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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1928 : L'impassible HIRO HITO

Publié par La Plume et le Rouleau sur 18 Décembre 2001, 18:19pm

Catégories : #Personnalités célèbres

Mes Chers Amis,
 
Une fois de plus, les Chroniques de la Plume et du Rouleau vont tenter de vous surprendre et de vous intéresser en vous parlant d’un sujet inhabituel.
C’est, une fois de plus, par delà les monts, les mers et les lustres que nous nous translaterons aujourd’hui puisque, le 18 décembre 1926, au Japon, s’éteignait l’empereur Taisho. Ce décès ouvrait la porte à l’accession au trône de son fils Hiro Hito, officiellement sacré empereur en 1928
 
Hirohito devenait ainsi chef de la plus ancienne monarchie du monde (au moins - 600 av. JC), inaugurant un règne qui serait d’une longueur exceptionnelle (63 ans) et couvrirait une période sans équivalent dans l’histoire de l’Archipel.
 
Hirohito reçoit d’abord une éducation fort martiale : ses années de prime enfance voient son éducation confiée à l’amiral Nogi, glorieux vainqueur de la flotte russe lors du combat naval de Port-Arthur (1904). Celui-ci l’initie, tel un samouraï, à l’effort et à la frugalité, renforçant le caractère austère et renfermé de l’enfant.
 
Mais Hiro Hito se passionne davantage pour les sciences naturelles que pour les armes. La fin de son adolescence est marquée par ses fiançailles avec, contre toute tradition, une princesse de son choix, Nagako (1919) et par des voyages en Europe.

A son retour au Japon en 1921, il est appelé à exercer la régence durant la maladie de son père puis, marié en 1924, il est couronné en 1928. Il décide d’assouplir le protocole impérial et choisit le nom de son règne, ce sera l’ « ère Shôwa » (paix « éclairée » ou « brillante »).
 
Ce n’est pas vraiment le nom qui conviendra en fait le mieux à la période troublée que va désormais vivre le Japon. Confiné dans son palais, soumis à une étiquette étouffante, Hiro Hito se montre timide et effacé, prenant ses distances avec les affaires intérieures et insoucieux des questions sociales. Il se montre entièrement passif face à la montée de la militarisation du pays. Il est en revanche impitoyable dans la répression contre la tentative de putsch organisée le 26 février 1936 par de jeunes officiers et ordonne personnellement plusieurs exécutions. Il donne également son aval à la répression des manifestations ouvrières qui, à cette époque, entendent protester contre la pénurie consécutive à l’effort militaire du pays.
Jamais il ne s’élèvera d’une quelconque manière pour condamner ou même tempérer les exactions commises contre les populations civiles (massacres de Nankin en décembre 1937 : entre 50 et 300 000 morts ; asservissement des populations en Corée ou aux Philippines durant le second conflit mondial...) ni les agissements de la sinistre « Unité 731 » dans les camps de concentration japonais.
 
Lui que les occidentaux (qui comprennent rarement quelque chose à l’Asie) avaient cru moderne, libéral et anglophile (du reste, comment peut-on l’être ?) pratique au contraire l’idée confucéenne du rayonnement spontané de la vertu du prince. Cette non-action laisse, en réalité, une totale latitude aux militaires qui ont engagé le pays dans l’expansion armée et la guerre mondiale.
 
Rappelons que, sur le plan « institutionnel », si l’on peut dire, la monarchie japonaise est très particulière. Doté de ses trois attributs : le miroir, l’épée et le collier, l’empereur est censé être, alors, d’essence divine et descendre en droite ligne de Jimmu, le premier roi céleste. S’il se veut « moderne » et ne pratique plus la polygamie comme son père et ses aïeux, Hirohito entend cependant être l'objet d'une dévotion et d’une obéissance absolues.
 
En 1945, quand le Japon n’aura plus que le corps de ses soldats comme arme ultime, c’est d’ailleurs au cri de « 10 000 ans pour l’empereur ! » (Tenno Banzaï !) que les pilotes-suicides nippons s’écraseront sur les bateaux américains, le visage tourné en direction du palais impérial.
 
Le peuple japonais, quant à lui, n’a jamais vu son souverain en chair et en os ni même entendu sa voix.
 
C’est donc complètement éberlués que les japonais, le 15 août 1945, entendent à la radio que l’empereur va s’adresser à eux. La population s’agglutine autour des postes de radio, on en a installé dans les rues. Après le choc des bombardements atomiques des 6 et 9 août, les japonais perçoivent la gravité d’une situation où leur empereur choisit de sortir de son silence pour s’adresser directement à eux.
 
Il s’exprime du reste (c’est un signe) avec des tournures archaïques incompréhensibles par le japonais moderne, si bien que, durant son intervention radiophonique, un commentateur doit « traduire » son discours.
 
Va-t-il exhorter ses compatriotes à défendre jusqu’à la mort une terre sacrée dont on pressent l’invasion imminente ?
 
Eh bien non.
 
D’une voix chevrotante, l’empereur annonce la reddition sans condition du pays. Les gens pleurent. De nombreux officiers se font « seppuku » (ce que les occidentaux appellent improprement hara-kiri).
 
Une page se tourne dans l’histoire du Japon. Mais sur les ruines de Nagasaki, celui-ci entre alors réellement dans le monde moderne...
Le Japon parvient à négocier avec les Etats-Unis une chose inattendue, contre l’obéissance de la population et la traduction en justice des criminels de guerre : ne pas toucher à l’empereur. D’ailleurs, les 35 dignitaires du régime accusés prennent tout à leur charge, ils assument l’intégralité des charges de crimes de guerre et disculpent massivement le monarque. Ils emportent leur abnégation dans la tombe puisque 7 d’entre eux seront pendus haut et court.
 
Malgré les protestations des Alliés et des autres pays d’Asie, outrés de ce qui n’est qu’un sacrifice de plus de criminels voués, de toutes façons, à la potence, les Américains acceptent cette immunité totale pour Hirohito.
 
Alors, l’institution impériale va changer de visage. L’empereur se montre, il descend dans les rues, visite son peuple, l’encourage, le rencontre et, en même temps, le découvre. Il s’étonne à chaque pas de façon si marquée que les journalistes le surnommeront « M. Ah bon ? ».
 
Le 1er janvier 1946, Hirohito prononce même un discours où il énonce solennellement que ni l’empereur ni le Japon ne sont d’essence divine. A partir de ce moment-là, conformément à la constitution et parallèlement à l’abolition du shintoïsme comme religion d’Etat, il n’exercera plus aucune fonction autre que symbolique, contribuant comme il le peut au réchauffement des relations du Japon avec le reste du monde.
 
En 1958, son fils Akihito (l’actuel empereur) épousera même une vulgaire roturière, Michiko, rencontrée sur un court de tennis (alors que les chambellans du palais impérial lui avaient pourtant minutieusement sélectionné 20 jeunes filles sur la base de leurs antécédents nobiliaires et... médicaux !). La presse people fit ses gros tirages de cette anecdote qui, pour l’observateur politique et l’historien, était en réalité un évènement d’une portée infiniment plus importante.
 
Hirohito est mort en 1989 : son agonie et ses obsèques ont été surmédiatisés. Depuis, son fils Akihito a inauguré l’ère « Heisei » (« Accomplissement de la paix ») et, toujours discret, a néanmoins poursuivi ses discours de repentance vis-à-vis des autres pays d’Asie du Sud-Est.
 
L’actuel héritier du trône, son fils Naruhito, est né en 1965. Il a épousé en 1993 une journaliste de la télé qui avait étudié aux Etats-Unis, Masako : nouveau mariage "non-arrangé" quoique, évidemment, il semble qu’une grosse pression ait été mise sur l’heureuse (?) élue.
 
Mais après Naruhito, qui ?
 
Ah là là ! Chers téléspectateurs, quel suspense ! Eh bien l’héritier est... une héritière !
Elle s’appelle Aïko (« celle qui aime les autres ») et est née le 1er décembre 2001.
 
Aïko est l’unique enfant de Naruhito et, déjà, des parlementaires parlent d’une révision possible de la constitution afin de permettre à une femme de monter sur le trône du Japon... Une femme sur le trône : tout foutrait-il le camp au pays des samouraï et des sumotoris ? ! La tradition ne serait-elle plus respectée ?
 
Pas tout à fait car, au Japon, rien n’est simple ni totalement tranché. En effet, lors de cet heureux évènement, les parents n’ont été que « consultés » dans le choix du prénom de leur fille qui a été choisi, comme le veut la coutume, par... l’empereur lui-même !
 
Un autre point dynastique, par ailleurs, n’a pas été soulevé. Ces chroniques, toujours aux sources de l’information, s’en font ici l’écho : la date de naissance de Hirohito est, en réalité, incertaine. Dans les livres d’histoire officielle, le défunt empereur était né en 1901. En réalité, et selon les historiens bien informés, il semblerait qu’il faille plutôt retenir la date de 1900 : un choix périlleux car il indiquerait alors que l’empereur était né avant le mariage de ses parents, ce qui invaliderait sa légitimité et celle de tous ses descendants...
 
Mais sur ce point comme sur d’autres, les Japonais restent souriants, polis et... impassibles.
 
Bonne journée à tous.


La Plume et le Rouleau © 2001

Et pour d'autres mystères et secrets, lisez La cinquième nouvelle...

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