Mes Chers Amis,
Le « vendredi saint », comme l’appellent les Chrétiens, est l’occasion pour ceux-ci de célébrer un évènement dramatique mais ô combien fameux : le supplice de Jésus sur le Golgotha (la « montagne du crâne », située à l'époque hors les murs de Jérusalem), sur ordre du pouvoir romain représenté localement par le préfet Pilate, la veille du shabbat juif, il y a approximativement 2002 ans.
Une drôle de sentence, par ailleurs, puisque :
- Jésus est condamné par un tribunal juif (le Sanhéddrin) pour un motif religieux : la profanation du temple, l'usurpation de messianité, ce que Jésus ne nie pas
- sa condamnation est validée par le représentant de Rome, Ponce Pilate, pour un motif politique (Pilate n'a aucune autorité au plan religieux et ne s'en préoccupe pas) : Jésus incite à refuser de payer l'impôt à Rome, il se prend pour un dieu alors que seul l'empereur doit être considéré comme vrai homme et vrai dieu, ce que Jésus tente de minimiser ("C'est toi qui lde dis...")
- la peine exécutée est une peine de droit commun, réservée aux délinquants (brigands, assassins et voleurs, ce que Jésus n'est pas, Pilate le sait parfaitement et c'est pourquoi il hésite tant à propos de la sentence) : la crucifixion.
« Ils le crucifièrent », donc, nous disent en chœur les deux évangélistes Marc (chapitre 24) et Luc (chapitre 23) : une formule pour le moins expéditive dans une affaire aussi exceptionnelle.
C’est donc l’occasion pour les Chroniques de la plume et du rouleau d’aborder un peu plus amplement les évènements tragiques auxquels le calendrier liturgique chrétien fait référence. Que sait-on exactement, historiquement parlant, de la crucifixion en général dans le monde romain et plus particulièrement de celle évoquée dans les évangiles canoniques ?
De la première, on sait beaucoup de choses. On connaît bien aujourd’hui les modalités « techniques » du supplice grâce à diverses sources contemporaines et surtout à la découverte de squelettes (notamment celui de Giv'at ha-Mirtav (mis au jour au nord de Jérusalem en 1968) étudiés par les archéologues.
Allons y voir de plus près.
La crucifixion, telle qu’on la donne ordinairement en représentation dans l'iconographie chrétienne, semble très spectaculaire. La croix est posée sur le sol, le condamné est allongé dessus, on lui cloue affreusement les mains en enfonçant le clou dans la paume, il a les pieds posés sur un petit socle de bois. Puis on redresse la croix, c’est la partie la plus horrible du supplice : la douleur et l’effusion de sang des plaies provoquent rapidement la mort.
Ca, c’est dans les films d'Hollywood et dans les livres de catéchisme. La réalité historique du supplice de la crucifixion à l’époque romaine est nettement différente. Car, dans l’Antiquité, dans toutes les civilisations, on adore crucifier. On crucifie même parfois la tête en bas, c’est amusant aussi.
Seuls les Romains, en revanche, avec leurs habitudes de réglementation, donnent une nature spécifique à la crucifixion et en fixent les modalités homogènes : la crucifixion est une peine infamante réservée à ceux qui troublent l’ordre public, criminels ou révoltés, généralement appliquée à des non-romains (mais les légionnaires peuvent y avoir droit aussi dans des cas de rébellion).
Cela explique (enfin) clairement pourquoi Jésus (qui est accusé d’avoir troublé l’ordre public et de s’être prétendu roi) y est condamné, en même temps que deux malfaiteurs.
Loin d’être grossière, comme on pourrait le supposer, cette torture est en fait particulièrement raffinée.
Le supplicié, que l’on commence par épuiser à l’aide de coups, est condamné, non pas à porter la croix en elle-même (beaucoup trop lourde et volumineuse, si l’on veut qu’elle ait une dimension suffisante pour supporter un homme) mais à traîner derrière lui le tasseau transversal de cette croix, que l’on appelle le « patibulum » en latin.
Les clous ne sont pas plantés dans la paume de la main mais dans les poignets (dans l’ « humérus » voir commentaires ci-dessous) afin que le condamné reste bien fixé malgré le poids de son corps qui déchirerait à la longue les tissus de la main, ce qui lui permettrait de s’échapper sans blessure véritablement mortelle.
Le condamné n’a pas les pieds sur un bloc de bois : on ne se soucie évidemment guère de son confort ! Ce qu’on fixe sur la partie verticale de la croix, à hauteur des reins et non des pieds, est une pièce de bois triangulaire que l’on nomme la « sédula » : vous allez en connaître l’utilité plus loin.
Les pieds du condamné sont en réalité posés l’un près de l’autre puis les jambes sont tournées de côté et l’on plante un long clou qui traverse latéralement les deux pieds et vient se planter dans le socle de la croix : le condamné a donc le bassin qui forme un angle droit avec son torse, ce qui l’empêche de respirer librement.
Car, contre toute attente, la mort n’est pas obtenue par les diverses blessures infligées ni par les effusions de sang, en réalité assez limitées. Elle résulte de l’atroce alternance entre la suffocation et l’asphyxie. Le condamné est incapable de trouver une position lui permettant de respirer correctement : l’angle des bras et leur extension l’empêchent de respirer librement et il est contraint à un halètement pénible. Il tente alors de se redresser sur ses pieds, eux-mêmes cloués. Mais cet effort se révèle vite insoutenable, la « sédula » lui cambrant les reins tandis qu’il ne peut même pas s’asseoir dessus.
On croit généralement que cette position, pour inconfortable qu’elle fût, ne pouvait être durablement supportée. Il n’en est rien : les historiens romains décrivent la résistance de plusieurs jours qu’eurent les gladiateurs de l’armée de Spartacus, crucifiés au nombre de 6000 (!) le long de la via Appia, menant de Capoue à Rome.
D’ailleurs, moins pour abréger les souffrances des condamnés (dont le pouvoir romain n’a cure) que pour hâter tout simplement l’exécution et mettre un terme à son déroulement, les Romains ont l’habitude, après quelque temps, de briser les tibias des crucifiés. Dépourvus d’appui, ceux-ci pendent alors complètement. La privation d’oxygène tétanise rapidement l’ensemble des muscles et la mort survient par asphyxie en quelques minutes.
Que nous disent les évangiles "canoniques" (= officiels depuis le Vème siècle, par opposition à tous les autres récits sur Jésus, depuis cette date désignés sous le terme "apocryphe" = faux / cachés) ?
Rien de fondamentalement différent de ce qui précède. Au contraire.
L’on est donc fondé à penser que ce que subit Jésus, logiquement, ne fut pas différent des autres condamnés « habituels » et, par conséquent, les découvertes archéologiques fournissent donc une image très sensiblement différente de celle vulgarisée dans les productions hollywoodiennes à grand spectacle (telle « Jésus de Nazareth » de Zeffirelli en 1978) et de celle véhiculée par l'iconographie traditionnelle de la liturgie chrétienne.
La crucifixion du Christ eut lieu, nous disent les Evangiles, un vendredi. Or, les traditions juives (que le pouvoir romain s’efforçait de respecter afin de conserver la paix civile) exigeaient que tout supplice fût consommé avant le début du shabbat (qui commence à la fin du jour de vendredi).
Pour les deux brigands condamnés avec Jésus, les soldats romains procédèrent de façon classique : ils leur brisèrent les jambes, mettant précocement fin à leurs souffrances. Cela est dit dans les textes.
Pour Jésus, pourtant, les soldats procédèrent autrement : afin de vérifier s’il était déjà mort, ils enfoncèrent d’abord la pointe d’une lance dans sa poitrine (nous dit l'évangéliste Jean), ce qui ne suscita aucune réaction du supplicié mais fit couler de l’eau (sans doute celle de la plèvre). Voyant cela, les soldats approchèrent alors une éponge pleine de vinaigre de son visage. Apparemment, épuisé par la flagellation puis par l’effort de traction du patibulum (les romains avaient même été obligés de réquisitionner le juif Simon de Cyrène, nous disent Marc, Matthieu et Luc, sur le trajet, pour aider le condamné), Jésus avait déjà succombé.
Sa mort fut donc rapide car l’évangile de Marc nous dit que Jésus fut crucifié "à la troisième heure" et ceux de Marc et Matthieu disent tous les deux que Jésus mourut "à la neuvième heure" soit une durée de six heures sur la croix, ce qui est court...
Deux amis de Jésus, Joseph d’Arimathie et Nicodème, notables influents de Jérusalem, vinrent alors réclamer le corps du supplicié à Pilate. Pilate, disent les textes, s’étonna que Jésus fût déjà mort. Cependant, devant les témoignages, il donna son accord afin que le supplicié fût mis au tombeau.
On connaît la suite par les textes : le dimanche suivant, le tombeau fut découvert vide par Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé. La pierre était roulée et le linceul était plié. Quelques jours plus tard, Jésus réapparut à Marie de Magdala puis à ses disciples qui ne le reconnurent d’abord pas. Quelque temps après, Jésus disparut pour de bon et fut, selon l'évangéliste Luc « emporté au Ciel », et selon l'évangéliste Matthieu « enlevé au Ciel (et) s’assit à la droite de Dieu ».
Mort, disparition, réapparition puis nouvelle disparition, définitive cette fois : c’est le début de la Foi pour les Chrétiens et celui d’un des plus passionnants mystères de tous les temps. Car plusieurs solutions sont possibles pour expliquer la disparition du corps de Jésus de son tombeau :
- L’explication surnaturelle de la résurrection, énoncée par Luc et Matthieu et reprise par Saint Paul (qui ne fut pas un témoin direct de la scène).
- L’escamotage du cadavre par ses disciples eux-mêmes : cette thèse est directement évoquée par Matthieu dans son évangile, qui la disqualifie immédiatement en la traitant de « fable ».
- L’escamotage du cadavre par le pouvoir romain, soucieux de ne pas voir les foules venir se recueillir près de la tombe d'un prophète et d’éviter ainsi que ne se poursuive l’agitation populaire. Simple hypothèse qu'aucun texte ni indice ne viennent appuyer.
- Une dernière solution au terme de laquelle, malgré les apparences et compte tenu des éléments techniques de la crucificixion évoqués ci-dessus, Jésus n’aurait pas été cliniquement mort lors de sa descente de croix : après une simulacre de mise au tombeau, aurait été mis en lieu sûr pour y être soigné. Cela expliquerait la présence dans le tombeau d'un linceul plié donc non utilisé. Cela expliquerait également le retour de Jésus quelque temps après, rétabli mais avec une apparence transformée pour ne pas être reconnu par les soldats romains (au point qu'il ne le soit pas non plus par ses disciples !) Diverses traditions, y compris musulmanes, évoquent d'ailleurs une fuite ultérieure de Jésus par la route de la Soie et vers le nord de l'Inde (au Cachemire) : on trouve, à Srinagar (capitale du Cachemire), un étrange monument funéraire islamique du nom de Rozabal, érigé en l'honneur d'un saint homme... préislamique (ce qui n'est vraiment pas courant pour les Musulmans) du nom de "Yuz Azaf", contemporain des évènements de la Passion.
En fonction de son positionnement parmi ces éventualités (qui posent de toutes façons davantage de questions qu’elles n’apportent de réponse), chacun d’entre nous choisira une route différente pour la suite de cette histoire passionnante qui, depuis plus de 2000 ans et pour encore longtemps sans doute, fait couler beaucoup d’encre et de salive.
Moi j’ai choisi. Et vous ?
Bonne journée à tous.
Et pour mieux vous guider et vous faire réfléchir, plongez-vous dans les mystères et les secrets de La cinquième nouvelle...
Jésus fut assurément un homme de caractère mais pas forcément un joyeux drille. Croyez-vous qu'il ait jamais ri ? Voyez ce qu'en ont pensé les grands théologiens du Moyen Age.
La Plume et le Rouleau © 2002