantité de mercure retrouvée, Philippe Charlier conclut vite : c’est à une absorption massive de mercure sur une durée très courte qu’Agnès Sorel a succombé. Disons le mot : c’est un empoisonnement. Mais comment le médecin d’Agnès Sorel, Robert Poitevin, très renommé à l’époque, aurait-il pu par erreur en prescrire à cette dose ? Il reste à conclure à un accident ou au fait que, comme dans un roman d’Agatha Christie, une main criminelle a donc fait absorber à Agnès Sorel un médicament selon une dose qui, loin de la soigner, l’a, au contraire, achevée…

On a le cadavre. On a l’arme du crime. L’enquêteur du passé se pose alors les mêmes questions que le détective actuel. Qui en voulait à Agnès Sorel et pourquoi ? Qui a eu l’opportunité de commettre le crime en se trouvant dans l’entourage immédiat de la victime dans les instants qui ont précédé sa mort ?

A ces questions simples, l’on n’a, hélas, pas de réponse et les historiens en sont réduits à de simples conjectures que je vous rassemble ici.

Jacques Cœur : ce célèbre financier bourguignon, proche d’Agnès Sorel, désigné par elle comme exécuteur testamentaire, a été soupçonné dès le début car, dans un contexte de santé chancelante de Charles VII, il tentait à ce moment de nouer des relations plus étroites avec son successeur Louis XI. Aurait-il fait plaisir à ce dernier par un crime cynique ? Rien de tangible n’a étayé cette thèse qui a plutôt été abandonnée.

Le dauphin, futur Louis XI et qui la détestait notoirement, n’était pas présent au moment du crime. Cela ne l’innocente pas pour autant : un (futur) roi ne se serait de toutes façons pas sali les mains en commettant lui-même un crime. Le chroniqueur contemporain Jacques Du Clercq (1424 – 1467) écrira explicitement que « le Dauphin avait déjà fait mourir une damoiselle nommée la belle Agnès (…) totalement en amour avec le roi son père ». Louis XI apparaît donc comme un coupable plausible, idéal, désigné, facilement trouvé. Un peu trop facilement ?

Robert Poitevin : un médecin assassin ? Cela fait froid dans le dos mais, après tout, pourquoi celui-ci n’aurait-il pas été l’exécuteur des basses œuvres d’un autre commanditaire ? Une piste toutefois, n’a pas été évoquée… Car le poison n’est-il pas une arme traditionnellement… féminine ?

Le mystère reste, là, vraiment entier.

Bonne journée à toutes et à tous.

D'autres morts mystérieuses ? Voyez celle de CLEOPATRE, de MARIE STUART, du MASQUE DE FER, de MOZART, de LOUIS XVII, de NAPOLEON, de FELIX FAURE, de JAURES, de de QUEMENEUR, de DARLAN, de KENNEDY, de BEN BARKA, de MARTIN LUTHER KING...

La Plume et le Rouleau © 2006

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