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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


- 61 : L'affaire CLODIUS

Publié par La Plume et le Rouleau sur 5 Janvier 2006, 13:30pm

Catégories : #Civilisation - vie politique - société

Cher(e)s Ami(e)s,

C’est un sujet jusqu’ici assez peu visité par ces chroniquesque nous allons aborder : l’Antiquité, une période étendue dans le temps (de - 5000 à + 476) comme dans l’espace, donc très diverse et variée. J’en vois déjà parmi vous qui lèvent le sourcil.

Pour certains, l’époque n’évoque rien d’autres que les noms d’empereurs assyriens ou babyl oniens que l’on prononce essentiellement lorsqu’il faut sortir le champagne : Jéroboam, Mathusalem ou Nabuchodonosor sont alors de la fête. Pour d’autres, l’Antiquité rappelle les théories philosophiques pas toujours limpides de penseurs grecs allongés sous les oliviers en compagnie de jeunes éphèbes… Pour d’autres, enfin, l’Antiquité n’incarne que les victoires militaires de jeunes tribuns romains d’abord élancés et conquérants avant d’être, finalement, décadents, poussifs et uniquement préoccupés de plaisirs orgiaques.

Quel thème choisir, alors ?

A la demande générale, nous choisirons de tourner nos regards vers la Ville aux 7 collines. Concupiscence et débauches, luttes de pouvoir et vengeances, mensonges, trahisons et corruption sont donc au programme de cet opus qui vous transportera aujourd’hui à ROME, il y a 2067 ans, au tournant des années – 61 à - 62 !

Mais avant d’évoquer la bagatelle, commençons par planter studieusement le décor politique et institutionnel (ceux qui ne sont pas intéressés par l’histoire du droit des institutions politiques peuvent sauter le paragraphe)… A l’époque dont nous allons parler, la Gaule n’est pas encore totalement occupée. Rome est encore une république. Nous allons essayer de résumer brièvement une constitution non écrite mais détaillée dans le volumineux De Legibus (« A propos de la Loi ») de Cicéron.

Les « magistrats » sont en quelque sorte des hauts fonctionnaires qui exercent les responsabilités sont en quelque sorte des hauts fonctionnaires qui exercent les responsabilités opérationnelles de la vie de la Cité.

L’organisation des magistratures répond à 5 principes :

- l’élection (les citoyens votent en fonction d’un processus complexe mêlant résidence, moyens financiers et grade militaire dans des assemblées appelées « comices »)

- l’annualité (rotation de postes tous les ans)

- la collégialité (il y a plusieurs responsables pour une même charge, qui disposent d’un droit de veto vis-à-vis des décisions de leurs collègues)

- la hiérarchie (toutes les magistratures n’ont pas le même prestige)

- et la spécialisation (finance, administration, etc…)

Dans les faits, les places de direction sont accaparées par une aristocratie. La mobilité sociale est faible.

Elle est tout de même possible.

Ainsi, depuis - 140, la noblesse romaine est divisée entre deux tendances. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une opposition entre conservateurs et progressistes. Il s’agit plutôt d’une ligne de fracture entre une aristocratie ancienne et élitiste et une noblesse plus récente et aux tendances plus démagogiques, qui flatte le peuple plus qu’elle ne défend réellement, afin d’accroître son influence.

Les « Optimates » (« les meilleurs » : ils se nomment ainsi eux-mêmes, sans rire !) sont très imbus de l’ancienneté de leurs familles. Ils n’entendent pas s’écarter des « traditions des ancêtres » qui ont fondé la société romaine. Et pour cause ! Celles-ci leur octroient de façon systématique aussi bien l’accès aux magistratures qu’une part des butins de guerre. « Et mes avantages acquis ? » protestent-ils. Au sein de ces « traditionalistes », on trouve des ultra-conservateurs (tel Caton le Jeune) maisaussi des personnages plus consensuels tels que Cicéron : le brillant orateur bien connu.

Face à ceux, voici les « Populares » (« les populistes ») : ils se posent en défenseur du peuple. Ils demandent une législation favorisant le renforcement des pouvoirs des tribuns (représentant élus) de la plèbe, ils proposent que l’on distribue gratuitement le blé au peuple de Rome (ce sera le cas au 1er siècle suivant), ils veulent une redistribution des terres agricoles étatiques et prônent une réforme des tribunaux monopolisés par les « Optimates ». Certains activistes n’hésitent pas à fomenter des révoltes et à entretenir l’agitation en utilisant la violence comme moyen de pression (tels le factieux Catilina ou encore un certain Clodius – retenez bien ce nom -). Mais d’autres, plus réellement influents, tels Jules César, (ci-dessus) sont des réformistes qui privilégient la voie légale pour effectuer les changements par étapes.

A l’époque de notre récit (fin – 62, début – 61), la vie politique romaine est dominée par les figures de trois personnages.

Pompée, général auréolé de nombreuses victoires en Asie Mineure, est revenu couvert de gloire et d’or de ses cinq années de campagne. Mais à guerroyer loin, son influence politique a décliné en Ville. Il tente de revenir dans la course politique dans les rangs des Populares.

Jules César, lui, est en pleine ascension. Issu d’une famille aristocratique (une « gens », prononcez « guain’s ») ancienne, la « Gens Julia », César est l’homme qui monte, également dans le camp des Populares. Remarquable manœuvrier politique, il a des appuis dans plusieurs camps (et donc des ennemis aussi), des moyens financiers importants, une ambition démesurée, une popularité qui démultiplie son influence et, sans scrupule, n’hésite pas à recourir à l’occasion à des « coups tordus » pour arriver à ses fins. En – 63, il est élu Grand Pontife : responsable religieux suprême, ce qui n’a rien d’extravagant dans une société où le fait religieux est étroitement mêlé à la vie publique. En – 62, il est élu Consul. On songe à lui confier une province à gouverner. Pour l’éloigner un peu ?

Cicéron, enfin, membre des Optimates, est, au contraire, déjà au sommet de sa gloire personnelle. En – 63, alors consul en exercice, il a découvert et fait échoué de justesse la conjuration menée par Catilina (ci-dessus) qui menaçait la République et a fait alors exécuter sans jugement les complices de celui -ci. On lui a alors décerné le titre glorieux de « Père de la Patrie ». La renommée, le charisme, le poids de l’orateur sur les affaires publiques romaines est alors à son apogée. Et c’est ainsi à lui qu’a échu, toujours en – 63, l’honneur d’organiser, dans sa maison personnelle (sa « domus »), les cérémonies en l’honneur d’une mystérieuse déesse romaine : « Bona Dea » (la « bonne déesse », pour les latinistes distingués du premier rang).

Nous entrons dans le vif du sujet.

Cette fête, dont l’évocation est parvenue jusqu’à nous, est l’une des moins connue mais pourtant l’une des plus importantes du calendrier liturgique romain. Encore aujourd’hui, on ignore l’identité réelle de Bona Dea. Certains historiens érudits pensent qu’il s’agit là d’une nymphe, épouse du dieu Faunus, grand-père de la demi-déesse Lavinia qui, épousant le héros Enée, fondera plus tard le peuple romain. On n’en est pas sûr. Il y a d’autres interprétations… Mais, comme il s’agit là de discussions réunissant d’éminents spécialistes dans une cabine téléphonique, je vous en ferai grâce.

Quoiqu’il en soit, au final, Bona Dea est LA déesse des femmes romaines. Celles-ci célèbrent ainsi chaque année, le 3 décembre, l’anniversaire de la construction et de la dédicace (consécration) à leur déesse d’un temple situé sur l’Aventin (l’une des 7 collines de Rome). Cette célébration a lieu au cours d’une fête nocturne, secrète, effectuée dans un lieu clos et… interdite aux regards des hommes !

Mmh, mmh…

Qu’y a-t-il dans cette cérémonie ? Mystère. Nul mâle ne le sait. Et c’est bien ce qui excite leur imagination.

Tout au plus sait-on que, à cette occasion, les « matrones » (épouses des citoyens libres de la Ville) et les « vestales » (prêtresses de la déesse Vesta, ayant fait vœu de chasteté) sacrifient une truie (grouiiiikkk !!!) et consomment du vin (quel scandale) au milieu de danses et de musique. Elles s’amusent entre copines, quoi. Mais leurs maris en sont sûrs : sous couvert de festivités religieuses, leurs femmes s’adonnent à de terribles débauches ! Cette pensée va enflammer les esprits de générations de Romains. Est-ce réaliste ou n’est-ce que le fruit des cogitations de maris jaloux ? Difficile à dire mais, ce qui est sûr, c’est que la société romaine étaient réellement coutumière de ces fêtes officielles au cours desquelles, au motif de rendre grâce à Bacchus (les « bacchanales ») ou Saturne (les « saturnales ») on s’adonnait sans retenue à de vastes orgies…

Juvénal (poète satirique du IIème siècle ap. JC et auteur du fameux « carpe diem ! » = cueille le jour !) en est lui aussi convaincu. Dans ses « Satires » (VI, 314-334), il affirme, non sans gourmandise : « On sait bien ce que sont les cérémonies de Bona Dea, lorsque la flûte stimule les reins et que, excitées à la fois par les trompettes et le vin, les ménades (celles qui officient dans la célébration) de Priape (dieu représenté en érection) font tournoyer leur chevelure et se mettent à vociférer. Quelle ardeur pour l’accouplement saisit alors leur esprit ! Quels cris dans la danse du désir ! (…) Leur lascivité n’admet pas de délai, c’est alors la femelle sans artifice ! » Et Juvénal de décrire ensuite comment les participantes se jettent sur tout sujet mâle qui se trouve à leur portée et…

Mais reprenons le cours de notre récit.

Hum. Si, souvenons-nous en, les cérémonies de décembre – 63 consacrées à Bona Dea avaient eu lieu dans la maison privée de Cicéron, il n’en est pas de même pour celles de l’année suivante, en décembre – 62. Elles vont avoir lieu sur le Forum (place centrale de Rome), dans la « domus publica » (la maison de fonction) du chef de la religion romaine (le « Grand Pontife ») du moment : Jules César. C’est l’épouse de Jules césar, Pompéia, qui les présidera officiellement mais c’est la mère de Jules, Aurélia (réputée pour ses mœurs irréprochables) qui les organisera. Parmi les matrones qui participeront : Julia, sœur de Jules, et Fabia, demi-sœur de Cicéron.

Rien que du beau linge et nul scandale à l’horizon, donc. Pourtant, un événement inattendu et qui, vu de 2006, peut paraître anecdotique voire grotesque, va survenir et prendre des proportions démesurées. Jusqu’à saper la stabilité de la République romaine…

Nous allons le voir.

Retrouvons-nous à Rome, il y a 2 067 ans, pour la mystérieuse fête en l’honneur de la déesse « Bona Dea », une « teuf » strictement réservée aux « meufs »…

Jusqu’au milieu de la cérémonie, tout va bien. Plusieurs femmes vêtues de la longue robe couleur afran des joueuses de harpe jouent pour l’assistance. Sauf l’une d’entre elles, qui, la tête bizarrement coiffée d’un turban, se promène dans un couloir. Une servante l’interpelle pour qu’elle vienne jouer de la musique et l’interroge. Que fait-elle là ? La confusion de la musicienne est totale. Elle répond qu’elle cherche une dénommée Habra, une suivante de Pompéia. L’explication est douteuse. La voix est mâle. La servante se met à crier : l’intruse est UN intrus ! La fausse musicienne s’enfuit. On crie. On ferme les portes. On voile les objets sacrés qui ne doivent pas être souillés par le regard d’un homme.On poursuit le voyeur. On le retrouve finalement caché dans la chambre de sa complice, la servante qui l’avait introduit nuitamment dans la demeure. On le chasse et la cérémonie, un temps interrompue, reprend.

Le lendemain, Aurélia, la femme de César, ébruite l’affaire et le nom du fauteur de troubles se met à circuler dans tout Rome. Qui est-ce ? Il s’agit d’un certain Publius Claudius Pulcher, coureur de jupons, fêtard, débauché, ancien officier de l’armée, agitateur politique bien connu et dont la courte vie (il n’a même pas trente ans) est déjà riche d’une multitude de scandales. Pudiquement, l’écrivain et historien Plutarque, dans sa « Vie de Cicéron » le décrit comme « un jeune noble, de caractère hardi et présomptueux ». Claudius est en fait l’avatar décadent et dépravé d’une famille aristocratique très ancienne, très connue, très fortunée et très influente, la Gens Claudia. Celle -ci appartient évidemment au camp politique des « Optimates » dont nous avons parlé précédemment. Nous appellerons cet individu « Clodius » : c’est sous ce nom que l’histoire le retiendra puisque, ultérieurement (- 58), il se fera adopter par un plébéien afin de devenir « tribun » (représentant élu) de la Plèbe et démocratisera son nom de « Claudius » en « Clodius ». Pour faire plus « peuple », quoi…

Dès sa jeunesse, Clodius se signale par ses nombreuses turpitudes. Il sert d’abord dans la Légion romaine, au Proche-Orient, sous les ordres du général Lucullus, lequel est devenu son beaufrère depuis qu’il a épousé sa sœur Clodia,. Il y est mal noté par ses supérieurs en raison de sa morgue et de son impudence. Pire, en – 68, il incite les soldats de Lucullus à la rébellion afin de s'emparer des trésors et du butin accumulés au cours de la campagne ! Il est alors chassé de l’armée et renvoyé à Rome. Sur le trajet du retour, il est fait prisonnier par des pirates en Méditerranée, qui extorquent à sa famille une forte rançon avant de le libérer. Revenu finalement dans la Ville éternelle, Clodius poursuit son existence agitée, débauchée et oisive. Le grand historien latiniste Jérôme Carcopino estime, dans sa biographie de Jules César, que Clodius entre en relation avec ce dernier qui en fait « le chef de ses agents provocateurs » chargé de monter toutes sortes d’agitations en ville.

En – 65, Clodius accuse Catilina de concussion : moins qu’une soif de probité dans les affaires publiques, le but de Clodius est de nuire à Catilina et de l’empêcher de devenir consul. Il apporte en cela une aide appréciable au combat que mène Cicéron contre Catilina (le premier mettra le second hors d’état de nuire en – 63). L’année suivante, en - 64, Clodius part pour la Gaule « Narbonnaise » (le sud-ouest du pays) en même temps que les armées du propréteur (= gouverneur de la province) Lucius Licinius Murena : il se signale là-bas par ses exactions et ses rapines. De retour de nouveau à Rome, il rassemble autour de lui une bande d’esclaves affranchis et d’anciens légionnaires avec lesquelles il organise divers troubles, profanant notamment des cérémonies religieuses. Son inconduite ne s’arrête pas là. On murmure également que, dans le cadre d’une vie évidemment dissolue, il entretient des relations incestueuses avec sa sœur Clodia : une femme qui s’adonne publiquement aux comportements les plus licencieux au point de choquer la jet-set romaine (qui, pourtant, en a vu d’autres) et dont son mari Lucullus, excédé, finira par divorcer. Qu’à cela ne tienne, Clodius parvient, par son influence, à se faire élire questeur (magistrat chargé des finances) de Rome pour l’année – 61, un comble ! Il rétablit un peu son prestige, bien entamé.

Qu’est-ce donc qui le pousse à se travestir en femme cette nuit du 3 au 4 décembre – 62 et à s’introduire dans la demeure de César pour y observer en secret la cérémonie de Bona Dea ?

L’historien romain Plutarque nous livre la clé de ses motivations : c’est que Clodius convoite en réalité  l’épouse même de César ! Quelle meilleure occasion, alors, que de l’observer à la dérobée durant cette fête d’où tous les hommes sont exclus ?

Dès que le nom de Clodius s’ébruite dans Rome, Jules César mesure le scandale que pourraient lui causer ces rumeurs ainsi que ses liens troubles avec un Clodius à la réputation détestable. Il choisit donc rapidement de… répudier Pompéia ! Puis, il tente de faire croire qu’il se désintéresse de l’affaire : aucune plainte contre Clodius, ni pour tentative d’adultère, ni pour violation de domicile. Clodius, toutefois, en raison des faits incriminés (troubles d’une cérémonie religieuse), ne saurait échapper à des poursuites intentées par le « Ministère Public » pour sacrilège. Ses (nombreux) ennemis comptent bien profiter de l’occasion. Nous sommes maintenant à la fin du mois de Janvier – 61 (il y a 2 067 ans cette semaine).

L’heure de la vengeance a sonné.

Les adversaires de César, proches du camp adverse des Optimates, entendent utiliser cette affaire pour régler son compte à Clodius et obliger César à prendre ses distances avec lui. Mais ce n’est pas si simple. Car le Sénat veut mettre Clodius en accusation pour « inceste » : une acception qui recouvre, à l’époque, un crime religieux (sacrilège) et sexuel (tentative d’atteinte à une participante de la cérémonie). Malheureusement, le Sénat confie au sénateur Pison le soin d’ouvrir la procédure. Or Pison est un proche de Clodius ! Il met évidemment de la mauvaise volonté à sa tâche, multiplie les arguties, fait de l’obstruction juridique, opère des manœuvres dilatoires et tente même de truquer le vote auquel est soumis l’ouverture de la procédure ! Les Optimates fulminent. Après divers rebondissements, l’infâme Clodius est finalement officiellement mis en accusation.

Le procès débute dans la première quinzaine du mois de mai – 61. Les 56 jurés sont tirés au sort. Un gage d’impartialité et d’indépendance ? Pas sûr. Car Clodius et la défense en récusent certains et soudoient la majorité du reste ! Cicéron, à la vue de la composition finale du jury populaire, se scandalise : « Jamais on n’a vu, dans un bouge, réunion plus méprisable : sénateurs tarés, chevaliers décavés (= qui ont joué et perdu leur argent au jeu), tribuns du Trésor sans argent. Les quelques hommes de bien que Clodius n’avait pu récuser siégeaient consternés et affligés de se voir au milieu de gens si différents d’eux et s’inquiétaient grandement d’être contaminés par cette souillure ».

De la racaille, quoi. Ah, elle est belle la justice romaine…

Les témoins défilent. Les adversaires de Clodius dressent d’abord du personnage un portrait accablant, reprenant l’énumération de ses exactions, fourberies, turpitudes, trahisons ainsi que les accusations d’inceste avec sa sœur, la sulfureuse Clodia. Bien, mais sur le fond du dossier de Bona Dea, quid ?

Objectivement, les témoignages ne sont pas clairs : matrones et Vestales confirment l’intrusion d’un homme mais peu affirment pouvoir le reconnaître nettement. On veut citer les esclaves de Clodius après (c’est la procédure) les avoir torturé pour mieux connaître l’emploi du temps de leur maître ce soir-là. Mais Clodius, malin, les a expédiés loin de Rome, à la campagne pour les travaux des champs…

Clodius, lui, devant tant d’incertitude, affirme même qu’il n’était pas à Rome ce jour -là : il était chez son ami Caïus Causinius Schola, en Ombrie (nord-ouest du pays). Et celui-ci confirme. C’est donc l’alibi parfait pour Clodius qui jubile.

C’est alors qu’arrive Cicéron, l’incorruptible, inflexible et prestigieux orateur. Il se moque pas mal que Clodius l’ait, trois ans auparavant, aidé à mettre hors d’état de nuire le dangereux Catilina par son témoignage. Cicéron entend dire l’exacte vérité : Clodius était bien présent à Rome ce jour du 3 décembre, il a même rendu visite à Cicéron dans sa maison du Palatin !

C’est le coup de théâtre et les huées des partisans de Clodius qui injurient Cicéron. Dans la noble enceinte du Sénat romain, on s’invective, on se bouscule, on s’empoigne. Les juges sont obligés de même protéger Cicéron. On en respecte vraiment plus personne.

Et puis, on s’étonne d’un tel témoignage de Cicéron. Certes, la parole de l’auguste ancien consul ne peut être mis en doute mais… N’aurait-il pas subi la pression de… sa femme Terentia ? Celle-ci ne serait-elle pas décidée à faire éliminer Clodius de la vie politique simplement parce que son mari tourne de façon un peu trop appuyée autour de Clodia…? A moins que Cicéron ait, tout simplement, cédé à l’orgueil de se voir encore une fois applaudi (c’est raté) ou encore voulu « liquider » Clodius, à la fois trop encombrant et nuisible aux « Populares » ?

Quoiqu’il en soit, le témoignage de Cicéron suscite la méfiance et la perplexité. Celles-ci sont d’ailleurs aujourd’hui également partagées par les historiens qui s’étonnent de la façon ambiguë dont le fameux sénateur s’expliquera ensuite à propos de toute cette affaire dans ses mémoires… Mais bref. De toutes façons, le témoignage de Cicéron ne peut être écarté. L’alibi de Clodius s’effondre donc et sa condamnation ne fait plus de doute. Il suffit donc d’attendre le verdict, à l’issue du vote des jurés, le surlendemain. Deux jours plus tard, la séance du vote arrive. Pour éviter tout incident, les jurés ont demandé le renfort d’une escouade de gardes. Et le verdict tombe : par 31 voix contre 25, Clodius est… acquitté !

Dans l’intervalle, en effet, Crassus, l’homme le plus riche de Rome et un des principaux chefs des « Populares » a en effet usé de son, disons… « influence financière » pour orienter les suffrages... Le vieux sénateur Catullus s’adresse alors, méprisant, aux votants : « Pourquoi avez-vous demandé des gardes, leur demande-t-il, de peur qu’on vous vole… l’argent que vous avez reçu ? »

Et voilà, Clodius s’en sort, une nouvelle fois. Il est, en fait, le grand vainqueur de ce moment de confusion judiciaire et politique romaine. Mais son histoire ne s’arrête pas là. Fou de rage contre Cicéron, il va préparer sa vengeance. Trois ans, plus tard, élu tribun de la Plèbe, il parvient à faire voter, grâce aux abstentions de César (à gauche) et de Pompée (à droite), une loi permettant de condamner à l’exil quiconque aurait mis à mort un citoyen romain sans jugement.

Or, souvenons-nous, en – 63, Cicéron, lors de la conjuration de Catilina, avait employé les grands moyens et fait exécuter sans jugement les complices de celui-ci ! Mais, et la non-rétroactivité des lois, me direz-vous ? Bah ! A l’époque, ce concept n’existe pas. En avril – 58, le grand Cicéron, autrefois sauveur de la patrie et homme politique exemplaire (quoique mal marié mais, après tout, ce n’est pas de sa faute) est banni : il doit quitter Rome tandis que ses biens sont confisqués et vendus aux enchères ! La République romaine, gangrenée par le clientélisme et la corruption, achève d’agoniser. Dans moins de 10 ans, à bout de souffle, elle sera renversée par Jules César qui se proclamera empereur. Pour l’heure, Clodius rachète à bas prix… la demeure de Cicéron située sur la colline du Palatin, où il s’installe en dédiant le lieu à la déesse… Liberté ! Ah ah… !

Ah, je vous jure, Rome, c’est vraiment pas ce qu’on croyait. Du pain, des jeux, des femmes et du pognon.

Ah, elle est belle l’Antiquité, ouais… Heureusement que, depuis lors, la civilisation a progressé…Non ? Non ? Ah bon…

Bonne journée à tous quand même.

Jules César est alors en pleine ascension : découvrez comment il va conquérir la Gaule dans moins d'un an.

La Plume et le Rouleau © 2006

Et pour d'autres mystères, lisez La cinquième nouvelle

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