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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1935 : Un mythe jamais ensablé, T.E. LAWRENCE

Publié par La Plume et le Rouleau sur 13 Mai 2003, 10:10am

Catégories : #Personnalités célèbres

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,
 
Croyiez-vous un seul instant que les contingences matérielles allaient empêcher la parution de cette chronique ? En dépit de la grève des transports et des services publics qui paralysent aujourd’hui Paris et sa banlieue, alors que les régimes de retraites sont en faillite, alors que les empires s’écroulent et que nos illusions s’effondrent, malgré les raz-de-marée, les cyclones et les cataclysmes, malgré les tremblements de terre et les appels à la mobilisation de la CGT, malgré les tempêtes de neige, de sable et de grêle, malgré les mites, les termites et les sauterelles, malgré les obstructions de toutes sortes, malgré les démissions, les renoncements, les capitulations et contre toute attente : les chroniques historiques de la Plume et du Rouleau sont toujours là !
 
Alors, une fois de plus, partons pour un voyage dans l’Histoire, afin de voir comment certains évènements qui semblent anciens et disparus résonnent encore pourtant dans la fureur du présent.
Vous souvenez-vous de ce film de David Lean de 1962 ? Trois heures vingt et une minutes de scènes épiques sur une musique de Maurice Jarre et cette introduction restée célèbre : fondu enchaîné entre la lumière d’une allumette et la clarté éblouissante du désert dans lequel un lointain point noir s’avance depuis l’horizon : un cavalier, Omar Sharif… Dans quelques minutes, l’homme rencontrera Peter O’Toole. Le mâle Oriental côtoiera le pâle Occidental dont le physique, au vrai, incarne à merveille cet homme devenu légende et dont l’image est aujourd’hui (forcément) galvaudée : T.E. Lawrence, « Lawrence d’Arabie » !
 
Mais après le lyrisme : le drame. Nous nous retrouvons, par le raccourci saisissant de la magie évocatrice de votre chronique historique préférée, le 13 mai 1935, sur une petite route anglaise où un dénommé Thomas Edward Shew, soldat de 2ème classe de la RAF a un accident de moto. Transporté à l’hôpital, il va mourir des suites de ses blessures le 19 mai suivant.
 
Vous le savez, l’un et l’autre personnage ne font qu’un. Et c’est de ce garçon fort étrange, cette sorte de chevalier médiéval égaré dans les sables du désert arabique, dont nous allons parler aujourd’hui : Thomas Edward Lawrence, un personnage méconnu à force d’être trop connu et dont les exploits et les désillusions appartiennent à une époque révolue dont l’écho parvient encore jusqu’à nous. Nous allons voir comment.
 
Envoyez les violons (de Maurice Jarre). A vous les vents chauds du désert, le sable et le sabre, l’atmosphère torride et envoûtante des parfums arabiques !
 
Thomas Edward Lawrence est né en 1888. Son père, Thomas Chapman, a été marié à une épouse acariâtre de laquelle il a eu quatre filles. Il l’a délaissé au profit de la jeune gouvernante de la maison, une écossaise nommée Sarah Junner, avec laquelle il va s’enfuir. Il en aura cinq garçons. Thomas Edward, né à Tremadoc au pays de Galles et que l’on surnomme « Ned », est le deuxième d’entre eux.
 
Dans l’Angleterre puritaine de Victoria, cette idylle illégitime ne « passe » évidemment pas et le couple tentera toujours de se donner des airs de respectabilité : une dissimulation que Ned, garçon tourmenté, introverti et très attaché à sa mère, n’assumera jamais véritablement. Les années d’enfance et d’adolescence de Ned sont à la fois des années de fuite incessante (Irlande, Pays de Galles, Bretagne) et de liberté. La France de Saint-Malo et des châteaux lui donne le goût des voyages lointains, de l'histoire et de l'archéologie.
 
Au Jesus College d'Oxford (1907-1909, il a 19 ans), il se passionne pour l’étude du latin, du grec et pour le cycle arthurien de la recherche du Graal. Ned ne boit pas, ne fume pas, ne drague pas, mange végétarien, travaille comme un fou, vit avec ascétisme, fuit les activités en groupe et s’adonne à la culture physique individuelle : une sorte d’anachorète passionné par l'art militaire antique ou moderne et les châteaux forts. Il va ainsi soutenir une thèse sur « L'Influence des Croisades sur l'architecture militaire d'Europe jusqu'à la fin du XIIIe siècle » et, à partir de 1909, séjourne en Syrie, en Egypte et au Sinaï, jusqu'en 1914 où il participe pendant près de trois ans aux fouilles archéologiques hittites de Karkemish (Syrie du Nord).
 
Echappant à la dysenterie et au choléra, il adopte la langue, le costume et les mœurs des Arabes du peuple, qui ne sont pas encore occidentalisés. Ces années sont capitales pour la formation intellectuelle et personnelle de Lawrence.
 
Il est volontaire lors du déclenchement de la Grande Guerre. Il part servir au Proche-Orient contre l’empire turc Ottoman allié, rappelons-le, aux Allemands. Au Caire, sous-lieutenant jusqu'en 1916, Lawrence interroge les prisonniers arabes de l'armée turque, établit des cartes et transmet des renseignements.
 
A cette époque, les Anglais jouent au Proche-Orient un rôle d’agitateur auprès des tribus bédouines du centre de l’Arabie. En 1916, à leur instigation, une révolte contre les Ottomans éclate à l'initiative du chérif Hussein de La Mecque (l’arrière-arrière-grand-père de l’actuel Abdallah de Jordanie). Le colonel Clayton, directeur des renseignements et le diplomate sir Ronald Storrs choisissent alors Lawrence comme officier de liaison auprès du chef de la révolte arabe, l'émir Fayçal, de la tribu des « Séoud ». Il s’agit pour Lawrence de conseiller celui-ci ainsi que les tribus bédouines et l'armée.
 
Lawrence va réussir au-delà des espérances. 
Il mène une guérilla de razzias et harcèle le chemin de fer du Hedjaz, vital pour l'ennemi, détruit les ponts, attaque les gares et les trains qui vont de Damas (actuelle Syrie) à Médine (sud de l’Arabie). Il remporte des victoires qui frappent l’imagination, telle la prise d’Akaba (unique port des Turcs sur la Mer Rouge, à la frontière avec l’Egypte) qui s’effectue non par la mer (où on l’attend) mais à l’issue d’un raid mené à dos de chameau sur 950 kilomètres de pistes de désert montagneux franchis en moins de deux mois et sous un climat torride (9 mai-6 juillet 1917).
 
Après Akaba, l'armée de Fayçal (soldats réguliers et Bédouins nomades), conseillée par Lawrence participe à la conquête de la Palestine (« Israël » n’existe évidemment pas) : Jérusalem est prise le 11 décembre 1917. Lawrence contribue à la victoire de Tafileh où, le 25 janvier 1918, 600 soldats de l'émir Zaïd, qu’il conseille, écrasent un corps de 2 000 Turcs. Damas, quant à elle, tombe le 1er octobre 1918. Lawrence est l’homme de la guerre de mouvement, de l’offensive-éclair, loin de l’affrontement statique qui prévaut en Europe où les belligérants se sont embourbés de part et d’autres de leurs barbelés. Sa formation d’historien de l'Antiquité, des Croisades et des guerres du XVIIIe siècle lui permet d’adapter sa réflexion au combat des Arabes contre les Turcs et de pratiquer ses idées sur le terrain. Il adapte les leçons de la « guerre de course » des corsaires du XVIIIème siècle au désert : raids à dos de chameau et d'automitrailleuses à l’issue desquels les assaillants trouvent refuge dans des oasis et dans la montagne, utilisation du renseignement pour espionner les mouvements de l’adversaire.
 
Lawrence professe que la mobilité sera à l'avenir la première qualité des armées, une mobilité fondée sur la maîtrise coordonnée de toutes les armes (infanterie, artillerie, cavalerie, blindés, aviation et marine) et de soldats réguliers et irréguliers, soutenus par des civils que soulève la passion nationaliste.
 
Car Lawrence, on l’aura compris, aime les Arabes. Il rêve d'associer à une communauté fraternelle britannique de nouveaux Etats arabes indépendants, qui seront « les premiers dominions d'autochtones basanés, non pas les dernières colonies d'indigènes basanés ».
 
Les succès militaires de Lawrence (il est colonel à trente ans) et son charisme commencent à retenir l’attention. Le correspondant de guerre américain et brillant journaliste Lowell Thomas, après sa rencontre avec Lawrence à Jérusalem et Akaba (1917) se met à exalter l'épopée du désert auprès du public yankee friand d’aventures exotiques et de faits d’armes hauts en couleurs. Lawrence, pourtant, n’a rien d’un saint : la guerre a fait de lui une bête impitoyable et il s’est rendu personnellement coupable d’exactions, de violences et de crimes qu’il évoquera plus tard dans ses mémoires et qu’il se reproche déjà amèrement.
 
Il faut dire que Lawrence est un personnage spécial, une sorte de Jeanne d’Arc, un halluciné idéaliste, presque mystique, couvert de gloire et pourtant d’une mise simple, solitaire et pourtant facile d’accès. Sa misanthropie passe pour de la misogynie et celle-ci passe à son tour pour de l’homosexualité. A tort, jusqu’à preuve du contraire.
 
Arrive l’Armistice de 1918 puis, en janvier 1919, la Conférence de la paix s’ouvre à Paris (Versailles). Lawrence y représente la délégation britannique auprès de Faycal d’Arabie. Son credo : il y a des intérêts communs entre les peuples arabes et la Grande-Bretagne. Peine perdue : la France et la Grande-Bretagne, comme convenu au terme des accords « Sykes-Picot » de 1916 se partagent la région. Il s’agit d’un partage purement colonial : aux Français la Syrie et le Liban, aux Britanniques la Palestine, la Transjordanie et l'Iraq, tout cela bientôt sous le paravent légal de la SDN. De l’idéalisme fraternel de Lawrence, il ne reste plus rien. La géopolitique a repris le dessus. Bientôt, les Américains s’implanteront durablement dans ce qui deviendra l’Arabie « Séoudite » (1932).
 
Habile propagandiste, Lowell Thomas exploite le filon commercial de la renommée de Lawrence à partir d'août 1919 dans tout l'Empire britannique en y multipliant les conférences illustrées. La popularité de TE Lawrence s’accroît en même temps, naturellement que les critiques et les calomnies.
 
Pourtant, l’homme évite le tapage médiatique et il a troqué sa vie de « moine soldat » dans le désert pour celle de la caserne. Cultivant en effet la chasteté, le sentiment du péché, de la culpabilité, l'excès de scrupules et le besoin d'expiation comme de pénitence, fuyant la pression médiatique, il s'est engagé sous un pseudonyme comme… simple soldat dans la RAF en 1922, à 34 ans. Churchill, pourtant, proposait de lui offrir une carrière diplomatique.
 
En 1926, Lawrence rédige les « Sept Piliers de la sagesse » : sorte de récit de guerre où se mêlent des réflexions politiques, philosophiques et intimistes autant que ses propres souvenirs. 
 
On ne parlera plus de Lawrence et, curieusement, c’est presque par hasard qu’on le reconnaîtra sous les traits d’un motocycliste accidenté ce jour de mai 1935.
 
Que reste-t-il des exploits accomplis par Lawrence ? Beaucoup et peu.
 
Si l’homme a incontestablement participé à l’effondrement du régime ottoman par ses victoires militaires, celles-ci ont moins marqué l’imagination que les exploits de Rommel ou de Leclerc. Menées à dos de chameau et quelle que soit la valeur tactique qu’elles aient pu représenter, elles semblent plus pittoresques qu’autre chose. Quant à l’empire Ottoman, avec ou sans Lawrence, il aurait fini par s’écrouler quand même.
 
Sur le plan géopolitique, les victoires remportées par les Britanniques durant la Première Guerre Mondiale permettent de façonner un Moyen-Orient selon une géographie politique dont l’actuelle porte encore (ô combien) la trace. 
C’est en effet sur l’initiative des Britanniques qu’est créée en 1921 la « Transjordanie » (1921) : un état totalement artificiel situé entre la Palestine et l’Arabie. Pour gouverner cette Transjordanie (qui deviendra la Jordanie d’aujourd’hui), l’Angleterre installe sur le trône un dénommé Abdallah (qui devient Abdallah 1er) : c’est le fils du chérif (gouverneur) de la Mecque, Hussein, installé là par les Ottomans en Arabie ! Cet Abdallah est l’arrière-grand-père du jeune souverain actuel Abdallah II (il descend du Prophète). Ainsi, tandis que les Britanniques aident les bédouins à se rebeller contre l’Empire ottoman, ils « recyclent » les cadres dirigeants de cet empire à leur profit ! Ce petit jeu subtil va même plus loin puisque l’Angleterre installe ensuite sur le trône d’Irak le… frère d’Abdallah (1925). Comment ces hommes, qui ont failli tout perdre (les bédouins de la tribu des Séoud ayant conquis la péninsule arabique et ayant chassé leur père Hussein de la Mecque en 1924) pourraient-ils dès lors ne pas être entièrement dévoués à l’Angleterre ?
 
Le rêve de grandeur de l’Angleterre (une région moyen-orientale largement sous son contrôle : Palestine, Egypte, Jordanie, Irak et jusqu’aux Indes) finira toutefois par s’ensabler : les Séoud proclameront l’indépendance en 1932 et, rapidement, s’allieront avec les puissantes compagnies pétrolières américaines pour l’exploitation de l’or noir récemment découvert, Israël, le Pakistan et la République indienne seront proclamés en 1948, le roi d’Egypte Farouk sera renversé en 1952 et son collègue irakien en 1958. L’influence britannique dans cette région a aujourd’hui vécu.
 
Mais les frontières imposées par la force il y a près de 80 ans ont subsisté et, cahin-caha, la mosaïque moyen-orientale a perduré, toujours à la recherche d’un équilibre des forces et des cultures qui l’animent, toujours à la recherche d’une paix improbable.
 
Heureusement que l’Amérique dynamique et créatrice de George W. Bush est là pour tenter de mettre de l’ordre dans ce bazar grâce à l'invasion de l'Irak...
 
Allez, pour se consoler, on peut toujours écouter "Fuis Lawrence d'Arabie" (1987) chantée par Annabelle Mouloudji (fille de Marcelle Mouloudji ce qui, décidément, nous ramène encore à l'Orient...)

« Vers l’orient compliqué, je volais avec des idées simples » dit De Gaulle dans ses « Mémoires de Guerre » : en dépit de l’indéfectible respect que votre serviteur voue au Général, force est de reconnaître que les Occidentaux n’ont guère réussi à clarifier la situation là-bas depuis 50 ans.
 
Bonne journée à tous.
 
La Plume et le Rouleau © 2003
 
Et pour d'autres mystères obscurs et quelques révélations, lisez La cinquième nouvelle...
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S
En tant qu'ancien Sous-Off de la Légion étrangère (2ème REP) je n'ai AUCUN respect pour de gaulle qui nous a trahi au moment de la guerre d'Algérie (mais cela est une autre histoire...)
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