Mes Chers Amis,
C’est Noël : fête placée sous le signe de la famille, de la joie des enfants, du sapin et des cadeaux à son pied, des bûches dans l’âtre et au réfrigérateur, de la messe aussi. Cette grande fête chrétienne (on y célèbre non la date de naissance du Christ, - inconnue - mais la venue du Sauveur) est, hélas, aujourd’hui largement teintée du paganisme importé d’outre-atlantique où le consumérisme est roi.
Après tout, peut-être s’agit-il là d’un retour aux sources puisque je vous rappelle que les populations pré-chrétiennes fêtaient déjà le solstice d’hiver comme l’époque de l’année où le jour se met à rallonger par rapport à l’obscurité : une métaphore que le christianisme utilisera pour supplanter les rites païens.
Quoiqu’il en soit, le jour de Noël représente, pour beaucoup, l’occasion rare de se retrouver, de se réunir et de parler d’autre chose que des soucis du quotidien.
Le 25 décembre 1942, par exemple, le général De Gaulle, alors en exil en Angleterre, passe Noël en compagnie de Winston Churchill et du général d’Astier, dans la résidence des Chequers appartenant au Premier Ministre britannique... Quoi de plus normal entre personnes qui s’apprécient, Mmh ?
C’est là que les trois hommes apprennent une drôle de nouvelle. Une nouvelle qui va donner un tour nouveau aux relations entre les Etats-Unis, l’Angleterre et la Résistance française : ce 25 décembre 1942, l’amiral Darlan vient d’être assassiné à Alger.
Je vous remets les faits brièvement en mémoire.
La France est à l’époque divisée entre une zone occupée et une « zone libre ».
Malgré sa défaite en 1940, la France de Vichy n’a pas directement livré à l’Allemagne ses colonies d’Afrique du Nord. Elle en garde le contrôle grâce à une administration qui entretient l’ambiguïté tant face à l’Angleterre que face au Reich, en affichant une pseudo neutralité. Le Reich, du reste, a d’autres priorités que de mobiliser des troupes d’occupation : la bataille fait rage à l’Est où les troupes allemandes progressent péniblement face à l’armée soviétique. L’Allemagne n’est cependant pas totalement absente d’Afrique car elle craint que les Alliés et la résistance française ne s’appuient sur les colonies anglaises ou françaises pour opérer une contre-offensive.
Elle n’a pas tort. 1942 marque, souvenez-vous en, un tournant dans l’histoire de la seconde guerre mondiale. Sans que le Reich le sache encore, ses jours sont maintenant comptés car pour la première fois, les Alliés vont prendre l’avantage. Rommel, à bout de carburant se rend au général Montgomery en Egypte le 3 novembre 1942 : c’est la fin de la bataille d’El-Alamein. 5 jours plus tard, les Anglo-américains déclenchent l’opération Torch : ils débarquent en Afrique du Nord.
La situation y est ambiguë : les forces françaises y sont dirigées par l’amiral Darlan, personnage proche de Pétain mais placé là parce que Pierre Laval (premier ministre) l’a brutalement évincé du gouvernement en avril 1942.

Darlan est furieusement anglophobe et entretient une hostilité (réciproque) vis-à-vis de De Gaulle mais a curieusement noué avec des américains des liens de confiance. Il entretient une neutralité qui lui permet de ne s’engager aux côtés d’aucun protagoniste (ni Vichy, ni la Résistance, ni les Alliés ni les Allemands) tout en faisant croire à tout le monde que cette inaction joue en leur faveur. Il joue un « quadruple-jeu » dont il espère tirer un profit personnel mais qui laisse beaucoup de gens perplexes.
Le gouvernement de Pétain voit en Darlan celui qui empêche l’Afrique du Nord de tomber aux mains des Américains. Eisenhower, pour sa part, croit pouvoir utiliser Darlan pour représenter l’autorité légale du gouvernement français tout en amenant les armées françaises d’Afrique du Nord à rejoindre les troupes anglo-américaines dans la campagne de Tunisie.
Mais les Anglais, eux, ont choisi clairement depuis longtemps le camp de De Gaulle et de la Résistance française et n’ont aucune confiance en Darlan compte tenu de ses relations avec le gouvernement de Vichy. Traiter avec lui décrédibilise l’Angleterre vis-à-vis de la Résistance française. Pour les Anglais, Darlan n’est qu’un gêneur : d’ailleurs, il n’a pas donné l’ordre à la flotte française de Tunisie de se rallier aux Anglais qui y combattent les Italiens.
Quant aux Allemands, ils ne font pas tant de détours ni de spéculations hasardeuses : le 11 novembre 1942, ils envahissent la zone libre. Darlan, de son côté, parvient, le 17 novembre 1942, à être officiellement reconnu par les Américains comme « chef politique de la France Libre », et ce malgré les protestations des Anglais.
Parallèlement, les fonctionnaires vichystes d’Alger et de Tunis continuent d’afficher leur mauvaise humeur vis-à-vis des troupes alliés qui sont amplement dénigrées par les stations de radio locales.
Le 18 novembre, quatre jeunes soldats français des « Corps francs d’Afrique » ont une discussion passionnée : outrés par cette nomination qu’ils considèrent comme une traîtrise, ils décident d’assassiner Darlan. Ils tirent à la courte paille celui qui sera l’exécuteur : ce sera le jeune Fernand Bonnier de la Chapelle, une vingtaine d’années, des sentiments royalistes, un patriotisme exalté et... un entraînement reçu dans le camp algérien du cap Matifou appartenant au « Special Operations Exécutive » britannique (une sorte de branche « action » des services secrets militaires de sa Très Gracieuse Majesté).
Début décembre 1942, la situation se tend à Alger : les anglais s’impatientent de plus en plus des obstructions répétées des fonctionnaires de Darlan. Eisenhower commence aussi à s’en irriter, tant il attend avec impatience d’accélérer les opérations militaires. De Gaulle, de son côté, ronge son frein, il ne peut faire une entrée à Alger afin de faire basculer les populations en faveur de la Résistance, le général Giraud se posant localement en rival pour représenter l’armée française.
Reconnaissons-le : tout cela est un peu confus.
Ne craignez rien, la situation va vite s’éclaircir, et cela de façon expéditive : le 25 décembre 1942. C’est le jour de Noël et, en guise de cadeaux, ce sont deux coups de colt 45 Woodsman dans l’estomac que Fernand Bonnier de la Chapelle expédie à l’amiral Darlan, qui succombe derechef. Bonnier tente de s'enfuir mais est maîtrisé. Il prétend avoir agi seul et de sa propre initiative.
Pourtant, on sait aujourd'hui qu'il a eu de nombreux contacts avec les Gaullistes notamment, ainsi que des complicités pour entrer dans le Palais d'Eté, résidence de Darlan. S'attend-il alors à être sauvé par les instigateurs de cette machination ?
En fait, dès le lendemain 26 décembre, Bonnier comparait devant le tribunal militaire. Au terme d’un procès expéditif, il est condamné, sa grâce éventuelle refusée puis est passé par les armes le jour même !
Désormais privés de leur chef, les vichystes sont désemparés. Trois mois plus tard, De Gaulle arrivera à Alger, il supplantera rapidement Giraud : l’armée locale s’engagera alors résolument aux côtés des Alliés.
Alors, qui a tué Darlan ?
Bonnier, jeune homme exalté prêt au martyr, certes. Mais derrière lui, qui ?
Les royalistes furent accusés, sans preuve.
Les agents de Hitler et de Mussolini : un peu au hasard.
Les Gaullistes aussi, bien sûr : De Gaulle nia toujours farouchement ce meurtre qui aurait risqué de le compromettre aux yeux des Français d’Algérie de l’époque mais qui, au final, servit diablement ses intérêts.
Les Britanniques, surtout, furent sérieusement mis en cause, spécialement à l’ouverture des archives du « SOE » à la fin des années 80. Churchill y apparaît excédé par les atermoiements de Darlan et le risque qu’il fait courir à la Résistance incarnée par De Gaulle. Mais les preuves formelles manquent.
Au vrai, si la politique de Darlan avait longtemps servi les intérêts de tous, sa mort les servait encore davantage.
Pour Darlan, Noël 1942 fut donc aussi placé sous le signe du sapin.
Mais un sapin découpé en six planches décorées d’une couronne...
Bon Noël à tous.
La Plume et le Rouleau © 2001
Pour d'autres mystères, lisez La cinquième nouvelle...