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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1905 : L'INVENTION DE LA LAÏCITE A LA FRANCAISE (1)

Publié par La Plume et le Rouleau sur 1 Mai 2008, 00:15am

Catégories : #Civilisation - vie politique - société

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,


Plus que jamais : nous voici en plein cœur de ce qui constitue le fondement, la raison d’être, l’âme, même, des chroniques de la Plume et du Rouleau : la mise en perspective de l’actualité la plus brûlante avec un passé déjà vaguement oublié afin de comprendre comment l’une puise entièrement ses racines dans l’autre. Nous allons en effet parler aujourd’hui d’un sujet totalement immédiat et très polémique : la LAÏCITE « à la française », dont on peut dater la fondation de l’année 1905, année de la « séparation de l’Eglise et de l’Etat ».


A propos de la laïcité, le débat s’est en effet rouvert avec une vigueur inattendue en 2008 à la suite de discours prononcés fin 2007 et début 2008 par le Président de la république Nicolas Sarkozy au Vatican puis en Arabie Saoudite. Depuis lors, il n’est pas une émission télévisée durant laquelle hommes politiques, philosophes, sociologues, historiens, journalistes, ecclésiastiques et « intellectuels » en tous genres ne débattent de la laïcité avec passion. Le débat se poursuit par ailleurs sur la Toile entre les internautes et le blog du journal Le Monde est un exemple frappant de l’intensité de l’attention que porte le bon peuple à cette question...


« LAÏCITE » : ce mot et son sens sont typiquement français. L’Anglais ne connait guère que « secularity » et l’Allemand « weltliche Character » dont la conception est différente. Il nous faut, pour nous faire comprendre, parler des Mexicains ou à des Turcs qui, eux, savent ce que recouvrent leurs propres termes : « laicidad » et « laiklik ».


Eclairons donc une nouvelle fois le présent à l’aide de la lanterne du passé  Et, d’abord, retrouvons-nous le 20 décembre 2007 (ce n’est tout de même pas si lointain). Ce jour-là, le Président de la république française, Nicolas Sarkozy, est en voyage officiel pour la deuxième journée consécutive dans l’état du Vatican. Le Vatican est le plus petit état du monde (0,44 km2) et il est gouverné selon le régime politique rarissime dit de la « théocratie » (le seul autre exemple est l’Iran). La veille, Nicolas Sarkozy s’est recueilli de façon inattendue sur la tombe du pape Jean-Paul II : qu’un président de la république se recueille sur la tombe d’un pape lors d’un voyage officiel est déjà particulièrement étonnant (je peine à trouver un précédent). 

Mais ce n’est qu’un début.

Car, le 20 décembre 2007, Nicolas Sarkozy adresse un discours à l’assemblée des cardinaux catholiques. Il reçoit en effet à cette occasion le titre de « Chanoine d’honneur de la cathédrale de Saint-Jean de Latran ». Il s’agit d’une distinction purement honorifique (heureusement !) octroyée à tous les chefs d’état français (rois, empereurs, présidents…) depuis… le bon roi Henri IV (1589-1610). Comme le fait remarquer le président avec une pertinence rare et une sobriété qui se passe de commentaire : « ce n’est pas rien, tout de même. » Et pour le soutenir moralement, Nicolas Sarkozy s’est fait accompagner (notamment) de Jean-Claude Gaudin (maire de Marseille qui fut autrefois professeur d’allemand dans un collège dirigée par l’étrange Opus Dei), de l’historien socialo-marxisto-repenti Max Gallo et du désopilant humoriste Jean-Marie Bigard. Que du beau monde à la crédibilité incontestable…

NICOLAS SARKOZY : L’HOMME QUI MURMURAIT A L’OREILLE DES CARDINAUX 

Là, notre président gratifie les ventripotents prélats d’un véritable discours « de rupture » (c’est sa spécialité) à la fois décousu et dans des termes absolument inattendus. Nicolas Sarkozy adopte de nouveau le style bien rodé qui est le sien (mais qui est désormais bien connu des électeurs…) et qui consiste à mettre ses auditeurs dans des dispositions favorables à son égard en prononçant les mots qu’ils attendent : « le pouvoir d’achat » pour les classes populaires, « le dernier rempart » pour les militaires, « le grand pays de la liberté » pour les Américains, « J’aime les Anglais… » devant la presse britannique, etc… Au Vatican, il emploie la même technique.
 

Nicolas Sarkozy salue d’abord avec emphase le « moment d’émotion et de grand intérêt » qu’a été l’entrevue de la veille avec le souverain pontife Benoît XVI. A cette occasion, il a d’ailleurs offert (entre autres) au pape son livre écrit en 2004 en collaboration avec le père dominicain Philippe Verdin et le philosophe Thibaud Collin, La République, les Religions, l'Espérance (Cerf).
 

Il insiste à cette occasion sur la convergence de ses vues avec le pape: « Je partage l’avis du Pape quand il considère (…) que l’espérance est l’une des questions les plus importantes de notre temps ». Le Président de la république manifeste aussi combien il a « été sensible aux prières que Benoît XVI a bien voulu offrir pour la France ». Pour parler publiquement de « prière », il n’y a aujourd’hui comme chef d’état que l’américain George W. Bush, lequel prie ostensiblement avant chaque Conseil des ministres pour la réussite de sa politique et aussi en faveur des victimes après les nombreuses fusillades sur les campus…


Puis, Nicolas Sarkozy se lance dans une autocélébration patriotique en rappelant que « la France a apporté au rayonnement du christianisme une contribution exceptionnelle », déroulant à ce propos une impressionnante litanie de près de 25 noms de rois, de saintes et de saints, d’artistes et d’écrivains, tous français. Il salue aussi « la contribution à l’action caritative et à la défense des droits de l’homme et de la dignité humaine » de différentes congrégations (françaises) lesquelles « consolent leur prochain ».


Puis Nicolas Sarkozy rend hommage aux français membres de la Curie et en saluent même nominativement certains d’entre eux (les cardinaux Etchegaray, Poupard et Tauran). Complicité entre compatriotes oblige : Nicolas Sarkozy fait cela à chaque déplacement à l’étranger. Il les flatte d’ailleurs sans vergogne en leur disant « l’importance qu’il attache à ce qu’ils font et à ce qu’ils sont » et en affirmant : « vous créez de l’espérance » !


Mais Nicolas Sarkozy ne s’arrête pas là : il leur tend une perche pleine d’empathie en se mettant à leur place… Il leur affirme qu’il « mesure leurs sacrifices » et sait « que leur quotidien est parfois traversé par le découragement, la solitude ou le doute ». Mais il se veut rassurant et compréhensif car il précise que « nous avons quelque chose en commun, la vocation (…) Je comprends que vous vous soyez sentis appelés (…) Je comprends les sacrifices que vous avez fait pour répondre à votre vocation parce que moi-même je sais ce que j’ai fait pour réaliser la mienne ».


Nicolas Sarkozy se considère à l’évidence comme un mystique de la république à la mission quasi-immanente (l’abstinence en moins, sans doute…)

NICOLAS SARKOZY : UN PRESIDENT A L’ÂME DE TÉLÉVANGELISTE

Il ne s’agit jusque-là, du « Sarkozy » bien connu, avec cette capacité à enfoncer sans relâche des portes ouvertes et  à séduire tous ceux qu’il rencontre, même s’ils ne seront jamais ses électeurs. Rien d’inédit dans le style, donc, mais, déjà, beaucoup d’interrogations sur le fond. C’est alors que Nicolas Sarkozy, ne s’en tenant pas là, s’engage sur un terrain imprévu. Nicolas Sarkozy s’emballe. Par un raccourci saisissant à la pertinence historique douteuse, il affirme que « la laïcité a tenté de couper la France de ses racines chrétiennes » et assène sèchement : « elle n’aurait pas dû ! ».
 

Avec une virulence telle qu’on le croirait maintenant monté en chaire pour un sermon vigoureux en faveur de l’ascétisme et du renoncement, il fustige « la frénésie de consommation » et « l’accumulation des biens » de « nos sociétés modernes ».

Il concède certes que « fonder une famille, contribuer à la recherche scientifique, enseigner, se battre pour des idées (…) diriger un pays, cela peut donner du sens à une vie… »  Mais il tempère : cela « ne répond pas pour autant aux questions fondamentales de l’être humain sur le sens de la vie et le mystère de la mort ».


Et Nicolas Sarkozy conclut par cette phrase qui glace le sang de tous les républicains formés à l’esprit des Lumières : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur (…) parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie » !


Ce président, décidément, ne cesse de surprendre… Et de nous surprendre jusqu’au bout car, à la fin de sa tirade vaticane, Nicolas Sarkozy appelle de ses vœux l’avènement d’un concept inédit : la « laïcité positive » (sorte de déclinaison religieuse de la « discrimination positive » sociale qu’il affectionne et qu’il met en pratique) qui « ne considère(rait) pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout » …


C’est fini. C’est tout. Mais c’est déjà beaucoup trop.
 

Au retour du président dans la Mère patrie, la polémique se déchaîne en effet. Une soixantaine de syndicats d'enseignants, d’étudiants et d'associations ainsi que les francs-maçons du Grand Orient (GODF) dénoncent des « déclarations mêlant convictions personnelles et fonction présidentielle ». François Bayrou, président du MoDem (Mouvement Démocratique, centriste) et catholique pratiquant, dénonce le retour à l’utilisation de la religion comme « opium du peuple » (l’expression est de Karl Marx). Le Parti Socialiste, lui, s’alarme de « la remise en cause de cette grande loi républicaine »…. Dans la majorité elle-même, c’est le malaise et les ministres, sollicités de toutes parts, peinent à justifier, éclairer ou développer les propos d’un président, propos qui désarçonnent jusqu’à ses fidèles.


NICOLAS SARKOZY : FOSSOYEUR DE LA LAÏCITE OU REDEMPTEUR D’UNE SOCIETE EGAREE ?

Et l’inquiétude grandit car Nicolas Sarkozy enchaîne les provocations sur le thème religieux. Le 14 janvier 2008, en visite à Ryad (Arabie Saoudite) et devant le Parlement consultatif (« Majlis »), Nicolas Sarkozy exalte « Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect. ». Il enfonce enfin le clou (de la crucifixion de la laïcité !) quelques jours plus tard lors de la convention de l'UMP sur l'Europe. Il y qualifie « d'erreur » le refus, notamment de la France, alors dirigée par Jacques Chirac, d'intégrer au projet de Constitution européenne une référence aux racines chrétiennes de l'Europe.


Cette insistance de Nicolas Sarkozy à vouloir inscrire le fait religieux dans la vie publique est en rupture complète avec la tradition laïque française établie maintenant depuis un siècle et qui confine, au contraire, la religion à la sphère privée. Une tradition récente et que peu de pays partagent. Nicolas Sarkozy met-il aujourd’hui ses fonctions au service de sa foi ou simplement ses pas dans ceux, pragmatiques, de Napoléon Bonaparte ? Sa démarche procède-t-elle de celle d’un croyant ou de celle d’un homme politique ? Lui qui prétend ne pas vouloir « modifier les grands équilibres de la loi de 1905 » s’inscrit-il pourtant en rupture ou dans la continuité avec celle-ci ?


Nicolas Sarkozy est sommé de s’expliquer et se renie (« déjà ! » diront certains…) partiellement deux mois plus tard, le mercredi 13 février 2008 à l'occasion du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Il se défend : « Jamais je n'ai dit que l'instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l'imam pour transmettre des valeurs, ce dont ils témoignent n'est tout simplement pas la même chose ». Et il tente de rassurer ses auditeurs : « Personne ne veut remettre en cause la laïcité. Personne ne veut abîmer ce trésor trop précieux qu'est la neutralité de l'Etat, le respect de toutes les croyances, comme celui de la non-croyance, la liberté de pratiquer comme celle d'être athée » dit-il. Et il amende sérieusement son imprudent discours du 20 décembre 2007 : « Ma conviction est qu'elles (religion et raison) sont complémentaires et que, quand il est difficile de discerner le bien et le mal, ce qui somme toute n'est pas si fréquent, il est bon de s'inspirer de l'une comme de l'autre », ajoute-t-il.


Nicolas Sarkozy a réussi à se rasseoir sur le couvercle de la cocotte-minute qu’il avait imprudemment ouverte...

Replongeons-nous dans le passé pour voir ce qui y cuit depuis près de 1 500 ans..

« C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l’Eglise. (…) Tout au long de son histoire, les souverains français ont eu l’occasion de manifester la profondeur de l’attachement qui les liait à l’Eglise et aux successeurs de Pierre »  (Nicolas Sarkozy, discours de Latran, 20 décembre 2007).


VEME SIECLE : ROME ET LES INVASIONS BARBARES, L’EMPIRE ECLATE


L’histoire du christianisme en Gaule commence en fait en 312 ap. JC avec la conversion personnelle de l’empereur romain Constantin à cette religion (il attribue au dieu des Chrétiens la victoire militaire remporté sur son rival pour le trône, Maxence). Ce faisant, il affirme donc que son pouvoir lui vient du Ciel. La religion chrétienne, depuis plus d’un siècle, avait de toute façon déjà gagné les élites de l’Empire tandis que le polythéisme était resté majoritairement la religion du petit peuple.


Les invasions barbares du Vème siècle et l’écroulement de l’empire romain mettent un terme temporaire au processus de christianisation de la Gaule. Toutefois, malgré l’écroulement de l’autorité politique romaine et l’arrivée de tribus qui pratiquent le polythéisme, le christianisme va réussir à survivre. Par son maillage serré de paroisses et d’évêchés qui, in fine, en réfèrent à une autorité suprême située à Rome, le pape, le christianisme a le mérite d’être structuré, hiérarchisé, discipliné et cohérent : des qualités auxquelles un souverain intelligent doté d’une vaste vision politique ne peut qu’être sensible. D’autant que, là encore, le christianisme, par sa profondeur intellectuelle, l’universalité de son enseignement et la richesse de sa réflexion séduit les élites « barbares », désireuses de se « romaniser ».


Rapidement, les évêques nouent des contacts avec les chefs guerriers. Ainsi « Saint » Rémi, évêque de Reims, félicite-t-il ainsi le jeune souverain Franc « Salien » Clovis (15 ans) en 481 lorsque celui-ci monte sur le trône pour succéder à son père Childéric. Il en profite pour lui donner quelques conseils de type politique sur la façon d’administrer « chrétiennement » son peuple, il lui conseille notamment de se référer (évidemment) à l’opinion des évêques locaux et glisse habilement à Clovis que la consolidation de son pouvoir politique passe aussi par la paix civile et, donc, par une bonne entente avec la religion dominante. Quand on voit les efforts de Nicolas Sarkozy vis-à-vis du Pape, du Consistoire juif ou du Conseil du Culte Musulman, on peut penser que les choses ont peu changé en seize siècles…


« Il faut d'abord faire en sorte que le jugement de Dieu ne t'abandonne point là où ton mérite parvient par ton activité et ton humilité à ce très haut sommet. Car comme l'on dit vulgairement, c'est aux actes que l'on identifie l'homme. Tu dois t'adjoindre des conseillers qui pourront orner ta renommée. (…) Tu devras t'en rapporter à tes évêques et recourir toujours à leurs conseils. Car si tu t'entends bien avec eux, ta province ne pourra qu'en être consolidée. Rends courage aux citoyens, relève les affligés, favorise les veuves, nourris les orphelins. (…) Tu libéreras les prisonniers et tu les délieras de la servitude (…) Plaisante avec les vieillards et juge en noble » dit Rémi à Clovis.


En 486, Clovis remporte une bataille décisive contre le gallo-romain Syagrius à Tournai : c’est l’épisode du fameux « vase de Soissons ». Dérobé lors du pillage de la ville de Soissons (Bourgogne) Rémi en demande la restitution à Clovis. Or, au terme des habitudes militaires de l’époque, Clovis ne peut obliger ses soldats à lui rétrocéder une part de leur butin, ce dernier (y compris la part du chef) étant tiré au sort entre les combattants. Mais Clovis insiste. Pour montrer son mécontentement devant cette pression, un guerrier brise alors le vase : une véritable provocation pour l’autorité de Clovis. Ruminant sa vengeance, Clovis brise alors, quelque temps plus tard à son tour… le crâne dudit soldat. Clovis s’affranchit donc des traditions franques pour privilégier les bonnes relations avec l’évêque local. En 493, Clovis épouse la princesse burgonde chrétienne Clotilde. Il laisse baptiser ses enfants mais sans encore se convertir lui-même.
 

496 ap. JC : ET CLOVIS FUT BAPTISÉ

 

En 496, Clovis bat de justesse les Alamans à Tolbiac. Comme Constantin en 312, il attribue sa victoire militaire au dieu des Chrétiens. Cela justifie la décision hautement politique qu’il prend dans la foulée : celle de se convertir et de se faire baptiser. « Baisse la tête, fier Sicambre » lui dit Rémi qui officie à cette occasion. Clovis est « oint » (enduit) d’un chrême que l’on prétend miraculeusement apporté par une colombe... Ce « miracle » frappe les esprits des contemporains et permet au roi Clovis d’obtenir une sacralité dont, en tant que simple chef de guerre barbare, il était jusqu’ici dépourvu. Ce n’est donc plus simplement le sort des armes qui légitime le pouvoir du roi : c’est Dieu lui-même (par l’intercession de son ministre, l’évêque de Reims).


Une étape capitale est bien franchie.


Par ce geste et par cette cérémonie, Clovis va sceller une alliance entre le pouvoir politique royal et le pouvoir religieux chrétien qui va durer quinze siècles. Le christianisme devient la religion officielle du royaume puisqu’elle est celle de son souverain.


 987 : SACRÉ HUGUES CAPET !


 Par-delà la mort de Clovis (511), par-delà le remplacement des Mérovingiens par les Carolingiens (couronnement de Charlemagne empereur en l’an 800), par-delà l’éclatement de l’empire et sa dislocation entre une multitude de comtés et de fiefs, le christianisme s’enracine. En 987, avec Hugues Capet (du clan des « Robertiens »), la dynastie désormais appelée « capétienne » monte sur le trône.  


Parce qu’il est, au départ, élu par ses pairs, Hugues Capet mesure la précarité de sa situation et de celle de son successeur. Il a alors une idée qui va avoir de l’avenir : associer son fils Robert (dit « le pieux ») au pouvoir en le faisant « sacrer » aussi. Pour renforcer la légitimité de son pouvoir politique et celui de son fils, Hugues Capet appelle donc la religion à la rescousse. Qui pourrait alors avoir le dangereux culot de contester la légitimité d’un fils de souverain lui-même sacré par un ministre de Dieu ?… Pendant mille ans et jusqu’à la Révolution française (et l’exécution de Louis XVI en janvier 1793), le monarque restera auréolé d’une sacralité qui conférera à sa personne davantage qu’une immunité : une véritable intouchabilité.


Cette alliance où le pouvoir politique se nourrit de sacralité et où le pouvoir religieux se renforce grâce à son influence politique ne va pas être un long fleuve tranquille. Car dans ces conditions, qui donc pourrait contester le roi dans ses prérogatives voire sa légitimité ? Le tancer dans ses comportements ? C’est évident : celui qui, au sommet de la Chrétienté, a autorité pour le sacrer ou, du moins, le laisser sacrer. Le souverain pontife, à Rome, le pape, quoi !

Jusqu’au XIème siècle, le pouvoir pontifical exerce une autorité relativement limitée sur le fonctionnement de l’Eglise occidentale. L’Europe est continuellement en guerre, elle est morcelée, les moyens de communications sont réduits et le pape dispose de ressources financières encore modestes. Mais le pouvoir pontifical s’est progressivement renforcé. « Si bien qu’au XIIIème siècle, la papauté fait figure de puissance universelle : son autorité religieuse s’étend à l’ensemble des chrétiens, son influence politique s’étend à l’ensemble de leurs chefs » (François Garrisson, Histoire du droit et des institutions, éd. Montchrestien, 1985).

Le pouvoir pontifical développe donc deux arguments auprès des différents rois d’Europe.

Il affirme d’abord que le pouvoir du pape est le seul pouvoir authentiquement d’origine divine directe. « Pierre, tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église » est la parole attribuée au Christ lui-même par l’apôtre Matthieu (XVI, 18-19). Et ce qui vaut pour Pierre vaut donc pour ses successeurs…


Il prend ensuite argument de la capacité donnée également par Jésus à Pierre de « lier » (condamner) ou de « délier » (absoudre) sur terre avec validité pour l’au-delà. Le Saint-Siège détient donc à la fois les clefs du paradis (qu’il ouvre grâce à l’absolution des péchés) et les clefs de l’autorité ici-bas (il dispose en effet de terres qu’il administre et sur lesquelles il perçoit des impôts à l’égal de tout seigneur). Son emblème comporte d’ailleurs deux clefs pour en témoigner (toujours valable en 2008). Et parce que tout roi est un chrétien et que tout chrétien a pour autorité suprême le pape, tout monarque doit alors se plier à la puissance papale. CQFD.

1303 : UN CONFLIT DE GÉNÉRATIONS …

 

Mais le jeune roi de France Philippe IV « le bel », monté sur le trône de France en 1285 à 17 ans, ne l’entend pas de cette oreille. Avec le vieux pape Boniface VIII (près de 80 ans lors de son intronisation en 1294 ci-contre), le conflit va rapidement éclater. En 1301 et 1302, le pape adresse au jeune roi deux bulles incendiaires qui le menacent d’une excommunication et d’un procès. En 1303, il jette l’ « interdit » sur le royaume : ni messe, ni baptême, ni mariage, ni enterrement ! Philippe le Bel riposte alors par ses juristes, cite le pape à comparaître lui-même devant l’ensemble des évêques de la Chrétienté, fait kidnapper son légat et envoie même des hommes de main qui vont jusqu’à s’introduire dans la chambre de Boniface VIII lors d’un voyage de celui-ci à Agnani (Italie) pour menacer physiquement… Ce n’est pas tout : même après sa mort, Boniface VIII est poursuivi par la vindicte du roi Philippe le Bel qui fait déterrer sa dépouille et la fait figurer à un procès à titre posthume !


Sans doute pour mieux manifester « l’attachement » du souverain au « successeur de Pierre », comme le dit naïvement ( ?) le président Nicolas Sarkozy au Latran le 20 décembre 2007…

Au long du Moyen Age, nous l’avons vu, le pouvoir politique royal et la religion chrétienne (puis strictement catholique) entretiennent des relations fondées sur autant de confiance que de méfiance réciproques mais surtout sur beaucoup d’intérêts mutuels bien compris. D’une façon générale, pour autant, la religion chrétienne est indissociable du pouvoir et, parallèlement, imprègne toute la vie de la société française. Il n’existe pas de « liberté religieuse » telle que nous la concevons aujourd’hui. Avec les Lumières du XVIIIème siècle, c’est au contraire le détachement de la religion qui va s’opérer.


XVIIIEME SIECLE : LES ENCYCLOPEDISTES REJETTENT LA PRIMAUTE DU DIVIN


C’est au XVIIIème siècle que la contestation des philosophes et des penseurs du « Siècle des Lumières » va remettre en cause le monopole intellectuel de l’Eglise catholique et, partant, son association au pouvoir politique. Ce monopole est en effet une spécificité (encore une !) française car, évidemment, dans les pays de protestantisme comme l’Allemagne ou l’Angleterre (Traité de tolérance de 1689), la diversité religieuse est admise. C’est naturellement Voltaire qui porte les charges les plus vigoureuses contre le clergé. C’est une véritable lutte idéologique qui s’engage.


Là où le « divin » (et donc l’autorité naturelle du clergé) primait sur l’« humain », les philosophes (La Mettrie, d’Holbach, Diderot, Morelly…) revendiquent les concepts d’« égalité », d’« humanisme », de « tolérance » sans référence aux saintes Ecritures. Ils revendiquent la possibilité pour les individus de décider de leur propre morale sans prendre pour exemple une quelconque « révélation ». Comme le dit l’historien Michel Winock (L’Histoire, n° 289) : « le théocentrisme cède le pas à l’anthropocentrisme ». Tout le monde suit ?  Continuons...

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