Mes Chers Amis,
Le 16 janvier 1547, les cloches de Moscou carillonnaient de joie et d’allégresse : le pays avait un nouveau tsar, qui montait sur le trône sous le nom d’Ivan IV.
Ivan IV : vous avez vu mon tsar ? Il est terrible !...
Oui. Et, surtout, « Ivan le Terrible » est FOU.
Pour nous remémorer un peu les tristes faits et gestes du sombre individu en question, translatons-nous au-delà de l’Oural, baguenaudons dans les steppes du Caucase, voguons sur la Volga et allons donc boire un coup d’excellente vodka de derrière les isbas. En avant les moujiks !
Nous sommes au XVIème siècle et, tandis que l’Europe connaît la Renaissance, le déclin du servage, la redécouverte de la culture antique et bâtit des châteaux au bord de la Loire, à Chambord et ailleurs, la Russie, elle, est une principauté grande comme la France mais avec seulement 2 à 5 millions d’habitants (contre 25 millions environ en France), des serfs plus que jamais attachés à leur glèbe et une organisation politique tout à la fois féodale et livrée au caprices des puissants.
Moscou elle-même est une petite ville. Elle compte seulement 100 000 habitants, trois cathédrales, des maisons en bois et un coeur fortifié d’une muraille en brique : le « Kremlin ». Mais Moscou a des ambitions politiques et religieuses : poursuivre une expansion vers l’Est, se tailler à l’Ouest une ouverture sur la Baltique et devenir la « Troisième Rome », le centre spirituel de l’église chrétienne orientale depuis la chute de Rome (476) et Byzance (1453).
Le roi Vassili III meurt en 1533, à ce moment, son fils Ivan n’a que 3 ans. Une régence est alors installée durant laquelle se succèdent intrigues de palais, assassinats et tueries entre les boyards (la haute aristocratie moscovite) qui gouvernent dans les faits à la place du jeune héritier.
A 13 ans, Ivan signe son premier « acte politique » en faisant assassiner le prince Chouiski, gouverneur de Moscou. Trouvant la pratique sympathique, Ivan prend alors une part active aux exécutions diverses qui ponctuent la vie de la cour.
En 1547, à 17 ans, Ivan se fait couronner Tsar (version slave de « César ») et va inaugurer un règne de violence et de fureur mais aussi poser les bases de la construction d’une Russie plus centralisée et plus moderne, sinon celles de la vie politique du pays.
Au règne de la féodalité se substitue ainsi la domination d’un pouvoir central fort : Ivan réforme son système de gouvernement et s’entoure de techniciens auquel il confie des attributions spécifiques (armée, finance, diplomatie). Il vise ainsi à briser le pouvoir des boyards dont il réduit, en 1560, la sphère d’autorité géographique à la moitié du territoire tandis qu’il administre personnellement l’autre moitié. Dans ce contexte, il déplace massivement les populations (puisque les serfs sont attachés à leur seigneur) et exécute sommairement tous les boyards qui lui résistent. Le résultat est naturellement catastrophique sur le plan humain et moral (famines, exodes, morts par milliers) mais aussi économique (désorganisation des lieux et des circuits de production qui accroissent pénurie et pauvreté).
Il fait construire sur l’actuelle Place Rouge la fameuse église de Saint-Basile-le-Bienheureux avec ses dômes que nous voyons au JT de 20 heures.
Il entame des guerres de conquêtes et obtient de nombreux succès militaires : l’empire voit sa superficie multipliée par plus de dix, notamment vers l’Est.
En 1563, afin de s’assurer aussi une suprématie sur le plan spirituel, il fait exécuter les membres du haut clergé orthodoxe, tels le prélat Philippe (1563), ce qui lui assure, curieusement, la fidélité des survivants...
Il concentre un pouvoir sans limite que rien, ni tradition ni coutume ni personne ne peut tempérer, pas même lui-même. Ivan sombre en effet dans la démence.
Outre les meurtres (il assassine de sa propre main le boyard Ivan Fedorov, soupçonné de complot, après l’avoir fait prendre place sur son trône en 1575), Ivan multiplie les sacrilèges, se déguisant en moine et se livrant à des débauches sanglantes à l’intérieur même d’églises.
Dans un accès de fureur, il blesse même mortellement son propre fils d’un coup de bâton à la tête (novembre 1851).
En 1584, alors qu’il joue aux échecs, il meurt brusquement.
Mais son souvenir n’est pas mort. Incarnation d’un pouvoir centralisé fort et opposé à toute noblesse intermédiaire, Ivan conserve, d’une certaine façon, l’image d’un souverain « populiste » dans les mentalités collectives russes.
D’ailleurs, Staline en fait son modèle politique et commande en 1941 au cinéaste Sergueï Eisenstein (« Alexandre Nevski », « Le cuirassé Potemkine ») le film « Ivan le Terrible » que celui-ci achève en 1947 avec, dans le rôle principal, Nicolaï Tcherkassov.
Quant à certains nationalistes russes (tel le mouvement « Pamiat » - mémoire -), ceux-ci ont demandé la construction d’un monument à sa gloire à Moscou (une statue est par ailleurs en préparation dans la ville de Vologda, dans le nord de la Russie).
Ivan IV était un despote fou. Mais convenons, entre gens bien éduqués, humanistes et cultivés, que cela appartient au passé et à un mode de gouvernement non démocratique.
Elus par le peuple dans sa grande sagesse, les dirigeants politiques actuels sont loin de la démence, même s’ils sont parfois d’un pittoresques vaguement inquiétant : certains caressant un peu trop la bouteille de vodka tout en ayant le doigt sur le bouton atomique, d’autres pratiquant la chasse à l’homme, mort ou vif, d’autres encore s’affichant fiers et persuadés de leur suprématie culturelle, d’autres enfin faisant (putain !) que des conneries tandis que d’autres n’ont pas de méthode.
Dans deux mois et demi, en mai 2002, les Français, eux, choisiront leur nouveau Président de la république.
A l’évidence, et heureusement, les candidats en lice ne sont pas fous.
Mais, hélas, ils ne sont pas bien terribles non plus...
Bonne journée à tous.
La Plume et le Rouleau © 2002
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