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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1775 : ALEXANDRE DUMAS, né sous le signe du romanesque

Publié par La Plume et le Rouleau sur 4 Décembre 2004, 13:26pm

Catégories : #Personnalités célèbres

Mes cher(e)s ami(e)s,

Je ne résiste pas au plaisir de cette nouvelle divagation historico-littéraire dont vous verrez qu'elle est effet très en prise avec l’actualité la plus récente.

Le 4 décembre 1775, un bateau venant de Saint-Domingue arrive au Havre. Il n’y a qu’un passager à son bord. Il s’appelle Antoine Delisle, il a la soixantaine. L’homme s'installe dans une auberge d’où il rédige une lettre adressée au curé du village de Bielleville-en-Caux pour lui demander rendez-vous.

Une fois en présence de l’ecclésiastique, il lui annonce que son identité n’est qu’un camouflage : il voyage sous un faux nom. En réalité, exhibant des papiers officiels, il se démasque et déclare : « Je suis Alexandre Davy de La Pailleterie, votre marquis, celui que l'on disait mort. » Stupéfaction. Depuis trente ans, l’homme avait disparu. Il revenait maintenant, à la surprise générale, réclamer biens, château et titre !

Un vrai retour « à la Edmond Dantès » ! vous dites-vous. Vous ne croyez pas si bien dire….

Revenons un peu en arrière.

Le premier ancêtre de La Pailleterie vivait en 1410 à Bielleville-en-Caux. Ses descendants font construire en 1602, un manoir de briques rouges, de calcaire blanc et d'ardoises grises, que l'on peut encore admirer de nos jours. Rien de particulier à souligner sur l’histoire de cette famille. Mais, au début du XVIIIe siècle, l’histoire passionnante des trois frères Davy de La Pailleterie débute véritablement : Alexandre (celui du retour fracassant que je viens d’énoncer, né en 1714), Charles, né en 1716, et Louis, né en 1718.

Les trois frères débutent dans l’armée mais, en 1732, Charles quitte la France et part s'installer à Saint-Domingue pour exploiter le sucre, l'indigo et le tabac. Il y fait un mariage fructueux qui lui apporte une sucrerie et développe rapidement ses affaires. En 1738, Alexandre, attiré par cette réussite, arrive à son tour dans l’île et vient s'installe chez Charles.

Mais il se révèle tout à la fois moins industrieux et plus dépensier que son aîné, il contracte des dettes. Les deux frères se brouillent violemment. Alexandre s’enfuit alors dans la jungle (tel un esclave « marron », c’est-à-dire en fuite), emportant avec lui en otage trois esclaves noirs, Rodrigue, Cupidon et Catin. Malgré les recherches, on finit par perdre sa trace, il est porté disparu, on le croit mort.

Pendant ce temps, Charles développe sa société mais bientôt, malgré sa réussite économique, il doit quitter Saint-Domingue en 1753 pour des raisons de santé et revient en France où, reprenant à son compte le titre de « marquis » (puisque son frère est considéré comme disparu depuis maintenant plus de 15 ans) il achète un domaine dans le Gâtinais et se livre au commerce triangulaire (Afrique / Antilles / Europe).

L’activité est florissante mais Charles se laisse griser par sa réussite financière, il dépense sans compter et, criblé de dettes, au début des années 1760, il est au bord de la faillite. Il décide de se livrer au commerce négrier entre Saint-Domingue et la Sierra Leone, grâce à un bateau affrété en France, La Douce Marianne, qui quitte Dunkerque fin 1763 à destination de l’Afrique. Parallèlement, il marie sa fille au comte de Maulde. Ses tentatives commerciales sont un fiasco complet. Cerné par ses créanciers, Charles vend sa propriété et finit par retourner à Saint-Domingue en 1771 où il meurt deux ans plus tard. La même année, son frère Louis, resté dans l’armée et impliqué dans un trafic d'armes, meurt également.

La succession des frères Davy de La Pailleterie est donc ouverte et c’est le comte de Maulde, mari de l’unique héritière, qui se charge de démêler une succession compliquée chargée de plus d’un million de livres de… dettes.
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Quand soudain, coup de théâtre : Alexandre est de retour après plus de trente ans d’absence. Le comte de Maulde est étonné et fait procéder à une enquête. Le revenant dit vrai : un magistrat de Jérémie, une ville de l'est de Saint-Domingue, confirme les dettes d’Alexandre, la rupture des deux frères Davy en 1748, la fuite d’Alexandre avec des esclaves en otages. Pourquoi Jérémie ? Parce que c’est là qu’Alexandre, au final, a trouvé refuge sous l’identité d'Antoine Delisle. Il a vendu les esclaves emmenés dans sa fuite pour acheter une superbe noire, Césette. Il en a eu quatre enfants, Thomas, Adolphe, Marie-Rose et Jeannette. Tous sont encore au pays, où Césette s’occupe de l’habitation, un mas.

On l’appelle, là-bas, Césette « du mas »…

Alexandre a suivi les péripéties de son frère et a appris sa mort en 1773. Il a décidé de rentrer en France. Pour payer son voyage de retour, il vend ses enfants et Césette.

De retour en Normandie, Alexandre récupère ses biens (ses dettes, au vrai) dont le comte de Maulde lui rend la gestion. Alexandre liquide le château de La Pailleterie en contrepartie de 100 000 livres et une rente mensuelle de 10 000 livres, ce qui lui permet de racheter Thomas, son enfant préféré, de payer à celui-ci le voyage vers la France et de lui faire donner une bonne éducation. De Césette et des autres enfants, on n’entendra plus parler.

Alexandre Davy de la Pailletterie meurt le 15 juin 1786, laissant une succession entièrement hypothéquée.

Son fils Thomas affronte en justice la dernière femme de son père pour faire reconnaître ses droits. Le combat semble incertain pour un mulâtre désargenté contre une française blanche. Mais Thomas s’est déjà engagé dans l’armée de la République sous un pseudonyme de guerre : le prénom d’ « Alexandre » (le nom de son père) et le nom de… « Dumas » (en référence à sa mère). Il présente cinq témoins, tous officiers, qui affirment qu'il est bien le fils du marquis Alexandre Davy de La Pailleterie. Il obtient gain de cause et récupère son nom et ses droits.

Engagé dans les dragons, Thomas s’illustre par son courage sous la Révolution française et son ascension est fulgurante. Nommé général, Thomas s'oppose cependant à Bonaparte et décide de quitter l'armée d'Egypte en 1798. Après deux années de captivité en Italie qui dégradent sa santé, il meurt en 1806, laissant une fille, Alexandrine et un fils de 4 ans, Alexandre.
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En 1813 l’identité de ce jeune garçon de 11 ans est définitivement fixée par un jugement du tribunal de Soissons : il est marquis Alexandre Dumas, Davy de La Pailleterie. Il porte un quart de « sang noir ». Il sera le futur écrivain que nous connaissons, ce géant de la littérature dont la dépouille a été transférée au Panthéon en décembre 2004.

Les chroniques de la Plume et du Rouleau lui devaient bien les honneurs de leurs colonnes, sous un angle d’attaque, comme toujours, non conventionnel. Car Dumas nous a certes étonnés avec ses histoires. Mais son histoire, a lui, était, elle aussi, passionnante…

Bonne journée à tous.

La Plume et le Rouleau © 2004

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