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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1788 : A-t-on des NOUVELLES de monsieur de LAPEROUSE ? (3)

Publié par Sho dan sur 14 Juillet 2012, 00:05am

Catégories : #Personnalités célèbres

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,

1828 : On a retrouvé la trace de Lapérouse

Dillon reçoit l’aide des habitants de l’île de Vanikoro : il localise approximativement deux zones :

- le lieu du naufrage d’un des navires (car, en fait, les navires se sont abîmés à deux endroits différents, nous le verrons plus loin)

- le lieu-dit « Paiou » où les survivants établirent leur campement

Dillon va devoir reconstituer le puzzle du drame. Que s’est-il passé, et où ? Cela ne sera pas trop difficile, sur la foi de l’examen des lieux et des traditions orales en cours.

Prises dans une tempête tropicale, les frégates la Boussole et L’Astrolabe (à une date qui reste encore inconnue mais qui se situe dans les premiers mois de 1788, après leur départ de Botany bay - Australie) se dirigent vers l’île de Vanikoro (archipel des Salomon), croyant y trouver un abri.

 

Lapérouse carte Pacifique sud IRD

Un des deux navires (on ne sait pas encore lequel, de la Boussole ou de L’Astrolabe) ne voyant pas immédiatement de passage à travers la barrière de récifs, tente probablement de jeter l’ancre à l’extérieur de celle-ci. Peine perdue : le fonds, on l’a vu, est inaccessible. L’ancre, sans doute, se perd, le bateau est déséquilibré, il sombre vraisemblablement. Où ? Plus personne ne le sait exactement.

L’autre frégate, à son tour, essaie vraisemblablement de trouver une passe et s’engage comme il peut, en pleine tourmente, dans une zone qu’il croit mener vers l’intérieur du lagon. C’est en fait une impasse avec un haut-fond (4 mètres) sur lequel la frégate s’échoue. Certains membres de l’équipage parviennent à s’accrocher aux récifs et, au lever du jour, gagnent péniblement le rivage. Le lieu de ce drame, lui, est en revanche clairement connu des populations locales : l’épave est vite localisée. Dillon visite le site dit de « Païou » : si la population locale lui indique que l’équipage rescapé y a vécu, il n’y trouve, au vrai, plus de trace tangible.

Tous les mystères ne sont pas levés, loin de là mais, tout de même, quelles découvertes !

Rien d’étonnant, donc, à ce que la nouvelle de la découverte du lieu du naufrage de Lapérouse s’ébruite rapidement et le Français Jules Sébastien Dumont d’Urville arrive à son tour, en 1828, à Vanikoro. Il y fait la connaissance de Dillon avec lequel il coopère et recueille à son tour d’autres indices. Avant de repartir, Dumont d’Urville fait édifier un cénotaphe (un tombeau sans dépouille qui sert de lieu de mémoire) à la mémoire de l’équipage de Lapérouse, en baie de Manevaï.

On va en rester là pendant un bon bout de temps.

Et pourtant, ce n’est pas faute d’une curiosité qui taraude tous ceux qui s’intéressent à la question. Car si les découvertes de Dillon et Dumont d’Urville ont levé un coin du voile, elles n’ont pas dissipé tous les questionnements, insolubles en l’état des connaissances du XIXème siècle : quel est le bateau échoué dans la « fausse passe », l’Astrolabe ou La Boussole ? Où se trouve l’autre ? Combien y eut-il de survivants, et qui ? Et que devinrent-ils ?

En 1889, à Maouna, un missionnaire reçoit un étrange cadeau de la part de la population locale : des ossements d’un « grand chef blanc » massacré autrefois. Le missionnaire comprend qu’il s’agit là des restes de l’infortuné Fleuriot de Langle, massacré le 11 décembre 1787 et dont Lapérouse n’avait pas pu récupérer le corps, vu la violence des populations indigènes. La dépouille avait été enterrée par cette dernière au pied d’un chêne rouge. Les ossements seront ramenés en France sur le bateau Le Calédonien et reposent, depuis cette date, à Brest.

Il faudra attendre encore 70 ans avant de progresser dans la connaissance des circonstances exactes du drame, grâce aux techniques de plongée sous-marine mises au point au cours du XXème siècle.

 

1690 – 1943 : Petit précis d’archéologie sous-marine

A partir des années 60, ce ne sont plus des marins qui vont alors se lancer à la poursuite du « mystère Lapérouse » mais des plongeurs et des archéologues. Et pourquoi pas, direz-vous, des scaphandriers… ?

Je vois.

Tintin scaphandre et plongeurs

Vous imaginez déjà sans doute (comme moi !) un personnage affublé d’un énorme équipement, de lourds plombs de poitrine lui pendant au cou pour le lester, les pieds chaussés de semelles de plomb, un lourd casque solidement vissé sur la tête (avec une petite vitre ronde pour lui permettre de voir les jolis poissons). Vous l’imaginez relié par son tuyau d’arrivée d’air et une corde-guide au bateau, corde sur laquelle il tirera vivement pour donner l’alerte en cas de danger (ou de découverte d’une bouteille de vieux rhum de la Jamaïque !).

Et vous vous rappelez que, pour que le scaphandrier puisse respirer, sur le pont du navire (le Sirius ?) il faut, tels les Dupond (à moins que ce ne soient les Shadoks) « pomper » : tourner inlassablement une pompe insufflant de l’air sous pression dans la cloche (le casque) via un tuyau, comme dans les premières images du Grand bleu, de Luc Besson…

Alors, grâce à tout cet attirail, l’heureux aventurier-archéologue-scaphandrier-plongeur pourra arpenter le fond de la mer et, dans une myriade de bulles, découvrir soudain de ses yeux éblouis l’épave d’un navire échoué, recélant dans ses flancs (c’est certain) un trésor… Celui de Rackham le rouge, évidemment !

Oui, comme moi, vous imaginez assez bien ce genre de scène. Sauf que Le trésor de Rackham le rouge d’Hergé date de… 1944 et que, depuis, on a pas mal modernisé le matériel de plongée sous-marine. Voyons cela grâce à l'aide du vieux scaph', consultant bienveillant et précis embarqué sur cette chronique (merci Gérard).

La première exploration des fonds sous-marins, menée de façon systématique par un personnage illustre n’est pas, à proprement parler, l’œuvre d’un marin. Il est relaté sans aucune preuve historique que le Macédonien Alexandre le Grand (356 av. JC – 323 av. JC), certainement plus à l’aise à la tête de troupes terrestres qu’en capitaine de bateau, réalisa une opération de plongée sous-marine, enfermé dans une cloche de verre (emprisonnant un volume d’air suffisant pour 2 personnes) à environ – 10 ou 20 mètres.

Les expériences dans cette colympha s’étant déroulées en 322 av. JC, Gerard Loridon dit « Le vieux scaf’ » (voir son blog http://scaph-blog.over-blog.com) voit dans ces exercices, naturellement effectués sans aucun respect de paliers de décompression, une cause des troubles neurologiques qui affectèrent le jeune conquérant au printemps 323 av. JC (aphasie, fièvre) avant qu’il ne meure le 13 juin de cette année-là. D’autres incriminent les conséquences des… banquets et libations répétés, favorisant un accident vasculaire cérébral tandis que d’autres suggèrent plus classiquement les effets d’un empoisonnement. Peut-être les trois se sont-ils conjugués ?

Quoiqu’il en soit, il faut attendre 1690 (vingt siècles : comme si l’exploration du fonds des mers n’intéressait personne !) pour que l’Anglais Edmund Halley mette au point une cloche de plongée en bois, lestée de plomb, et « rechargeable » par des tonneaux d’air qu’on lui descend. Ce succès (l’appareil atteindra le record de 4 heures d’autonomie) est en fait une invention un peu périphérique pour Halley : on connait mieux ce personnage pour ses travaux astronomiques, tel le calcul de la périodicité de la comète qui portera son nom (76 ans).

Au passage (de la comète, ah ! ah !), notons qu’on le connait cependant moins bien pour sa théorie farfelue de la terre… creuse (notre planète contenant elle-même plusieurs planètes s’emboitant les unes dans les autres, telles des poupées russes) ! Bah, il faut un grain de folie à tous les génies.

Dans le sillage d’Halley, on essaie de perfectionner les découvertes de celui-ci : descendre, c’est bien, se déplacer c’est mieux. Ainsi, en 1715, le Français, garde de Marine, Pierre Rémy de Beauve invente-t-il un habit de plongeur : un corset en métal protège le plongeur contre la pression tandis que les jambes et les pieds sont lestés de plomb. Du lourd (il le faut), du costaud. Mais pour la liberté de mouvements, ce n’est pas l’idéal.

Je vous passe la litanie des inventeurs européens de tout poil du début du XIXème siècle, perfectionnant qui le casque, qui l’étanchéité, qui la légèreté, ajoutant des vitres, retirant des boulons, etc…Car le fond des recherches de tous ces chercheurs des profondeurs, fondamentalement, concernent le même thème : l’air, son transport et son stockage. L’objectif, c’est de rendre le « scaphandrier » (un mot imaginé en 1775 par l’abbé Jean-Baptiste de la Chapelle et qui signifie étymologiquement « l’homme-bateau », et non pas « l’homme-grenouille », comme on pourrait l’imaginer) autonome : libre de ses mouvements et non plus dépendant du bateau pour son alimentation en air.

Contre toute attente, ce n’est pas d’un spécialiste des mers mais d’un spécialiste des profondeurs… de la terre que vont venir les innovations majeures en matière d’exploration sous-marine. Benoit Rouquayrol est un ingénieur des mines, c’est un Aveyronnais (Préfecture : Rodez et sa très belle cathédrale), donc quelqu’un assez éloigné (au moins géographiquement) des questions maritimes.

 

Plongee (1)

Ses recherches, en fait, portent sur les questions relatives à l’oxygénation des mineurs : ceux-ci sont en effet victimes du monoxyde carbone mais aussi parfois bloqués par les effondrements de galerie dus aux « coups de grisou » (des explosions inopinées d’un gaz incolore et quasiment inodore, principalement composé de méthane). En 1864, en compagnie d’un militaire contraint à l’inactivité, le lieutenant de vaisseau Auguste Denayrouze, Rouquayrol conçoit et brevète le premier vrai « scaphandre autonome » : il s’agit de la combinaison d’un simple pince-nez et d’un embout qui relie la bouche à une réserve qui délivre l’air grâce aux inspirations et expirations du plongeur. Ce qui parait simple pour le néophyte est en fait l’aboutissement de plusieurs années de recherche sur la question de la régulation des gaz comprimés. L’année suivante, Rouquayrol invente un masque (peu commode) puis revient au bon vieux casque à boulons qui s’ajoute à l’embout buccal : présenté à l’Exposition Universelle de Paris de 1867, cet équipement obtient la médaille d’or et suscite l’intérêt d’un écrivain féru de progrès techniques : un dénommé Jules Verne, qui s’apprête à écrire un roman qu’il intitulera... Vingt mille lieues sous les mers.

En 1893, c’est encore un Français, Louis Boutan, qui fait les premières photographies sous-marines tandis que le capitaine de corvette Louis de Corlieu invente, lui, en 1914, les… palmes, qu’il fera breveter en 1933. L’invention du masque, pour sa part, semble chaotique et controversée mais, globalement, ce produit apparait durant les années 1930. Des lunettes, des palmes, un masque, une réserve d’air : il ne manque plus qu’un mécanisme (détendeur) permettant au plongeur d’inspirer de l’air à la demande.

Ce sera inventé en 1943 par Emile Gagnan, un ingénieur de l’entreprise Air Liquide : tout est alors en place pour que, en 1943, le célèbre (il ne l’est pas encore) Jacques-Yves Cousteau (le « commandant Cousteau » de notre enfance) fasse l’essai, concluant, du scaphandre que l’on appellera le Cousteau-Gagnan, d’où le nom du premier détendeur fabriqué et commercialisé en série par l’entreprise la Spirotechnique, le « CG 45 ». « L’homme-grenouille » est né. Ca se fête.

Et pour cela, la même année, le plongeur Frédéric Dumas connait la première « ivresse des profondeurs » (répertoriée) à 62 mètres de profondeurs !

Hips… Mais revenons sur nos récifs de l’île de Vanikoro...

 

1962 : Place aux archéologues

Vous vous souvenez que l’Irlandais Peter Dllon, en 1828, y avait localisé une épave, gisant sur un haut-fond de 4 mètres, au sud-ouest. Depuis lors, on avait cherché, sans succès, l’épave de l’autre navire. Celui-ci avait-il sombré et était-il tombé au fond de l’une des fosses, très profondes, qui entourent l’île ? C’était probable. Et pourtant…

C’est durant l’année 1962 qu’un plongeur néo-zélandais nommé Reece Discombe découvre la seconde épave de l’équipée de Lapérouse. Elle est en fait située sur le bord extérieur du récif corallien, à 1 km à l’est de la première mais à 15 mètres de profondeur.

Dès lors, on entrevoit ce qui s’est passé : en pleine tourmente, en 1788, les deux bateaux de l’expédition de Lapérouse tentent de trouver un passage à travers les récifs de Vanikoro pour s’abriter dans l’île. La violence de la tempête jette l’un sur la barrière de corail (celui que Discombe découvre en 1962), l’autre tente un passage plus à l’ouest et s’échoue dans la « fausse passe » (celui que Dillon découvre en 1828).

On va pouvoir commence à fouiller sérieusement.

  Lapérouse carte naufrage vanikoro

En 1964, le navire français La Dunkerquoise arrive sur place et des recherches archéologiques débutent. Discombe remonte divers petits objets. On pense alors que cette épave est celle de La Boussole, sans certitude encore. Si les deux épaves sont, en effet, correctement localisées (la « fausse passe » et la « faille »), on ignore cependant lequel des deux navires a coulé ici ou là…

Il faut attendre le début des années 80 pour que des recherches sérieuses et méthodiques se mettent en place. Ces recherches s’appuient sur trois acteurs qui vont obtenir des résultats déterminants (et dont on souhaiterait qu’ils s’organisassent plus souvent ainsi) :

- des particuliers (emmenés par un Néo-calédonien d’origine nantaise, Alain Conan, qui crée l’association « Salomon » en 1981) qui apportent leur enthousiasme, leur détermination et leur dévouement

- des mécènes (forcément « généreux » comme tous les mécènes dignes de ce nom) qui apportent des fonds (il en faut, et pas seulement des fonds… marins, ah ! ah !)

- l’Etat français (la Marine, le Ministère de la Culture, le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-marines, l’Institut de Recherche et de Développement et ses géomètres…)

Et il n’y a plus qu’à creuser.

Creuser, oui, car il n’y a aucune chance pour que, sur les pas de Tintin découvrant l’épave de La Licorne, un plongeur sous-marin puisse découvrir, par plusieurs mètres de fond, une épave de bois intacte depuis près de deux siècles….

Non, l’archéologue sous-marin est au contraire face à des vestiges difficiles à distinguer, que le travail des courants marins, le sel, la corrosion, la nature, en un mot, a fini par recouvrir d’algues, de plantes, de coraux, de coquillages et de crustacés. Et pour dégager tout cela, il faut se livrer à un travail extrêmement patient, minutieux, rigoureux et, hélas… brutal.

Il ne s’agit pas simplement de piocher pour essayer de déterrer un coffre ou une amphore. Il s’agit aussi de dégager des couches archéologiques successives de sédiments et donc, au final, procéder à leur destruction. Evidemment, on remonte aussi des objets et ça, c’est un rêve d’enfant qui s’accomplit pour les plongeurs…

 

1981 : « Salomon », les rois de l’exploration

En 1981, l’Association Salomon remonte ainsi de belles pièces de vaisselle, des paratonnerres en cuivre, des couverts en argent, des perles de verroterie et une marmite en cuivre (aucune bouteille de rhum, toutefois…) Tout cela est très encourageant mais certainement insuffisant : au vrai, les archéologues sont persuadés que, pour comprendre le drame, la partie se joue aussi… à terre.

On commence donc à effectuer des fouilles au lieu-dit « Païou », où les naufragés, selon la tradition orale, auraient établi leur camp et où de premières recherches, peu scrupuleuses, avaient par ailleurs été opérées par la marine anglaise vers 1920.

La tâche n’est pas aisée : la végétation luxuriante (qui pousse à une vitesse folle en raison de l’humidité permanente) a tout recouvert depuis longtemps. Le rivage lui-même a bougé, sous les actions conjuguées des forces telluriques (la région est très sismique), des courants fluviaux (on est là à l’embouchure d’une rivière) et de l’action de la mer (qui a inondé aujourd’hui vraisemblablement une partie des terres qui était à découvert à l’époque).

Alors, que reste-t-il du camp supposé des naufragés, lesquels ne devaient probablement pas avoir eu envie de construire là des bâtiments faits pour durer ? On l’ignore encore à ce moment.

En 1986, on découvre, enfin, à Païou, des traces de palissades. C’est un début.

Simultanément, en explorant la « faille » et la « fausse passe », on remonte des objets (autour de 500), des canons, des ancres et aussi des ossements humains (dont certains seront expédiés à Albi, ville natale de Lapérouse, et d’autres à Nouméa).

Lors de la troisième campagne de fouilles, en 1990, ce sont encore 600 vestiges qui sont retirés des fonds marins et qui attestent sans équivoque (s’il en restait) de l’identité des navires : notamment des pièces d’outils de calculs astronomiques, un compas ou encore une fourchette aux armes du capitaine de vaisseau Anne (on l’appelle « commandant » dans la marine, équivalent du grade de colonel) qui était embarqué sur La Boussole (le vaisseau commandé par Lapérouse lui-même).

En 1999, on remonte cette fois une fourchette aux armes de l’infortuné Fleuriot de Langle. C’est cette année-là qu’a lieu une nouvelle campagne de fouilles, essentiellement terrestres, à Païou : elles attestent de l’existence du camp des survivants grâce à la découverte de nombreux objets, certains scientifiques. Les indices, toutefois, sont minces et peu nombreux : une palissade, un pied (un instrument de mesure), des boutons d’uniformes… Pas de lieux de sépulture.

2003 voit s’ouvrir une nouvelle campagne de fouilles (on n’arrête pas !), avec de beaux résultats : armes, poulies, vaisselle, pièces de monnaie, sculpture… A ce moment, l’on croit être arrivé au bout de ce qui pouvait être raisonnablement découvert. Et pourtant, le temps fort le plus marquant des recherches archéologiques de l’expédition de Lapérouse est à venir…

Le 22 novembre 2003, explorant l’épave située sur la « faille » (le récif extérieur), le plongeur Jean-Pierre Folliard attaque à la barre à mine le beach-rock (un sédiment de plage consolidé par le calcaire, abondant dans les mers coralliennes). En dessous, il a la surprise de découvrir un fémur, puis un crâne puis, enfin, le squelette entier d’un individu.

C’est une découverte exceptionnelle : dans les naufrages, les corps sont en général emportés par les flots et la faune se charge de les faire disparaitre… Dans le cas présent, la dépouille de l’homme a été conservé car il n’était pas sur le pont : il était resté au fond du navire et avait été englouti avec celui-ci, définitivement prisonnier de l’épave qui l’a protégé de la voracité des prédateurs. Cet épisode rarissime est donc particulièrement extraordinaire pour les chercheurs.

Mais qui est cet homme ? Comment faire pour donner une identité à un squelette ?

 

2003 : Un inconnu à Vanikoro

Pour cela, il va falloir mener une véritable enquête policière, heureusement avec l’aide des moyens modernes que va fournir l’IRCGN, l’Institut de Recherches Criminelles de la Gendarmerie Nationale. Place aux « experts » : des vrais, des pros, pas ceux qui marchent en escarpins sur les lieux du crime pour y dégoter une allumette qu’ils fourrent dans un sac en plastique, si vous voyez le genre de séries télévisées étasuniennes dont je veux parler…

Pour aboutir à un résultat satisfaisant, il faut deux choses.

• Il faut d’abord savoir quel est le navire dont le squelette a été extrait.

Or, l’on n’est, en 2003, pas encore certain de savoir si c’est La Boussole (c’est cependant le plus probable) ou L’Astrolabe (c’est toutefois le moins plausible) qui s’est fracassé dans la « faille » extérieure. Quand on le saura, il faudra consulter les livres d’équipage conservés aux archives qui fournissent, eux, la liste des hommes embarqués (il y a peu de risque que certains soient passés d’un bord à l’autre en cours de route). Ces livres donnent par ailleurs des informations très utiles sur les matelots, officiers et autres passagers (date de naissance, etc…) qui vont permettre de rétrécir le champ des hypothèses.

Heureusement, les deux bateaux vont être définitivement identifiés en 2005 : un sextant estampillé « fait par le sieur Mercier » sera, cette année-là, remonté de l’épave de la « faille ». Et il s’agit d’un objet dont les archives indiquent clairement qu’il avait été embarqué à bord de… La Boussole.

Désormais, la chronologie du drame est établie. Le navire de tête, La Boussole, où se trouve Lapérouse, a tenté le premier de s’engager à travers les récifs (« la faille »). Il a sombré rapidement à l’extérieur de la barrière de corail, par des fonds assez profonds : on imagine mal que ces circonstances si violentes aient permis à d’éventuels rescapés de gagner l’île. Probablement Lapérouse et son équipage ont-ils tragiquement tous péris noyés.

L’Astrolabe, de son côté, a tenté un passage un peu plus à l’ouest en s’engageant dans une « fausse passe » (les marins ignoraient évidemment que, en réalité, Vanikoro s’aborde par de vraies passe situées… au nord-est) : il s’est partiellement échoué sur des hauts fonds. Ce sont ses survivants qui ont gagné la terre et construit le camp de Païou.

• Il faut ensuite (c’est le plus difficile, le plus long et le plus coûteux) analyser les ossements de l’individu découvert.

Est-il plutôt grand (= bien nourri et donc issu d’une classe sociale aisée) ou petit (par rapport à la moyenne de l’époque, évidemment) ? Son ossature est-elle intacte ou porte-t-elle la marque de travaux de force ? Quel âge a-t-il ? Ses dents sont-elles cariées, cassées ou usées ? Où a-t-il été trouvé exactement ? Etait-il entouré d’objets particuliers ?

L’analyse va durer plusieurs mois. Au final, il est établi que « l’inconnu de Vanikoro » comme on le surnomme :

- mesurait entre 1.65 m et 1.70 m, donc plutôt grand pour l’époque

- était plutôt mince voire gracile : il n’avait rien d’un costaud ou d’un trapu

- avait un squelette dépourvu de fracture ou de déformation : il n’exerçait vraisemblablement pas de métier manuel et / ou de force

- avait une dentition saine et bien entretenue mais… des dents étrangement usées

- a été retrouvé au fond du navire avec du matériel religieux autour de lui (ex. des flacons d’huile « sainte »)

- était âgé de plus de trente ans

 

Lapérouse inconnu Vanikoro

 

 Première conclusion : la physionomie ne penche pas pour l’identité d’un homme d’équipage. Ceux-ci, par ailleurs, étant vraisemblablement tous à la manœuvre sur le pont ainsi que les officiers, l’homme est sans doute un scientifique ou un religieux. Scientifique ou ecclésiastique, l’individu, inutile et terrorisé, serait logiquement resté dans sa cabine…

Etait-ce le chanoine Jean-André Mongez (puisque le père Receveur était mort à Botany bay, Australie, avant le départ vers Vanikoro) ? Nous l’allons voir.

Après ces premières estimations, l’IRCGN affine ses résultats : l’homme a plutôt, en fait, moins de trente ans. Exit, donc, la « candidature » du chanoine, âgé de 36 ans à l’époque (même si Alain Conan, de l’Association Salomon, défend pour sa part toujours cette hypothèse). Par ailleurs, les résultats de l’analyse scientifique indiquent que l’homme avait une tête plutôt « carrée » (par opposition à un visage allongé) et la carnation d’un roux…

Le filtre se resserre autour de trois ou quatre noms et, pour mieux cerner le candidat à l’identification, on fait appel à une spécialiste de la reconstitution des visages d’après des données anthropologiques : une « paléoanthropologue » (métier assez rare) du nom d’Elisabeth Daynes, qui va réaliser un émouvant moulage en cire, doté de cheveux, afin de « rencontrer » réellement l’« inconnu de Vanikoro »… Les esprits vont alors battre la campagne.

Les descendants authentiques de certains passagers de l’expédition de Lapérouse se manifestent, revendiquant l’appartenance à la lignée de l’ « inconnu » et arguant pour cela (avec le plus grand sérieux) de ressemblances avec le moulage de cire : comme si les traits de visage (nez, cheveux, etc…) s’étaient perpétués à travers les âges (deux siècles donc près d’une dizaine de générations, tout de même !). Etre le descendant de l’ « inconnu » apparait même comme un titre de gloire suffisant pour en inciter certains à faire de l’agitation médiatique et réclamer qu’on leur « rende » leur ancêtre !

A ce moment, je ne peux m’empêcher de songer aux prétendus descendants de Rackham le rouge qui, dans la BD éponyme d’Hergé, se réclament opportunément de la lignée du pirate pour réclamer une part du trésor… « Si il y a un Rackham dans le tas, dit l’irascible capitaine à Tintin pour le rassurer, ça se verra tout de suite… » Enfant, j’ai toujours jubilé à voir ce troupeau de faussaires intéressés reculer en désordre devant l’allure menaçante du capitaine Haddock qui leur rappelle que lui, pour sa part, descend authentiquement du chevalier François de Hadoque, et que celui-ci « tua jadis Rackham le rouge en combat singulier » !

Peut-être aurait-on pu faire monter les soi-disant descendants de l’ « inconnu » sur un bateau pour voir si, eux aussi, comme leur ancêtre supposé, auraient le pied marin ? L’idée n’est, semble-t-il, pas retenue par les scientifiques ni par la Gendarmerie…

Plus sérieusement, on se limite aux hypothèses rationnelles et aux déductions logiques.

Ainsi le « candidat » le plus souvent cité est Gaspard Duché de Vancy, dessinateur de figures et de paysages : on pense que, notamment l’usure des dents de l’« inconnu » est imputable à la manie de ce dessinateur de… mâchouiller ses crayons ! Pas absolument convaincant. Le site web « Mer et marine » indique, lui, que, surtout, il a été établi que Duché de Vancy était en fait sur L’Astrolabe, ce qui a écarté sa candidature : une information toutefois contredite par la propre brochure éditée par le Musée de la Marine à l’occasion de l’exposition Lapérouse de 2008 qui indique, au contraire, que Duché de Vancy était bien sur La Boussole… Bon, de toute façon, ce n’est apparemment pas lui.

On évoque aussi le nom de l’astronome Joseph Lepaute-Dagelet. Sans certitude.

Au final, le candidat le plus vraisemblable semble être, de l’avis général, le dénommé Jacques-Joseph Le Corre, « second chirurgien » sur La Boussole. Ce n’est pas non plus certain à 100 % mais il semble que la majorité des éléments convergent vers cet individu. Ainsi ses restes ont-ils finalement été ramenés à Brest et, le 20 juin 2011, ont-ils été inhumés sous un monument en forme de rose des vents, dans la cour du château. 

 

Lapérouse

Quelle que soit son identité, l’homme symbolise à lui seul le courage de tous les marins du monde et le drame de toute l’expédition de Lapérouse.

Et les autres ? Que devinrent les quelques survivants du naufrage ? Parvinrent-ils à quitter l’île ? Furent-ils massacrés, dévorés ? Sur leur sort, le mystère plane encore. Les thèses se contredisent et, en dépit des efforts menés lors de la huitième ( ! ) campagne de fouilles de 2008, aucun élément nouveau ni décisif n’a été jusqu’à présent été apporté, notamment sur l’hypothèse de l’existence de descendants de Lavaux, chirurgien de L’Astrolabe, en Nouvelle-Guinée. Peut-être, dans l’avenir, des recherches ADN apporteront quelque éclairage ?

Lapérouse et son équipage, de leur côté, vivent encore dans la mémoire collective. Cette chronique bien modeste entend donc rendre hommage à tous ceux : bénévoles, plongeurs, scientifiques, militaires, politiques, archéologues et historiens qui ont permis d’avoir, enfin, plus de deux siècles après son départ des « nouvelles de monsieur de Lapérouse ».

Bravo à tous et merci.

La Plume et le Rouleau © 2012 Tous droits réservés

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N
Merci beaucoup pour ce travail sur Lapérouse, sans aucun doute le plus complet et passionnant que j'ai lu.
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S
1000 mercis pour vos encouragements !
L
<br /> Excellent, passionant du début jusqu'à la fin<br /> <br /> <br /> Maintenant je connais tout sur le mystère Lapérouse<br /> <br /> <br /> Avant je connaissais des parties au fil et à mesures des relations télévisuelles dont j'ai tendance à me méfier<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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