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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1970 : La GRANDE MURAILLE de Chine, monument sans pareil

Publié par La Plume et le Rouleau sur 10 Octobre 2003, 15:55pm

Catégories : #Civilisation - vie politique - société

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,
 
Penchons-nous sur notre éphéméride historique dans le cadre de nos divagations historico-littéraires et électroniques habituelles… Le 10 novembre 1970 : la Grande Muraille de Chine était réouverte par les autorités politiques au tourisme international. 
Cette décision apparemment banale pourrait sembler anodine si elle ne coïncidait pas avec le succès récent de l’astronautique chinoise : en 2003, en effet, un « taïkonaute » de l’Empire du Milieu gravitait dans l’espace. Un triomphe acclamé par une population qui sent que son pays, enfin sorti du sous-développement où l’ont enfoncé des siècles de confucianisme, une exploitation coloniale sans vergogne et 50 ans de communisme, s’apprête à être, n’en doutons pas, LA puissance économique, militaire et politique du XXIème siècle grâce à son formidable réservoir humain, son dynamisme entrepreneurial, sa rapide acquisition de toutes les technologies et sa discipline de fer au service d’une volonté enracinée dans le long terme.
 
Et au retour du héros, le lieutenant-colonel Yang Liwei, 38 ans, des journalistes ont posé à celui-ci, on s’en serait douté, la question suivante : « L’avez-vous vue depuis l’espace ? ». Quoi ? La Grande Muraille de Chine. Question de béotien que nous analyserons en fin de chronique et à laquelle nous découvrirons, tout-à-l’heure, la réponse…
 
C’est donc l’occasion pour ces chroniques de se pencher sur cet étonnant ouvrage de 6 000 kms qui surprend tous les voyageurs et suscite l’étonnement depuis de nombreux siècles. L’occasion aussi de nous intéresser, trop brièvement, à ce pays-continent avec autre chose que les habituels poncifs des occidentaux de base et de mettre son histoire (qui nous semble éloignée sur le plan géographique comme temporel) en perspective avec la nôtre… Je vous convie donc à une découverte (bien modeste) d’un morceau (au propre et au figuré) du Céleste Empire.
 
La civilisation chinoise débute il y a 4 000 ans dans le bassin du fleuve Jaune. A cette époque, l’Egypte de Ramsès II est à son apogée et l’Europe n’est quasiment pas peuplée. Deux groupes de populations vont se confronter dans la région. Les pasteurs, fermiers et agriculteurs (futurs « Chinois ») cherchent la sédentarisation et commencent à interdire le passage sur leurs terres des populations septentrionales nomades, de souche toungouse, mongole et turque qui, elles, se déplacent au gré des transhumances de leur cheptel ovin, bovin ou équin.
 
Entre - 403 et – 221 se situent la période dite des « royaumes combattants » : la Chine forme une mosaïque d’états indépendants et rivaux, constamment en guerre entre eux. A cette date, la civilisation égyptienne est moribonde tandis que la culture grecque et l’influence de l’Athènes des philosophes est à son zénith. L’Europe de l’ouest commence à se peupler de tribus celtes et gauloises qui ignorent l’alphabet (mais connaissent la cervoise et le tonneau, c’est déjà ça !).
 
Dans ce contexte de guerres incessantes, les seigneurs chinois construisent un grand nombre de murs, palissades et remparts pour à la fois protéger leur frontière septentrionale des incursions nomades et en même temps marquer les frontières entre les différents fiefs. La ligne de défense est toutefois très imparfaite et ne permet pas de séparer de façon étanche une Chine brillante et civilisée et des steppes arides et incultes sillonnées par des barbares analphabètes. Les fortifications ne sont pas continues et permettent de nombreux échanges commerciaux et économiques.
 
La période d’anarchie que traverse la Chine va prendre fin par l’émergence d’un souverain capital pour l’histoire du pays, une sorte de Charlemagne chinois qui va prendre le pouvoir : un nommé Qin Shi huangdi « Le premier auguste empereur Qin » (pour ceux d’entre vous qui ne parlent pas mandarin). C’est lui qui va unifier le pays et créer réellement l’Empire du Milieu en - 221.
 
La Chine, à cette époque, est (déjà) en pleine expansion : depuis 3 siècles on sait fondre le fer, ce qui permet de produire des outils agricoles et des armes robustes et en grande quantité. Le développement économique s’est intensifié, les surfaces cultivées se sont étendues, la population a crû et, en même temps que naissaient des classes sociales intermédiaires (marchands, négociants) qui utilisent une monnaie, une administration civile et militaire s’est structurée. 
De tout cela, Qin Shi huangdi va tirer parti pour organiser son empire et réaliser son grand dessein : mettre rapidement le pays à l’abri de la menace barbare du nord par l’édification d’une vaste muraille gardée par une armée particulièrement organisée et apte à intervenir sur toute sa longueur. Ce colossal ouvrage va partiellement utiliser l’existant : Qin Shi huangdi fait relever certains remparts, utilise les murs déjà érigés, consolide certains pans et détruit, pour les réutiliser ailleurs, les murs qui cloisonnaient les anciens petits royaumes.
 
Objectif : aller de Shanhai (près de la mer, au nord-est de Pékin, ville elle-même située au nord-est de la Chine) jusqu’au centre du pays selon une ligne qui épouse approximativement les contours des frontières de l’actuelle Mongolie extérieure (mais située environ 400 kms au-dedans). Longueur totale : 5 500 kms. L’exploit est réalisé grâce à la mobilisation de 300 000 soldats, à la réquisition de 500 000 paysans et de centaines de milliers de travailleurs forcés employés sur des chantiers gigantesques.
 
Sur des lieues à la ronde, on rase les forêts pour se procurer le bois nécessaire aux travaux et pour dégager l’horizon. On trace aussi des routes de toute pièces pour acheminer le matériel et les pierres (extraites localement de centaines de carrières que l’on entreprend d’exploiter). On bâtit enfin de véritables villes et villages pour y loger les hommes et les chevaux et installer des ateliers (ferronnerie, charpente, auberges, étables, garnisons…). Les ouvriers travaillent dans des conditions épouvantables, sous le soleil torride des déserts arides de l’Ouest et durant les hivers rigoureux des montagnes de l’Est. Des dizaines de milliers succombent à la tâche.
 
Suivre la ligne de crêtes, renforcer les défenses au passage des défilés et contrôler les méandres des fleuves, utiliser au maximum le terrain seront les règles d’or des ingénieurs : un effort titanesque quand on sait qu’entre le point le plus bas (près de la mer à l’est) et le point le plus haut (la passe de Jiayu) il y a jusqu’à 2 000 mètres de dénivelé.
 
Et ces travaux pharaoniques vont être réalisés dans une durée record : 12 ans seulement. 
A partir de là, à l’abri des incursions barbares, la civilisation chinoise va prospérer brillamment. Rappelons que l’apogée de l’Empire Romain, avec Auguste, se situe juste un peu avant la naissance du Christ et que, au Vème siècle, l’Empire s’écroule sous le double poids de sa décadence et des invasions barbares. L’occident désormais chrétien mettra près de 5 siècles à se restructurer et se réorganiser (Clovis : 496, Charlemagne, 800 et Hugues Capet : 987). En parallèle, l’histoire chinoise (fort dense) va se dérouler au gré des différentes dynasties qui vont se succéder jusqu’au XIIIème siècle, une rupture pour le pays.
 
Au XIIIème siècle, en effet, les Mongols conquièrent le pouvoir. Ils le garderont un siècle environ : à partir de 1368 a lieu une reconquête nationale. Les Mongols sont refoulés et la dynastie Ming s’installent.
 
Ce sont les Ming qui vont porter la Grande Muraille à son plus haut degré de sophistication et son fonctionnement. L’ouvrage est consolidé et prolongé de 500 kms vers l’ouest. La Muraille atteint désormais 12 000 li = 6 000 kms jusqu’au désert de Gobi. On installe des fours à intervalles réguliers pour réparer ou améliorer la construction avec des briques transportées à l’aide de brouettes, palanches (double panier suspendu à un balancier porté sur l’épaule) ou dos de chèvres. On revêt les murs de dalles et l’on comble les interstices. La base de la Muraille est désormais large d’environ 10 mètres et son sommet (là on l’on circule) un peu moins, ce qui donne à la fortification une forme trapézoïdale.
 
A de nombreux endroits, la muraille se dédouble ou se ramifie en fonction des impératifs stratégiques. Elle est pourvue de créneaux pour les archers et de rigoles de drainage pour l’évacuation de l’eau. Les tours jalonnent la Muraille et culminent à 12 mètres de haut près de Pékin. On communique entre elles par signaux optiques (drapeaux ou fumées) ou sonores (tambours). Une information importante peut ainsi parcourir 500 kms en quelques heures, par exemple afin d’acheminer des troupes (en certains points, le chemin de ronde peut permettre la circulation de front de 10 hommes ou de 5 chevaux). Sous les Ming, un million (!) de soldats sont affectés à la garde de la forteresse, répartis en des centaines de points de garnison. Tout passage de cette fortification qui sépare la Chine des villes et des campagnes de l’espace est scrupuleusement répertorié car, moins que les charges désordonnées de cavaliers nomades armées de flèches, l’on craint surtout une trahison permettant à l’ennemi de s’infiltrer.          
 
Rempart de pierres, la Muraille est toutefois aussi une route commerciale le long de laquelle, en toute sécurité, le commerce peut prospérer et se développer vers l’intérieur de l’Empire. 
Abandonnée aux rigueurs des intempéries après les Ming (1644), démantelée dans certaines portions (parfois par des paysans en recherche de matériau pour l’urbanisme local), la Muraille offre aujourd’hui une physionomie discontinue : certains pans ayant été émiettés par le vent ou ayant disparu dans les sables. Certains tronçons, en revanche, ayant été restaurés afin d’assurer un attrait touristique et de renforcer le sentiment national de fierté envers la « Chang cheng » (Grande Muraille) qui reste le symbole du pays.
 
Alors, pour clore cette chronqiue, il convient de tordre le cou définitivement à ce qui relève de la légende et, surtout, d’un galvaudage d’une pseudo-culture générale de café du commerce. Vous l’avez tous entendu dire : LA MURAILLE DE CHINE SERAIT LE SEUL UVRAGE VISIBLE DE LA LUNE. Or Yang Liwei, le « taïkonaute » d’octobre 2003 a répondu : « non » à la question qui lui était posée de savoir s’il avait vu la Muraille de là-haut. Pourquoi ?
 
Parce que cette assertion, maintes fois lue, relue, affirmée sans preuve, repose sur une incompréhension de la problématique de l’étonnant ouvrage architectural dont nous venons de parler.
 
Un minimum de bons sens s’impose d’abord : la muraille est un ouvrage certes long. Mais il est peu large à la base : dix mètres au plus, on l’a vu (et 7 mètres dans la région de Pékin, la mieux conservée). Si l’on y réfléchit, une simple autoroute à 2 X 3 voies est déjà beaucoup plus imposante (15 à 20 mètres). Or a-t-on jamais entendu dire que l’A6, l’A7 ou l’A86 était visible de la Lune ?… Evidemment non !
 
En réalité, la caractéristique de la Grande Muraille de Chine est ailleurs : c’est le seul ouvrage humain qui, en raison de sa dimension et du fait que sa superficie s’étale sur une SI GRANDE SURFACE de la courbure de la Terre, NE PEUT être observé dans sa totalité DEPUIS un point situé SUR la terre. L’originalité de la Muraille est telle que même un avion à moyenne altitude ne peut permettre à son pilote de la voir dans sa globalité. La muraille ne peut être donc embrassée dans son ensemble que depuis un point situé EN DEHORS de la Terre : en pratique, dans l’espace, éventuellement depuis la Lune, mais c'est peu probable… Car là, en raison de sa largeur modeste, on ne peut la distinguer à l’oeil nu.
 
Les ouvrages sérieux (les seuls auxquels se réfère votre serviteur, vous vous en doutez…) l’expliquent clairement mais beaucoup de nos contemporains continuent à raconter n’importe quoi à partir d’une information mal comprise.
 
Il est vrai qu’entre les cuistres et les lecteurs des chroniques de la Plume et du Rouleau, il existera toujours, pour de bon, une VRAIE muraille de Chine.
 
Bonne journée à toutes et à tous.

La Plume et le Rouleau © 2003

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