Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1860 : L'étrange ROI DE PATAGONIE

Publié par La Plume et le Rouleau sur 18 Novembre 2002, 14:31pm

Catégories : #Histoires extraordinaires & énigmes

Mes Chers Amis,

La chronique historique d'aujourd'hui va, une fois de plus, vous entraîner sur une terre inattendue pour vous raconter une histoire inédite dont les prolongements se font encore sentir.

Inédite ? Au vrai, pas pour tout le monde… Ouvrons notre éphéméride : le 18 novembre 1860, un royaume était né. La veille, en effet, 17 novembre 1860, une étrange déclaration avait été faite par un personnage obscur, chef d’état autoproclamé d’un royaume absent de toutes les cartes de géographie politique, souverain de sujets qui ignoraient largement qu’ils l’étaient, cela dans un pays situés aux confins des terres civilisées et qui était quasiment inconnu de tous : une terre battue par les flots, refroidie par les vents, presque inhabitée et dont le nom évoque peut-être à certains d’entre vous de lointaines réminiscences d’injures du capitaine Haddock ou d’émissions télévisées : la « Patagonie ».

Les heureux lecteurs des Chroniques de la Plume et du Rouleau peuvent aujourd’hui lire le début de cette étrange déclaration de 66 articles :

« Nous, Prince Orélie-Antoine de Tounens,

Considérant que l’Araucanie ne dépend d’aucun autre État, qu’elle est divisée par tribus, et qu’un gouvernent central est réclamé par l’intérêt particulier aussi bien que par l’intérêt général, décrétons ce qui suit: (…)

CONSTITUTION

Par notre décret en date de ce jour, nous avons établi en Araucanie une monarchie constitutionnelle et décrété que le trône sur lequel nous sommes monté serait occupé, après notre mort, par nos descendants en ligne directe, et, à leur défaut, par des héritiers pris dans les autres branches de notre famille, selon un ordre ultérieurement fixé.

Les bases de la Constitution sont :

1º Un roi ou une reine selon l’ordre héréditaire ;

2º Des ministres, dépendant du roi seul ;

3º Un conseil du royaume, formé par des notabilités du pays ;

4º Un conseil d’État, rédigeant les projets de loi et les défendant devant le corps législatif (...)

Fait en Araucanie, le 17 novembre 1860. Signé : Orélie-Antoine 1er  "

Amis de l’aventure, de l’onirisme et de la littérature, amateurs de grands espaces vierges et d’idées folles, voici l’histoire étonnante et étrangement actuelle du dénommé Orélie-Antoine de Tounens, roi de… Patagonie !

Orélie-Antoine de Tounens est né le 12 mai 1825 au village de La Chèze, près de Tourtoirac, en Dordogne. ll est le septième d’une famille de neuf enfants (cinq garçons et quatre filles) et sa famille exploite une terre de 32 hectares. A l’issue d’études de droit, en 1847, il devient clerc dans une étude d'Avignon. En 1851, à l'âge de vingt-six ans, Orélie-Antoine fait l'acquisition d'une charge d'avoué à Périgueux. Une consécration pour ses efforts, un statut social méritoire pour un individu d’extraction modeste, Orélie-Antoine de Tounens semble avoir réussi dans une vie dont la suite semble tracée d’avance.

Et pourtant...

Et pourtant Orélie-Antoine poursuit d’autres rêves. En 1857, de façon inattendue, il vend sa charge d'avoué. Quelques mois plus tard, en juin 1858, il s’embarque pour l'Amérique du Sud ! Le 28 août 1858, il débarque à Coquimbo, au Chili. Son ambition est complètement folle : réunir en une grande confédération les républiques hispano-américaines dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle puis (rien de moins) offrir son alliance à Napoléon III ! Faire en quelque sorte pour l’Amérique du Sud ce que Garibaldi veut faire pour l’Italie, quoi. Le point de départ choisi : le territoire de la Patagonie. Où est-ce ?

La Patagonie couvre la partie orientale du continent sud-américain, du Río Negro (vers le 40e parallèle de latitude sud) jusqu'à la Terre de Feu, dont elle est séparée par le détroit de Magellan. Anciennement habitée par les Tehuelches (sur la façade atlantique) et par les Fuégiens (sur le versant pacifique) la Patagonie fut découverte au début du XVIe siècle, mais l'intérieur du territoire resta inexploré jusqu'au XIXe siècle. A l’époque d’Orélie-Antoine de Tounens, ce pays, divisé entre la Patagonie andine (climat humide et végétation abondante) et le plateau patagonien, à l'est, sec et pauvre, est peuplé de tribus indiennes qui résistent encore et toujours aux envahisseurs chilien et argentin.

De 1858 à 1860, installé au Chili, Tounens apprend à communiquer avec les diverses tribus indiennes et se familiarise avec la région patagonique. A la mi-1860, après une longue et périlleuse traversée, il débarque à Valdivia, port chilien de la côte Pacifique. Il a apporté avec lui des objets qui lui semblent les attributs indispensables à la souveraineté d’un état : un sceau, un sabre de cavalerie, deux drapeaux de son futur royaume, quelques exemplaires de la Constitution qu'il avait rédigée, des « pesos patagons » frappés spécialement à Paris ainsi que divers uniformes militaires.

Quelques mois plus tard, en novembre 1860, encouragé par l’adhésion à ses projets de plusieurs chefs de tribus locales « araucaniennes », il se proclame « Roi de l´Araucanie et de la Patagonie » et rédige la constitution du nouvel Etat. Il prend soin d’envoyer aux gouvernements chilien et argentin une demande officielle de reconnaissance internationale. Naturellement, ceux-ci ne prennent pas au sérieux les prétentions de ce monarque français autoproclamé… On regarde ce fantaisiste avec un air mi-amusé mi-perplexe : cet original n’est de toutes façons pas dangereux.

Mais l’homme agite des ambitions : il envisage de créer une ligne de vapeurs reliant la Patagonie à Bordeaux pour exploiter les nombreuses mines d’argent et d’étain dont il pense que le pays regorge. Pendant plusieurs mois, il conforte sa notoriété auprès des « sujets » de son royaume imaginaire et multiplie les correspondances avec la France pour informer ses concitoyens des développements locaux. Quoique dubitatifs et sarcastiques, « Le Périgord » mais aussi le très sérieux « Le Temps » (27 septembre 1861) publient ses messages.

A partir de là, alertées par les rumeurs d’un prochain soulèvement des tribus indiennes, les autorités chiliennes prennent peur et décident de mettre un terme aux agissements de l’hurluberlu. Le 5 janvier 1862, « Orélie-Antoine 1er » est arrêté par le lieutenant Villagran, de l'armée chilienne et emprisonné à Santiago. Accusé  d’être un dangereux agitateur révolutionnaire, il est en fait condamné, en septembre suivant, à être… interné tant le tribunal a l’impression d’être face à un déséquilibré.

Sur l'intervention du consul général de France au Chili, Cazotte, Orélie-Antoine de Tounens est alors remis à l'autorité française et, le 28 octobre 1862, il est embarqué de force à Valparaiso sur le navire Duguay-Trouin pour être expédié en retour vers la France. Ouste !

De retour au pays, Orélie-Antoine ne désarme cependant pas. Il entend se conduire comme un souverain en exil, spolié de son royaume et il poursuit son agitation à Paris : il publie ses « Mémoires » et un « Manifeste » visant à alerter l’opinion publique et à attirer l’attention du gouvernement français sur ses projets de restauration et de colonisation. En mars 1864, il  lance un « Appel à la Nation française » et ouvre une souscription nationale qui ne lui rapporte rien. Sa famille doit régler ses dettes. Ses appels aux députés, au ministre des Affaires étrangères et à l'Empereur Napoléon III demeurent sans réponse.

Au bout de 7 ans, Orélie-Antoine 1er  décide de repartir en Patagonie, nous sommes en 1869. Il reprend le bateau et se lance, sur place, dans un périple dangereux à travers la Cordillère des Andes, dans régions désertiques de la Patagonie, peuplées de tribus belliqueuses pour arriver enfin en Araucanie.

La région est en pleine effervescence : rebellions de tribus et répression gouvernementale alternent. Pour le gouvernement chilien, c’est sûr, Orélie est le véritable instigateur de ces troubles : on apprend qu’il est de retour, sa tête est maintenant mise à prix ! Le Français rebrousse prudemment chemin. En 1871, il est de retour en Europe.

Pas pour longtemps, car au bout de trois ans, il revient en Argentine sous une fausse identité (« Jean Pratt ») et un déguisement. L’aventure tourne cependant court, rapidement démasqué, il est de nouveau emprisonné. Devant la gravité de la situation, il rédige son testament et règle la question de la succession au trône ! Le 31 octobre 1874, sur une (nouvelle) intervention des autorités consulaires françaises, les autorités argentines rendent la liberté au remuant « roi d'Araucanie » qui est expulsé encore une fois vers la France..

Malgré ces échecs répétés, Orélie-Antoine continue son combat : il fait campagne dans les journaux provinciaux et parisiens et organise une cour en exil, avec un drapeau (vert, bleu et blanc), un sceau et une monnaie.

Et en 1876, l’increvable monarque sans royaume est encore de retour en Amérique du Sud ! C’est une nouvelle fois la prison qui l’attend en Argentine et la maladie, grave, qui le frappe.

Ce sera donc son dernier voyage. Revenu en France au début de 1877, il va se retirer définitivement dans son village natal de Dordogne.

Cette incroyable aventure va tomber dans l'oubli jusqu'aux années 1950 où l’écrivain Saint-Loup, de son vrai nom Marc Augier, séduit par ce « conquistador à la française », ce « Cyrano de Tourtoirac », rédige son livre : le « Roi Blanc des Patagons » et que l'écrivain Jean Raspail, dans son ouvrage « Moi, Orélie-Antoine 1er, roi de Patagonie » ne lui donne la notoriété qui débouchera sur un téléfilm dans les années 80. 

Ainsi que nous le dit François Tulli, l’un des porte-drapeaux d’une étrange confrérie actuelle de « Patagons » : « Antoine de Tounens est mort le 17 septembre 1878 à Tourtoirac, ruiné, oublié de tous, dans la seule compagnie de ses décrets royaux, de ses étendards et des ordres qu'il avait fondés. Et il ne reste rien - ou presque rien - de cet unique et mythique roi qu'ait connu la Patagonie ».

Car il reste quand même un « presque rien ».

Quelques individus ont décidé de se réunir pour maintenir vivant l’héritage et la mémoire de ce roi sans sujets, conquérant sans moyen, forcément battu d’avance et souverain imaginaire d’une contrée qui porta ses rêves avortés de gloire pacifique. Cette association informelle, animée par l’écrivain Jean Raspail, autoproclamé (lui aussi !) « consul général du Royaume de Patagonie » se livre ainsi à diverses manifestations : journal, communiqués de presse et cérémonies diverses plus ou moins iconoclaste, telle l’ « invasion » pacifique récente au nom du « Royaume Patagon » et durant 24 heures de la petite île des Minquiers, située non loin de Jersey et appartenant à... l’Angleterre. Ces activités constituent pour ses membres une sorte d'espace de résistance qu'un journaliste a joliment situé " au sud de l'humour anglais et au nord de la poésie ".

Aussi l’ombre d’Orélie-Antoine 1er, roi de Patagonie, infatigable, erre-t-elle toujours parmi nous et le petit cimetière du village de Tourtoirac reçoit-il parfois la visite d'étranges pèlerins qui déposent des fleurs bleues, blanches et vertes sur une tombe dont l'épitaphe est de plus en plus difficile à lire. Quelque part, le souffle de l’enthousiasme d’Orélie-Antoine de Tounens anime toujours ceux qui, égarés dans le matérialisme du monde moderne, cherchent l’improbable terre qui accueillera leurs rêves de liberté.

Bonne journée à tous.

La Plume et le Rouleau © 2002 

Envie de (re)découvrit d'autres souverains inconnus ou farfelus ? Allez à la rencontre du roi du Brésil ou de l'empereur du Mexique !  Et si vous voulez découvrir Buenos-Aires, les expatriés vous accueilleront.

Et pour d'autres mystères et secrets, lisez La cinquième nouvelle...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
I wonder if the strange facts associated with the King is true. You cannot have any reason to believe that such a constitution was followed in that period. I like to believe that these are all hypes and it has to be dealt with genuine evidences.
Répondre
S
Please check these information by yourself. Then you will discover that some strange events happen that are not pretty known by the simple man in the street.
C
Post-Nice. Merci.
Répondre

Archives

Articles récents