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LA PLUME ET LE ROULEAU

LA PLUME ET LE ROULEAU

250 chroniques éclairent le présent à la lumière de l'histoire


1909 : La BELLE EPOQUE, la presse et le CRIME

Publié par La Plume et le Rouleau sur 3 Septembre 2003, 10:15am

Catégories : #Crimes & affaires judiciaires

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,
 
Et maintenant, place au Crime !
 
Car, comme chaque été, vous avez décidé de profiter du temps libre enfin retrouvé pour vous adonner à quelque lecture soigneusement choisie. Et, comme souvent, vous avez sélectionné, le temps d’un voyage en train ou de quelques heures de sieste sur la plage, un… polar.
 
Alors, quoi ! A peine sortis de l’enfer urbain et pollué des transports en commun, des couloirs lugubres et des sombres parkings, des bretelles d’autoroutes désespérantes et des rues tortueuses, alors que le soleil vous tend les bras, que le bruit des flots vous berce et que le chant des grillons vous enivre, vous ne songez déjà plus qu’à vous replonger dans une ambiance morbide de crimes, de cadavres et de menaces ?
 
Persévérant même, vous n’hésitez pas à regarder à la télévision, chaque semaine, comme votre serviteur, l’excellente émission (sur le service public) appelée "Faites entrer l’accusé" qui vous conte, sur fond d’une inquiétante musique et avec un sens du suspense consommé, les rebondissements d’affaires criminelles célèbres. Quels éléments Omar Radad avance-t-il de son innocence dans le meurtre de Ghislaine Marchal ? Pourquoi Patrick Dils, finalement déclaré innocent, a-t-il avoué plusieurs fois et en détail le meurtre de deux enfants ? Quels éléments réellement tangibles pouvaient bien plaider en faveur ou défaveur de Christian Ranucci, finalement guillotiné ? Jean-Louis Turquin a-t-il perpétré l’enlèvement de son fils ou est-il la victime d’une machination encore plus terrible contre lui ? Y a-t-il réellement des preuves objectives contre Pierre Chanal accusé des disparitions de Mourmelon ? Quel fil faut-il tirer pour remonter à l’assassin du petit Grégory Villemin ?…

Et j’en passe.
Oui, avouez-le : tout cela vous fascine et vous passionne. Le crime et la machine judiciaire sont en effet de nature projective : l’on se met à la place de l’enquêteur, du magistrat, des jurés ou de la victime et, secoué par un frisson rétrospectif, l’on frémit et l’on s’interroge. Comment aurais-je réagi ? Que faut-il penser des éléments de l’enquête ? Qu’aurais-je décidé ? Quelle aurait été mon intime conviction en l’espèce ? Et perplexe, à bout d’arguments rationnels, vous finissez par scruter la bobine de l’accusé pour vous interroger : a-t-il une… tête d’assassin ?
 
C’est que notre société moderne et médiatique, depuis un peu plus d’un siècle, a fait du crime, du drame et de la justice le genre littéraire et cinématographique le plus prisé.
 
Dans l’Antiquité, au Moyen Age, rien de tel : les histoires de brigands n’intéressent personne. Celui qui a troublé l’ordre social voulu par les Dieux finit au bout d’une corde et son destin n’émeut personne.
 
Avec le siècle des Lumières, tout change. Le fauteur de troubles intrigue et étonne. Si l’homme est bon de nature, ainsi que nous le dit Jean-Jacques Rousseau, comment peut-il commettre des crimes ? D’ailleurs, à bien y réfléchir, il est bien possible que des coupables écartelés en place de Grève (l’actuelle Place de l’Hotel de Ville de Paris) eussent été innocents, non ? L’erreur judiciaire est possible et Voltaire, en 1765, en fait la brillante mais tardive (l’homme a été exécuté) démonstration lors de l’Affaire Calas. C’est alors que l’ordre social et l’efficacité des institutions est à repenser…
 
Le XIXème siècle va amplifier le phénomène, notamment grâce à l’essor de la presse, au tournant des années 1880 - 1910. Pour augmenter les tirages, il faut servir de l’information rapide et sensationnelle. La presse populaire (Le Petit Journal, Le Petit Parisien, L’Illustration…) excelle alors dans des couvertures-choc où, palliant l’absence de photographies, le dessinateur laisse libre cours à son imagination pour dépeindre le drame, la violence, l’angoisse, l’héroïsme. Il s’agit de susciter chez le lecteur l’intérêt, la passion, l’indignation, l’émotion qui lui feront acheter le numéro suivant !
 
Mais la presse joue aussi un rôle moteur majeur dans les sentiments qui agitent l’opinion publique. On stigmatise le crime mais on souligne la lourde hérédité de l’accusé, on s’indigne de l’acte mais on s’interroge sur les mobiles qui ont poussé à son exécution. Bref on suscite le débat de société : quelle peine appliquer ? et comment ? et à qui ? et comment faire pour empêcher le développement de cette insécurité grandissante que la médiatisation fait entrer dans chaque foyer ?
 
Parallèlement, toute une école anthropologiste et criminaliste, s’exprimant dans les journaux, cherche vainement le pourquoi du crime (folie ? gène ?) et s’intéresse à la façon de le débusquer (les criminels ont-ils une physionomie reconnaissable ? existe-t-il des criminels nés ? peut-on s’en apercevoir ?).
 
Les passions se déchaînent et les positions s’affrontent.
 
Nous allons en juger à travers deux types d’affaires dramatiques de la fin du XIXème siècle et du début du XXème (la Belle Epoque comme on l’appela) :
- l’affaire dite du train 826, où un drame sordide se transforme en débat de société
- les affaires criminelles relevant de drames passionnels, où le genre, dont raffolent les lecteurs, tend à figer le modèle de la société en attribuant à l’homme et à la femme des rôles stéréotypés
Place au crime, au tragique mais aussi au pittoresque ! Vous verrez que, dans les deux cas, les questions soulevées ont encore de larges résonances contemporaines. Voyons cela.
 
Le 16 décembre 1909, on découvre près de Brunoy (Essonne) un corps mutilé en bordure de la voie ferrée. Après enquête, on comprend que la victime est tombée du train 826 reliant Montargis à Paris. Les détails sont particulièrement macabres : le corps a été découpé en plusieurs morceaux, la chevelure est resté collée à un wagon par un morceau de cuir chevelu, une jambe est même introuvable.
 
C’est le début d’un fait divers qui va passionner l’opinion publique durant six mois car il va incarner tout à la fois les peurs et les aspirations d’une époque. Il apparaît vite que la victime est une personne de la bonne société : Madame Jules Gouin, veuve d’un grand industriel décoré de la légion d’Honneur et ancien régent de la banque de France. Elle est décrite comme paisible, mère de famille et a fondé avec son défunt mari une oeuvre de charité pour les familles nécessiteuses.
 
On pense bien sûr à l’accident. Madame Gouin était en effet sujette à des hémorragies et à des étourdissements et elle aurait pu tomber accidentellement du train.
 
La presse, pourtant, évoque rapidement un crime. Et l’on stigmatise dès lors l’insécurité qui règne dans les transports en commun tandis que le fils de la victime offre une récompense de 25 000 francs (un journal coûte alors 5 centimes de francs de l’époque). Mais l’enquête piétine, excitant les journalistes qui agitent l’opinion. Les voyageurs interrogés restent muets : personne n’a rien vu ni entendu. Pour l’opinion, chauffée par l’alarmisme des journaux, cette ignorance est intolérable. Que fait la police, quoi ? ! Et c’est un déluge de lettres anonymes de dénonciation (et même d’aveux !) qui s’abat sur le Parquet, débordé. Naturellement, les enquêteurs perdent un temps précieux à vérifier celles-ci et distinguer les élucubrations des affabulations. Et rien. Toujours rien au bout d’un mois.
 
Enfin, le 4 janvier 1910, après la dénonciation par l’un de leurs anciens camarades de régiment du nom de Maurice Portheault, deux soldats du 31ème régiment d’infanterie, qui voyageaient dans le train, avouent le crime : pas tant de chichis, disent-ils, c’est nous qui avons fait le coup. Ils s’appellent Georges Graby et Henri Michel..
 
Et ils passent des aveux circonstanciés que les journaux vont livrer avec délectation à leurs lecteurs (le Petit Journal les réédite même quatre fois, tant le succès, dû à l’indignation, est grand). Le mobile ? Le vol. Le butin ? Faible : 2 bagues et 5 francs. Les meurtriers n’ont heureusement pas fouillé (outrage supplémentaire) dans le corsage de la victime qui dissimulait 200 francs. Celle-ci, malgré ses supplications, a eu la tête écrasée sur le chauffage du compartiment avant d’être achevée à coups de pied puis défenestrée. 
 
L’indignation est à son comble mais, passé le moment de passion, on s’interroge sur la personnalité des protagonistes. La presse va alors leur assigner un rôle qui dépasse leur seule singularité : ils vont camper malgré eux les personnages d’une sorte de pièce de théâtre projective où vont s’exprimer les attentes et les angoisses de la société de l’époque. Il y a là de quoi sourire tellement tout cela est caricatural mais, à la réflexion, en est-on si éloigné, de nos jours, avec les chroniques judiciaires de journaux populaires ? Voyez-le.
 
La victime, elle, incarne (on l’a compris) l’ordre moral bourgeois et les vertus civiques : celles que chacun doit défendre s’il prétend accéder à la mobilité sociale au sein de la république laïque et méritocratique, une république qui doit être équitable, sévère mais juste.
 
La justice, précisément, reçoit l’aide du jeune Maurice Portheault, cuisinier de 23 ans. L’homme est décrit par les journaux comme ayant, forcément, une mine franche et des yeux honnêtes. Auxiliaire du triomphe de la loi et de l’ordre, on souligne la récompense qu’il en tire : il empoche les 25 000 francs promis par le fils de la victime et décroche une place de marmiton chez celui-ci. L’honnêteté est donc récompensée et l’ordre social préservé.
 
Les assassins, décrits comme sinistres, ne sont en fait pas homogènes et les journaux vont bientôt distinguer l’instigateur, le meneur de celui qui n’a fait que subir le déplorable ascendant de son compagnon.
 
Ainsi Henri Michel, malgré sa complicité dans ce crime effroyable, suscite-t-il une forme sinon de compassion, du moins de compréhension de la part de la presse qui raconte (comme si les journalistes s’y trouvaient) son interrogatoire. Michel s’effondre en pleurs et exprime des remords sincères. Confronté à sa fiancée Louise Robert, il se jette à genoux et implore son pardon dans une scène poignante qui ne peut laisser le lecteur indifférent. D’ailleurs, son passé d’orphelin et ses bonnes notes scolaires à l’école communale (donc républicaine) de Neuilly plaident pour lui. La presse, au final, le décrit comme un être lourdaud, fruste et brutal dont on sent bien qu’il a agi subjugué par les conseils de son camarade.
 
L’attention se cristallise donc sur ce dernier, Georges Graby, qui va désormais incarner le mal absolu, la menace qui pèse sur la société des gens honnêtes et paisibles. Il concentre en effet un maximum de tares : il est le fils d’un sous-Brigadier de la Sûreté et, loin de suivre l’exemple paternel de la défense de la loi et de l’ordre, a préféré choisir la voie du crime. D’ailleurs, son père le renie publiquement ! Soldat, il devrait incarner des vertus martiales de discipline et de droiture dont la république a tant besoin pour reconquérir l’Alsace et le Lorraine. Eh bien non. Arrêté, il n’exprime aucun remord, reste crâneur et garde une insolente cigarette aux lèvres : impression déplorable qui fait qu’on le décrit vite comme un misérable. Pire, son physique agréable (les mauvais garçons ont toujours fait frissonner les lectrices, spécialement si ils sont beaux) et sa bonne conduite à l’école vont paradoxalement jouer contre lui : ces qualités témoignent au contraire de l’incroyable duplicité de l’individu, qualifié dès ses premières années de sournois et de menteur.
 
Avec tout cela, pas étonnant que le débat déborde le strict cadre de l’affaire pour porter sur des considérations plus globales et les journaux s’en font l’écho à travers le courrier des lecteurs :
D’abord, que fait la Police ?

A quoi attribuer la lenteur de l’enquête et le faible rythme de l’instruction ? Est-ce un problème d’effectif, de moyens, de formation ? Le Petit Journal en demande davantage pour éradiquer enfin l’armée du crime.

 
Ensuite, quelle sécurité existe-t-il à prendre les transports en commun ? Ne peut-on empêcher la libre circulation entre les wagons ? Le Figaro donne ainsi la parole à des lectrices affolées qui préfèrent aller en seconde ou en troisième classe (avec le peuple) que rester seules en première ! La Dépêche affirme même qu’il y a désormais des personnes qui n’osent plus voyager même si, reconnaît-elle, les risques d’assassinat sont peu nombreux si l’on compare le nombre des crimes commis au nombre de voyageurs transportés…
 
Enfin, on s’interroge sur le volet répressif. Que fait l’Armée ? Censée incarner l’ordre et la discipline, elle laisse en déshérence la surveillance de ses éléments les plus nuisibles et se laisse infiltrer par les "apaches" (les voyous de cette époque). Dans la foulée de ce crime, on rouvre donc les bataillons disciplinaires d’Afrique (les fameux "Bat’ d’Af" : un jeu de mot utilisé dans "Astérix et les Normands" !’) pour y envoyer (comme à Tataouine en Tunisie) les délinquants qui se trouvent sous l’uniforme : un peu d’exercice et beaucoup de discipline devant grandement oeuvrer au retour de cette racaille dans le droit chemin.
 
Le procès a lieu en mai 1910 non devant une cour d’assises mais devant un Conseil de Guerre : les meurtriers sont dégradés, Michel écope de 20 ans de bagne et Graby est condamné à mort (mais bénéficiera de la grâce présidentielle). Les condamnés sont évacués de la salle sous les hurlements de haine de l’assistance. Pénible.
 
Mais passons maintenant à quelque chose de plus pittoresque qui fait également, à cette époque, les délices de la presse, spécialement populaire : le crime passionnel…
 
Observons les statistiques journalistiques de la période de la fin du XIXème siècle. De 1870 à 1890, le Petit Journal relate une moyenne de 2 affaires par semaine. Le chiffre passe à 3 en 1890, 4 en 1900 et 9 durant la décennie 1910 ! Et la majorité de ces affaires concernent des femmes ! Comment une telle croissance est-elle possible ? Y aurait-il un déchaînement de passions féminines à ce point ?
 
Observons en fait les chiffres officiels fournis par le Ministère de la Justice de cette époque : durant 30 ans (1870 – 1900), on observe en réalité une moyenne stable de 8 % des crimes pour ceux appartenant à la catégorie dite des amours contrariés. Mieux, on constate que ce sont en majorité des hommes (70 % des meurtriers) qui commettent ces forfaits. Pire : contre toute attente, leur victime est majoritairement la femme ou la maîtresse (70 % des affaires) et non pas leur rival !
 
On voit aisément le rôle grossissant de la presse dans ces affaires sordides et cela pour des raisons purement commerciales.
 
Au chapitre pénal, maintenant, observons que ce crime (qu’il soit couronné de succès ou qu’il manque son but) conduit 1 fois sur 2 à… l’acquittement. Mais cette proportion de 50 % grimpe si c’est… une femme qui est dans le box des accusés !
 
Nous voici donc au coeur de la question : le crime n’est rien, son mobile est tout. Et ce mobile est, de par la place assignée aux hommes et aux femmes dans la société de cette époque, radicalement différent pour les uns et pour les autres. Tout est alors en place pour que le meurtre tragique commis par une femme prenne une dimension digne d’une tragédie grecque autant que d’un roman à l’eau de rose et, de ce fait, passionne le public. C’est la raison pour laquelle la presse va s’en faire l’écho de façon de plus en plus insistante.
 
La dénommée Marie Bière, en 1880, par exemple, est une artiste lyrique issue de la petite bourgeoisie. Célibataire, elle s’est, hélas, éprise d’un homme duquel elle a eu un enfant. L’infâme séducteur, toutefois, a refusé de reconnaître la petite fille qui, mise en nourrice, est morte. Abandonnée, désespérée, outragée, Marie Bière guette son amant en pleine rue, sort un revolver et l’abat ! L’homme, blessé grièvement, en réchappe de justesse mais, pour tentative d’assassinat (donc avec préméditation), Marie Bière est envoyée aux assises. Elle risque l’échafaud. Brrrrrr….. 
 
C’est la même chose, la même année 1880, pour la comtesse de Tilly. Bafouée par son mari qui la délaisse pour sa maîtresse, elle s’aperçoit qu’elle est atteinte de tuberculose. Folle de dépit et condamnée, ne pouvant supporter de laisser ses enfants à la garde de l’amante de son mari, elle asperge celle-ci de vitriol ! C’est pour elle aussi les assises qui l’attendent…
 
Les deux héroïnes font la une des journaux et sont brillamment défendues par un ténor du barreau de l’époque Maïtre Lachaud qui obtient leur… acquittement ! Ouf ! Du sang et des larmes, de l’amour et du sexe, des serments et des trahisons, de la lâcheté et de la dignité ont ponctué ces procès qui ont tenu le bon peuple en haleine. Et tout cela pour un dénouement finalement heureux (sauf pour la victime !).
 
Mais attention, pour un bon acquittement, la meurtrière doit réunir au moins quatre conditions, lesquelles constituent les stéréotypes que l’on attend d’une femme à cette époque.
 
L’accusée doit d’abord être d’allure distinguée mais ne doit pas hésiter à pleurer, dénotant une noblesse d’âme et quelques remords bienvenus…
 
L’accusée doit ensuite être vertueuse et ne s’être abandonnée dans les bras de son amant que contre une promesse de mariage suffisamment crédible pour que la malheureuse ait succombé.
 
L’accusée doit encore avoir été trahie ou bafouée, en tout cas humiliée publiquement, cause du geste désespéré qui a été le sien pour laver son honneur.
 
L’accusée doit enfin pouvoir mettre enfin en avant les sentiments maternel squ’elle a dû avoir à défendre.
 
Tout cela, bref, est du théâtre dont raffolent les jurés et les lecteurs de journaux à 1 sou et se prête magnifiquement aux effets de manche et aux trémolos qu’affectionnent tant les avocats. Mais la justice, la vraie, y trouve-t-elle son compte ? Devant la recrudescence du caractère spectaculaire de ces affaires qui échauffent les passions, divers intellectuels et juristes réagissent. Pourquoi de tels actes et comment en empêcher la prolifération ?
 
Alexandre Dumas fils, par exemple, publie une analyse très fine du phénomène en débordant le cadre strictement judiciaire pour le replacer dans son contexte politique et social. Son livre s’intitule : « Femmes qui tuent et femmes qui votent ». Pour lui, le meurtre est une réaction de désespoir de la part d’une fraction de la société qui est juridiquement laissée pour compte. Sans droit de vote, sans droit de posséder un compte en banque, sans droit de demander le divorce, les femmes sont cantonnées dans un rôle de mineures vis-à-vis de leur mari. Dans une société où les lois sont faites par et pour les hommes, elles ne bénéficient d’aucun recours en cas d’abandon d’elle-même ou de leurs enfants (la loi exclut explicitement toute recherche en paternité) ou même d’adultère. Pire : l’article 324 du Code Pénal excuse même le meurtre commis par le mari lorsque celui-ci surprend sa femme et l’amant de celle-ci au domicile conjugal ! Mais pas l’inverse.
 
Le meurtre devient donc l’unique moyen pour l’épouse bafouée ou la jeune fille séduite de se faire entendre. Mieux : la femme prend là une forme de revanche sur le mari volage en étalant sa trahison en public.
 
Au tournant de 1900, les juristes emboîtent le pas car, au final, un meurtre reste un meurtre et on ne peut se satisfaire de l’étalement dans les journaux de ces affaires dont le dénouement programmé aboutit à un acquittement sous les larmes d’émotion et les bravos du public… L’amélioration du droit des femmes appartient au législateur. Bien, mais pour ce qui est du cadre judiciaire, où se situe le problème ?
 
Dans la peine encourue, en réalité. Celle-ci est en effet très lourde. La plupart des crimes passionnels sont prémédités et, au titre de l’assassinat, l’accusé encourt la guillotine et, en cas de circonstances atténuantes, le bagne. Or imagine-t-on, dans la pratique, un jury envoyer à l’échafaud une jeune fille séduite puis abandonnée ou une épouse trahie ? La seule porte de sortie offerte (il n’y a pas de sursis, à l’époque) reste l’acquittement : un artifice légal mais injuste, au fond, pour la victime.
 
D’ailleurs la presse elle-même commence à réfléchir sur la question et on y lit (un peu tard) qu’il faut penser un peu plus aux victimes qu’aux accusés et que la jalousie n’est pas une excuse… !
 
Aujourd’hui encore la presse, par ses enquêtes parallèles, son obstination à tenter de percer le secret de l’instruction en arguant de la liberté d’information, son désir d’explorer des pistes jugées inexploitées, influe considérablement sur l’opinion publique. On peut regretter ses excès (son harcèlement des protagonistes dans l’affaire Villemin, par exemple) ou saluer sa persévérance (ayant conduit à l’inculpation d’Elisabeth Cons-Boutboul pour le meurtre de son gendre) dans les années 80.
 
Mais on ne peut nier l’importance considérable de son rôle dans le déroulement des affaires judiciaires dont elle s’empare. Alors méfiance. "C’est forcément vrai puisque c’est dans le journal" me disait ma grand-mère. Elle a trépassé sans que j’ai jamais pu la persuader du contraire.
 
C’est maintenant sur vous que je compte pour être vigilants. Bonne journée à toutes et à tous.
 

La Plume et le Rouleau © 2003

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